L'attente des papiers fait mal
Ep.14
Marie-Noëlle

Confinement ou pas, le souci des papiers est permanent pour Marie-Noëlle. Fin novembre, elle a obtenu un nouveau récépissé de demande de titre de séjour, valable jusqu’à la mi-février 2021. Une déception pour la Camerounaise qui espère obtenir un jour le regroupement familial pour ses deux filles aînées.

Ce matin-là, Marie-Noëlle se rend à la préfecture de Bobigny, où elle a pris rendez-vous, afin de venir y retirer un nouveau récépissé de demande de titre de séjour. Bien qu’hébergée à Paris, la maman de 39 ans est domiciliée dans le 93, en Seine-Saint-Denis. C’est donc de cette préfecture dont elle dépend. Au fil des années, Marie-Noëlle a pris l'habitude de ces trajets récurrents à vocation administrative.

Le précédent récépissé de sa demande de renouvellement de carte de séjour expirait le 20 novembre. Jusqu'à cette date, Marie-Noëlle croisait les doigts, espérant obtenir, cette fois, une carte de séjour de deux ans, un précieux sésame. Mais elle doit à nouveau se contenter d’un récépissé valable seulement trois mois.

« Avoir les papiers c’est comme un diplôme. C’est un parcours du combattant », estime la Camerounaise. « Je n’ai pas dormi de la nuit, je suis en colère, poursuit-elle. Je commence à désespérer, je ne comprends pas pourquoi on ne me donne pas un titre de séjour de deux ans. » Pour ce nouveau rendez-vous à la préfecture, Marie-Noëlle a dû négocier avec son travail, afin de pouvoir s’absenter deux heures, le temps de cet aller-retour matinal à Bobigny. « Et dans trois mois, il faut recommencer, c’est tout un stress ! On me dit d’attendre, mais jusqu’à quand ? », s’épuise la maman qui précise que tous les trois mois elle doit aussi faire parvenir son nouveau récépissé aux différents organismes (CAF, Pôle emploi, Sécurité sociale) ainsi qu’à son employeur. Des démarches lourdes par leur répétition.

Avoir les papiers c’est comme un diplôme. C’est un parcours du combattant.

Le parcours d'intégration de Marie-Noëlle, comme pour d'autres, est complexe.

Nous retrouvons Marie-Noëlle en fin de journée, dans la chambre 106 de l’hôtel social du 11e arrondissement de Paris où elle vit. Au mur, dans l’espace qui fait office de salon, une reproduction d’un tableau de Kandinsky et des photos des enfants - tentative précieuse, pour la mère de famille, de personnaliser son lieu de vie. Ses deux aînées prennent leur goûter tandis que Marie-Noëlle couvre le corps du benjamin, Paul-Noé, de beurre de karité, une coutume qui vient de son pays d’origine, le Cameroun.

Le parcours d’intégration de Marie-Noëlle, comme d’autres contraints à quitter leur pays pour une vie meilleure, est complexe. Son fils Paul-Noé, âgé de 4 ans, étant de père français, Marie-Noëlle a légalement le droit de rester en France. Arrivée du Cameroun de manière illégale en 2015, elle a ainsi obtenu sa première carte de séjour valable un an en 2018. « J’avais économisé là-bas pour partir. Je fuyais la pauvreté et voulais tout recommencer à zéro », confie-t-elle. À la naissance de Paul Noé en 2016, elle est mise à l’abri dans des hôtels sociaux. Puis en 2018 elle fait venir Dani – aujourd’hui âgée de 6 ans - et en 2019, Émilie – aujourd’hui âgée de 9 ans. Les deux petites filles sont arrivées en France de manière illégale. On ne saura pas si elles ont pris la mer. « Je ne veux pas en parler, vu tout ce qui se passe pendant le trajet. C’était difficile d’affronter cela, c’est sûr, mais c’est une grâce aujourd’hui de les avoir près de moi », témoigne Marie-Noëlle, bouleversée.

Marie-Noëlle nous parle du renouvellement de son récépissé mais également de son "mixeur", souvenir du pays.

Depuis, la mère de famille n’a toujours pas réussi à obtenir le regroupement familial. Cela lui permettrait, par exemple, de percevoir les allocations de la CAF pour ses deux aînées. Mais des obstacles demeurent. « L’OFII (Office français de l'immigration et de l'intégration) me dit que je dois d’abord obtenir un logement d’au moins 64 m² et aussi avoir un salaire de 1650 € brut », explique Marie-Noëlle. Elle a justement déposé une demande de logement social avec l’aide de son assistante sociale, et envisage de chercher un autre emploi le soir - peut-être assurer des sorties d’école - afin de gagner plus et atteindre ainsi le minimum requis. « C’est pour la bonne cause, pour régulariser la situation des enfants car les filles sont sans-papiers actuellement », souligne Marie-Noëlle.

