
Comment vaincre la précarité énergétique ?

Un scénario rentable pour rénover d'ici 2025
La précarité énergétique, une déclinaison de la pauvreté
La précarité énergétique frappe d’abord les plus pauvres, qui n’ont pas les moyens de régler des factures dont le montant ne cesse de croître. Le Secours Catholique s’efforce d’identifier et accompagner les personnes concernées, et d’interpeller les pouvoirs publics.
« La précarité énergétique constitue une dimension de la pauvreté et une manière contemporaine d’en saisir les manifestations », analyse Johanna Lees, socio-anthropologue, dans une thèse consacrée au sujet.
Selon elle, le phénomène « touche avec plus de force et d’intensité les populations modestes et très modestes » et représente « une nouvelle figure de la relégation sociale ».
Pas étonnant que le Secours Catholique soit en première ligne face à cette réalité qui gagne du terrain. « L’énergie est devenue, après l’alimentation, le deuxième poste d’aides du Secours Catholique », souligne François Boulot, chargé de mission pour l’association.
« En dix ans, ces aides à l’énergie ont quasiment doublé. » Financières (endettement), sociales (repli sur soi) et même sanitaires (maladies respiratoires), les conséquences de la précarité énergétique font apparaître une spirale.
Payer 130 euros de chauffage par mois, c’est impossible quand on vit sous le seuil de pauvreté.
« Face aux impayés, les gens se débrouillent », témoigne Guy Nécaille, référent au Secours Catholique dans l’Aisne. « Ils abandonnent la chaudière pour des convecteurs électriques ou le poêle à pétrole, bouchent les aérations... Ce système D ne fait qu’augmenter leur précarité. » Sans oublier ceux qui renoncent tout simplement à se chauffer.
« L’enjeu principal est d’aider les gens en grande pauvreté à régler leurs factures, déclare François Boulot. Payer 130 euros de chauffage par mois, c’est impossible quand on vit sous le seuil de pauvreté. » Car si la précarité énergétique se situe au croisement de plusieurs facteurs (prix de l’énergie, qualité du logement, comportements...), l’insuffisance des ressources est déterminante.
Le Secours Catholique plaide donc pour une révision des tarifs sociaux – dont il a contribué à rendre l’application automatique en 2012 –, une augmentation du chèque énergie qui les remplacera en 2018 et une hausse des aides sociales spécifiques (Fonds solidarité énergie, Fonds solidarité logement...), trop limitées et inégales selon les territoires.
L’association se prononce aussi en faveur de la rénovation des “passoires énergétiques”, ces logements énergivores dans lesquels vivent souvent les plus fragiles. Elle appelle les pouvoirs publics à contraindre les propriétaires à rénover, ou à aider, via un accompagnement social, les propriétaires modestes à le faire.
« Mais même si on rénove et que l’on réduit au maximum les factures, rappelle François Boulot, il faudra continuer à aider les plus pauvres car les montants resteront incompatibles avec de faibles revenus. »
Partenariat avec EDF
Pour épauler les ménages exposés aux impayés, le Secours Catholique s’implique, à travers la convention nationale renouvelée depuis sept ans avec EDF. Elle permet aux bénévoles, formés par l’électricien, d’intervenir en urgence quand une famille est menacée de coupure et de négocier un échéancier pour étaler le remboursement des dettes.
Certaines délégations, comme celles de l’Hérault et de l’Ariège-Garonne, qui ont également signé une convention locale avec Engie, ont créé un service spécial. « Nous essayons de voir un peu plus loin que l’aide ponctuelle à la facture, pour ne pas nous contenter de reporter le problème de quelques mois », explique Geneviève Silberstein, qui chapeaute l’accueil énergie de Montpellier.
« En misant sur la pédagogie et l’accompagnement. » Un atelier “éco-gestes” a ainsi été mis en place, préalable obligatoire à toute demande d’aide financière. 40 ateliers ont été organisés en 2015, auprès de 250 personnes.
Derrière des impayés, on découvre de la solitude
En Haute-Garonne, les dossiers, adressés par les travailleurs sociaux, affluent : 768 en 2015, contre 218 en 2011. Ils sont traités techniquement puis “redescendent” dans les équipes locales.
