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En Ukraine, entre guerre et traite

En Ukraine, entre guerre et traite

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À l'occasion de la Journée mondiale de lutte contre la traite des êtres humains ce 30 juillet, aperçu du combat que mène Caritas Ukraine dans un pays troublé par une guerre civile et les crimes esclavagistes qu'elle provoque.
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Près de trente ans après son indépendance, l’Ukraine est devenue un des pays les plus exposés à la traite des êtres humains. Depuis qu’il a perdu le contrôle du Donbass et la souveraineté sur la Crimée, le pays a vu les cas de traite se multiplier. Un fléau auquel Caritas Ukraine a été immédiatement confrontée et contre lequel elle continue de lutter. La Journée mondiale de lutte contre la traite des êtres humains, célébrée le 30 juillet, donne l'opportunité de le souligner.

« Je venais d’avoir mon examen et j’allais chercher mon diplôme en bus. À un contrôle, les paramilitaires m’ont arrêté. Avec 28 autres, ils nous ont conduit dans un ancien club sportif où ils nous ont enfermés et où nous avons dû leur servir de domestiques pendant trois semaines d’angoisse. »

Vladislav, 26 ans, a du mal à reparler de ces dix-neuf jours de séquestration. On le sent encore traumatisé, cinq ans après les faits. Les premières rencontres avec Igor Tridub, psychologue à Caritas Kharkiv, lui ont permis de retrouver le sommeil et de ne plus faire de cauchemars. Caritas l’a aidé aussi à obtenir le statut de « victime de traite » et à rembourser ses frais médicaux. Il a touché l’équivalent de 350 euros, indemnité unique qui correspond à un mois et demi du salaire moyen à Kharkiv.

Kharkiv, seconde ville d’Ukraine avec 1,5 million d’habitants, a conservé de l’ère soviétique des rues disciplinées et la solidarité nationale. Jusqu’ici épargnée par le conflit, en cinq ans la ville a accueilli 200 000 déplacés sur les 1,7 million ayant fui les zones séparatistes.

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Vitali, 64 ans.
Vitali, 64 ans.
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Parmi les victimes des séparatistes pro-russes, Vitali, homme avenant de 64 ans, qui après une jeunesse de délinquant a découvert Dieu en prison et lui consacrait sa vie depuis. « Au début du conflit, raconte-t-il, j’ai voulu ramener les belligérants à la raison. J’essayais de leur faire comprendre qu’il ne sert à rien de se battre. Mais j’ai été kidnappé, torturé, séquestré dans des conditions inhumaines, et rançonné. Très vite, ils ont vu que je n’avais pas d’argent, alors ils m’ont dit : De toute façon, on ne peut pas te libérer. »

Pendant plusieurs semaines, le pauvre homme est resté menotté dans un sous-sol sans chauffage, nourri une fois tous les trois jours. « Voyant que j’allais mourir, poursuit-il en tentant de maîtriser son émotion, ils m’ont donné une dernière chance. Tenter d’aller chercher 5 000 dollars auprès des gens que je connaissais. Si je m’échappais, c’est à mon fils qu’ils s’en prendraient. »

Notre rôle est d’aider tous ceux qui en ont besoin, victimes de guerre et victimes de traite des êtres humains. Guerre et traite sont liées.
Le président de Caritas Ukraine, Andriy Waskowycz


Aussitôt relâché, il est hospitalisé mais reste surveillé. Quand il sort de l’hôpital, il va à Kiev où finalement il apprend que les paramilitaires russes qui l’avaient enlevé ont été rapatriés dans leur pays. L’emprise physique était terminée; pas l'emprise morale. Pris en charge par Caritas Kiev, Vitali est une victime de guerre et une victime de la traite des êtres humains. Peut-on être les deux à la fois ?

Dans son bureau de Kiev, le président de Caritas Ukraine, Andriy Waskowycz, sexagénaire élancé au cheveu blanc et au regard vif, explique que « l’indépendance du pays n’a pas trente ans. Les années soviétiques pèsent encore et influencent les populations russophones des régions orientales. Notre rôle, insiste-t-il, est d’aider tous ceux qui en ont besoin, victimes de guerre et victimes de traite des êtres humains. Il est souvent difficile de distinguer les deux. Guerre et traite sont liées. »

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Petites annonces frauduleuses placardées dans le métro.
Petites annonces frauduleuses placardées dans le métro.
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La traite est aussi une arme de guerre. Le Gouvernement ukrainien a officiellement identifié 17 victimes de traite contraintes par les séparatistes à commettre des crimes. De son côté, pour neutraliser l’ennemi, la Russie n’hésite pas à manipuler.

