Pour une Europe écologique et sociale

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À l’approche des élections européennes, le Secours Catholique, inquiet de l’évolution de l’Union européenne, a une vision claire des enjeux à venir. Son directeur du plaidoyer et de l’action France-Europe, Jean Merckaert, appelle l’Union européenne à retrouver ses valeurs fondamentales.

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Entretien avec jean Merckaert, directeur action et plaidoyer France au Secours catholique

 

​​JEAN MERCKAERT

 

Secours Catholique : Qu’attendez-vous du renouvellement du Parlement européen, le 26 mai prochain ?

Jean Merckaert : L’Union européenne (UE) doit retrouver l’esprit de ses fondateurs. Au lendemain de l’horreur nazie, il était un peu fou d’adopter un pacte de valeurs humanistes et d’en faire le socle de l’Europe. On peut en être fier.

L’UE nous a aussi épargné de nouvelles guerres, en misant sur le commerce pour pacifier les relations entre les nations. Mais pour les chrétiens, la paix ne se résume pas à l’absence de conflits. Pour l’Église, il n’y a pas de paix sans justice. Or aujourd’hui, avec 117 millions de personnes touchées ou menacées par la pauvreté, l’UE est en panne en termes de justice.

Ce n’est pas une raison pour déserter, ni pour bouder les urnes ! Au contraire, nous avons besoin d’Europe : c’est l’échelle pertinente pour combattre la concurrence fiscale et sociale, pour discipliner les marchés financiers, pour mener une transition énergétique ambitieuse et juste…


S.C. : Comment faire redémarrer l’Europe ?

J.M. : Il faut d’abord éviter deux impasses. La première, c’est le repli sur soi. La seconde, c’est de continuer à n’avoir pour unique boussole que les indicateurs économiques : PIB, compétitivité, déficits publics, rentabilité, profit, autant d’idoles qui empêchent de voir ce qui fait sens.

Mais il y a une voie nouvelle à inventer, celle d’une Europe écologique et solidaire : c’est un défi inédit, passionnant ! Cette voie doit être balisée par un plancher, la dignité humaine, et un plafond, l’écologie. L’écologie car il n’y a pas de justice sociale sans planète habitable.

Actuellement, il faudrait trois planètes pour pouvoir généraliser l’empreinte écologique d’un Européen. Le plancher social, car il n’est pas acceptable, sur un continent prospère, que 700 000 de nos concitoyens vivent sans abri. C’est 70 % de plus qu’il y a dix ans, au moment de la crise financière. Pendant ce temps, on a créé de la monnaie par centaines de milliards pour sauver les banques. Cherchez l’erreur…


S.C. : L’Europe est confrontée à une crise migratoire qui la divise. Que suggère le Secours Catholique ?

J.M. : Il n’y a pas plus de migrants qu’avant : ce n’est pas une crise migratoire, mais bien une crise de nos politiques d’accueil ! Si leur nombre augmente dans nos accueils, c’est parce que les politiques menées sont de plus en plus répressives et conduisent les personnes exilées à vivre dans la misère. C’est le règlement de Dublin qui ballote des jeunes d’un pays à l’autre, sans perspective.

C’est à force de durcir les conditions d’entrée en Europe, et de sous-traiter la gestion de nos frontières à des gouvernements répressifs au sud de la Méditerranée, que les personnes exilées en viennent à prendre tous les risques pour traverser. Les dizaines de milliers de morts dans la Méditerranée sont une tache indélébile sur le drapeau européen.

Mais ce n’est pas une fatalité. Les citoyens européens sont beaucoup plus accueillants que leurs gouvernements. Dernièrement, une majorité d’États membres a signé le Pacte mondial pour les migrations des Nations unies, qui réaffirme l’obligation qui leur est faite de respecter les droits des personnes, quel que soit leur statut. L’UE doit rallier tous les États membres autour de ces valeurs fondamentales.

Le Pacte appelle aussi à mettre en place des voies légales et sûres de migrations. C’est la seule solution raisonnable. Les migrations sont une constante de l’histoire humaine. L’UE ne peut pas, d’un côté, prôner la libre circulation des biens, services et capitaux, en multipliant les accords de libre-échange, et de l’autre, fermer ses frontières aux humains les plus précaires. C’est une contradiction intenable.

Même dans une perspective purement économique, qui n’est pas la nôtre, toutes les études fondées démontrent que les personnes exilées, souvent dans la force de l’âge, déjà formées, rapportent plus par leur force de travail que ce qu’elles ne coûtent à la collectivité.


S.C. : Comment le Secours Catholique peut-il faire entendre sa voix ?

J.M. : L’influence du Secours Catholique n’est pas négligeable. Sa parole est écoutée parce qu’elle est ancrée au plus près des personnes que nous côtoyons, des partenaires internationaux que nous soutenons. Et le Secours Catholique n’agit pas seul. Au niveau européen, il travaille avec Caritas Europa. En France, il participe à la campagne « Pour une Europe solidaire », et à des collectifs thématiques.

Ce travail d’influence est important au moment des élections, mais aussi en cours de mandat, car les eurodéputés ont le pouvoir de changer des choses très concrètes. Ainsi, de nombreuses personnes n’ont pas accès à un compte bancaire, ce qui complique leur vie de tous les jours.

Lors de la dernière mandature, le travail des associations a convaincu l’UE d’obliger chaque État membre à mettre en place un droit au compte. A présent, nous plaidons pour que l’Europe mette la sphère financière au service de l’intérêt général, notamment en mettant au pas de la finance de l’ombre (shadow banking), qui échappe à tous contrôles et fait courir d’énormes risques à nos sociétés, ou en introduisant un bonus/malus écologique dans l’octroi de crédits. Encore faut-il que les instances qui régulent le secteur financier soient indépendantes...

On le voit, les batailles à mener au niveau européen ne manquent pas !

Crédits
Nom(s)
JACQUES DUFFAUT
Nom(s)
© Gaël Kerbaol/Secours Catholique-Caritas France
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