Des bénévoles se déplacent alors au domicile des personnes. « Derrière des impayés d’énergie, on découvre souvent de la solitude, un mal-être familial, une difficulté à gérer un budget... », observe Marie-Hélène Le Prioux du Secours Catholique. « Il nous arrive de ne pas prendre en charge la facture, mais d’aider autrement : en orientant vers l’épicerie solidaire, par exemple. Le but n’est pas de donner à fonds perdus. »
La rencontre à domicile permet aussi de détecter, chez les propriétaires modestes, si des travaux de rénovation pourraient alléger la facture, via le programme national “Habiter mieux”. « Je vis seule avec mon fils, dans une ancienne maison de village, témoigne Sylvie, 45 ans. Serge, le bénévole qui est venu chez moi, a remarqué des défauts d’isolation. Il m’a parlé du programme. J’ai monté un dossier, et les travaux ont commencé. »
Ce travail de repérage et d’accompagnement de proximité, très demandeur en bénévoles sensibilisés, représente un défi important. D’autant que les situations les plus critiques sont aussi, souvent, les moins visibles.
« Pour lutter efficacement, ne pas stigmatiser »
Les ménages les plus concernés par la précarité énergétique sont ceux qui ont le plus de difficulté à connaître les dispositifs actuels. L’une des clés réside dans l’idée de solidarité active entre personnes vulnérables et moins vulnérables pour trouver des solutions communes.
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Entretien avec Jérôme Vignon, vice-président de l’Observatoire national de la précarité énergétique (ONPE) |
Ce n’est pas tant un impact qu’une interaction entre les différentes formes de précarité. On remarque dans les accueils sociaux que les difficultés pour payer son chauffage ou son électricité sont celles qui se manifestent les premières. Et souvent, elles traduisent ou annoncent un état de précarité plus général.
Parce que la tolérance par rapport à un non-paiement de facture d’énergie est relativement grande, comparée au non-paiement d’un loyer ou d’un abonnement Internet, par exemple. Et on accumule les retards jusqu’à ce que ce ne soit plus possible et qu’on doive se faire aider. Ainsi, la précarité énergétique est souvent la forme de précarité qui est la plus visible. Et elle continue à croître malgré les mesures prises.
Des outils comme le « chèque énergie » ou les aides de l’Agence nationale de l’habitat (Anah) ont du mal à toucher les foyers les plus en difficulté. On a un noyau de ménages en grande précarité énergétique, locataires ou propriétaires de « passoires énergétiques », et, autour, un halo assez vaste - qui va jusqu’au 2e décile de revenu - de personnes qui ont froid dans leur logement, ou payent trop cher leurs énergies.
Jusqu’à présent, nos outils touchent le halo sans réussir à atteindre ou soulager vraiment le noyau.
On retrouve les mêmes problèmes que pour la question du non-recours aux prestations sociales, et en particulier au RSA activité. Il y a la complexité des démarches et la crainte de la stigmatisation, d’être repéré comme gérant mal ses ressources ou infligeant de mauvaises conditions de vie à ses enfants.
Certaines expériences sont menées pour éviter la stigmatisation. L’une des pistes explorées est celle de la solidarité active entre personnes précaires, non précaires, vulnérables et moins vulnérables, à partir de l’identification d’un problème commun et de la définition de solutions.
En effet. On a eu pendant quelques années le bénéfice d’une espèce de stabilité réelle du prix de l’énergie qui a pu masquer le problème de fond. Et aussi car cette forme de précarité a longtemps été considérée simplement comme un aspect parmi d’autres de la grande pauvreté.
Aujourd’hui, on se rend compte que c’est un problème à part entière. Et que s’y attaquer spécifiquement peut même être bénéfique dans la lutte contre la précarité en général.
Parce que c’est un domaine où il est facile de solliciter les capacités des personnes et donc de les rendre actrices de la solution. Par exemple, une fois que les travaux d’isolation sont achevés, on peut former les familles et leur confier la gestion de leur consommation d’énergie.
Une fois que les personnes sont dans un processus d’implication personnelle, de reprise de confiance en elles, cela peut faciliter la lutte contre les autres formes de précarité, telles que l’absence d’emploi, de solution de mobilité ou de lien social.