« En 2014, des petites annonces dans le journal ou dans le métro offraient des emplois de livreurs en Russie avec des salaires attractifs, se souvient Natalia Holynska, chef des programmes de lutte contre la traite des êtres humains à Caritas Ukraine. Deux mille jeunes sont partis. À peine avaient-ils commencé leur travail que la police les a arrêtés, a ouvert les colis, découvert de la drogue et les a envoyés en prison. Condamnés de cinq à douze ans de prison, certains y sont encore. »

Vraisemblablement toutes les 2000 victimes n’ont pas encore été recensées car l’Ukraine n’a identifié que 418 “victimes de traite“ entre 2014 et 2017, selon le rapport du Groupe d’experts (GRETA) du Conseil de l’Europe publié en novembre 2018. Parmi ces 418 victimes, 209 hommes, 169 femmes et 40 enfants. Exploitation sexuelle (87 cas), exploitation à la mendicité (42 cas), prélèvement d’organes (6 cas). Mais l’exploitation la plus importante, avec 256 cas, reste le travail forcé.

offres alléchantes

En 2018, une affaire de traite à grande échelle a éclaté. « On a découvert 90 hommes, tous ukrainiens sauf deux Moldaves, séquestrés sur une exploitation, retenus par des hommes en armes, logés dans des bâtiments insalubres, rationnés en eau et forcés à travailler », relate Igor Tridub, le jeune psychologue qui coordonne la lutte contre la traite des êtres humains à Caritas Kharkiv. « Il s’est avéré que ces victimes étaient des hommes solitaires, souvent SDF. Des proies faciles. Mais certaines victimes sont éduquées et pas forcément pauvres. »

Igor, lui-même, a failli être victime. Au sortir de ses études, cinq ans plus tôt, il décide d’aller travailler en Pologne avec des amis en répondant à une offre alléchante.

« Au dernier moment j’ai changé d’avis mais mon ami est parti. Avec d’autres, il a pris un bus affrété par l’employeur. Tous se sont retrouvés non pas en Pologne mais en Lituanie où ils ont été contraints de vivre et de travailler sur un même lieu sans pouvoir en sortir ni être payés. Ils ont fini par s’échapper et rentrer au pays. »

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Oksana, 29 ans.
Oksana, 29 ans.
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Avec une population d’un peu moins de 45 millions d’habitants (Crimée comprise), une démographie en décroissance constante depuis 1995 et un chômage proche de 10 % et avec des salaires faibles, les jeunes Ukrainiens tentent leur chance ailleurs.

Oksana, 29 ans, jeune femme blonde aux grands yeux clairs, est dans ce cas. Dans les locaux de Caritas où elle vient régulièrement pour un suivi psychologique, elle accepte de nous raconter ce qu’elle a vécu trois ans plus tôt.

« J’étais une mère célibataire, enceinte de mon second enfant. J’ai perdu mes parents quand j’avais 12 ans, le reste de ma famille me rejetait parce que je n’étais pas mariée. Je tenais un blog sur Internet dans lequel je décrivais ma misère. Cela a attiré l’attention d’une femme vivant à Moscou qui, après plusieurs échanges, m’a proposé de venir travailler pour elle.

Là, j’ai découvert quel serait mon travail : élever les trois enfants de cette femme avec les miens.


Avec mes dernières économies, j’ai acheté un billet de train pour mon fils et moi et nous sommes partis. Arrivée à la gare de Moscou, j’ai été prise de contractions et j’ai accouché sur place avant d’être hospitalisée. Au bout d’une semaine la femme qui m’attendait nous a emmenés chez elle.

Là, j’ai découvert quel serait mon travail : élever les trois enfants de cette femme avec les miens. Cette femme n’était pas russe mais ouzbèke, cartomancienne de profession, et soupçonnée par le voisinage de faire de la magie noire. »

Enfermée dans cette maison d’une banlieue éloignée, Oksana ne peut pas sortir et il lui est interdit de communiquer avec l’extérieur. Pendant un an, elle ne verra cette femme qu’une ou deux fois par semaine, le temps d’être ravitaillée. Quant à son salaire, la femme le lui garde, dit-elle, jusqu’à temps qu’elle reparte en Ukraine.

passeport rendu

« Heureusement les voisins n’étaient pas en très bons termes avec ma logeuse, explique-t-elle. Un jour, à travers une fenêtre, j’ai pu parler à l’un d’eux qui a alerté la police. La police est venue et a obligé cette femme à me rendre mon passeport. »

Oksana a été renvoyée dans son pays sans argent et la femme ne semble pas avoir été inquiétée. Prise en charge par Caritas, Oksana travaille aujourd’hui à son compte et vit dans un appartement avec ses deux petits garçons.

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Dans un centre de Caritas à Kiev.
Dans un centre de Caritas à Kiev.
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Le programme de lutte contre la traite de Caritas a aujourd’hui deux volets : l’aide psychologique et la prévention.

Mais cela n’a pas toujours été le cas. Marina Krasnova, chargée des programmes d’aide à Caritas Kharkiv, explique qu’« au début de l’exode, nous nous sommes concentrés sur une aide matérielle d’urgence. Nous étions 120 employés pour faire face à l’afflux. Une fois l’urgence passée, notre aide s’est recentrée sur l’accompagnement social et psychologique. Aujourd’hui, nous ne sommes plus que 35 employés. »

PRÉVENTION

Caritas Ukraine, dont cinq centres sur 33 sont spécialistes de la traite, mise aujourd’hui sur la prévention. Igor, Marina ou Victoria à Kharkiv parcourent les écoles ou les commissariats pour alerter sur les risques d’exploitation.

Par ailleurs, les Caritas locales recensent et recueillent des données utiles pour documenter le pouvoir politique et lui suggérer les mesures à prendre pour stopper ce nouvel esclavage.

Crédits
Nom(s)
© Gaël Kerbaol/Secours Catholique-Caritas France
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