Son emploi actuel d’agent d’entretien, décroché cet été auprès de la régie de quartier, est payé 1429 € brut par mois. Pour autant, elle s’en satisfait, étant donné les horaires qui lui permettent d’accompagner matins et soirs ses enfants à l’école. Elle n’arrive pas encore à épargner, devant éponger des dettes, notamment celles qu’elle a contractées pour financer la venue de Dani et d’Émilie depuis le Cameroun. « De toute façon, je ne pourrais pas faire autre chose que du ménage ou de la garde d’enfants. Car je ne suis pas allée à l’école au Cameroun. C’est pour ça que je n’arrête pas de dire aux enfants que l’école est importante pour avoir un bon métier plus tard », ajoute-t-elle.

Je n’arrête pas de dire aux enfants que l’école est importante pour avoir un bon métier plus tard.

Un samedi, à l'heure du déjeuner. Marie-Noëlle prépare un plat traditionnel camerounais à base de poisson grillé, de banane plantain et de manioc mariné.

Justement, ce soir-là, elle apprend à Paul Noé à compter jusqu’à 10 avec ses doigts. De son côté Dani révise son anglais. « Je sais dire les couleurs de l’arc-en-ciel », affirme fièrement la petite fille. C’est pour pouvoir réviser avec ses enfants le soir que Marie-Noëlle a mis fin à ses ménages dans une banque, un petit job qu’elle occupait l’été dernier. « Je garde espoir, je vais trouver autre chose plus tard et ça ira pour le regroupement familial », veut-elle croire.

En attendant, Marie-Noëlle vit tout de même avec la peur au ventre en raison du coronavirus et du reconfinement. « Même si je travaille encore cette fois-ci, toute la vie s’arrête de nouveau. On ne peut plus voir les amis et les filles râlent parce qu’elles doivent mettre un masque à l’école. On ne sait pas qui est malade, c’est stressant », pointe-t-elle. Le confinement la prive notamment de son amie coiffeuse qui, habituellement, lui change de coiffure en soirée, après 21 heures. Une fois les cheveux violets, une fois roses, une autre fois lissés ou crépus : Marie-Noëlle comme ses deux filles adoptent ainsi différentes coupes, une coutume là encore ramenée du Cameroun.

Ce soir-là, Dani révise son anglais et Marie-Noëlle apprend à Paul Noé à compter jusqu’à 10 avec ses doigts.

« À cause du virus, la préfecture ne reçoit plus sans rendez-vous. Ça aussi c’est stressant. Et c’est compliqué d’obtenir un nouveau rendez-vous », relève encore Marie-Noëlle, avant de conclure : « Comment je vais faire sans nouveau titre de séjour ? Dani m’a demandé si c’est à cause d’eux, les enfants, que je n’ai pas les papiers, les filles ne comprennent pas. Cette attente fait mal ». Et la Camerounaise sèche ses larmes, un sanglot dans la voix.

Je garde espoir, je vais trouver autre chose plus tard et ça ira pour le regroupement familial.

éclairage
Régularisation, le parcours du combattant

Chaque année, le Secours Catholique alerte sur la situation de grande pauvreté de nombreux ménages étrangers, dont des familles avec enfants. Ils représentent désormais plus de la moitié des personnes que l’association accompagne. Pour certains migrants, avoir un emploi est tout simplement impossible, du fait du statut administratif instable qui les prive du droit de travailler. Pour tous, le chemin vers l’intégration dans la société d’accueil est un parcours semé d’embûches. 

Témoignages autour de la migration à (re)découvrir
"Que feriez-vous sans vos droits" est un webdocumentaire réalisé par le Secours Catholique. Il vous propose de rencontrer, au gré de reportages photos et d’entretiens filmés, Aosama, Lynda et Oumou, trois témoins, en France, de ce chemin difficile vers l’obtention d’un statut, de papiers, et au bout, l’intégration.
L'attente des papiers fait mal
Ep.14
Marie-Noëlle

Confinement ou pas, le souci des papiers est permanent pour Marie-Noëlle. Fin novembre, elle a obtenu un nouveau récépissé de demande de titre de séjour, valable jusqu’à la mi-février 2021. Une déception pour la Camerounaise qui espère obtenir un jour le regroupement familial pour ses deux filles aînées.

Ce matin-là, Marie-Noëlle se rend à la préfecture de Bobigny, où elle a pris rendez-vous, afin de venir y retirer un nouveau récépissé de demande de titre de séjour. Bien qu’hébergée à Paris, la maman de 39 ans est domiciliée dans le 93, en Seine-Saint-Denis. C’est donc de cette préfecture dont elle dépend. Au fil des années, Marie-Noëlle a pris l'habitude de ces trajets récurrents à vocation administrative.

Le précédent récépissé de sa demande de renouvellement de carte de séjour expirait le 20 novembre. Jusqu'à cette date, Marie-Noëlle croisait les doigts, espérant obtenir, cette fois, une carte de séjour de deux ans, un précieux sésame. Mais elle doit à nouveau se contenter d’un récépissé valable seulement trois mois.

« Avoir les papiers c’est comme un diplôme. C’est un parcours du combattant », estime la Camerounaise. « Je n’ai pas dormi de la nuit, je suis en colère, poursuit-elle. Je commence à désespérer, je ne comprends pas pourquoi on ne me donne pas un titre de séjour de deux ans. » Pour ce nouveau rendez-vous à la préfecture, Marie-Noëlle a dû négocier avec son travail, afin de pouvoir s’absenter deux heures, le temps de cet aller-retour matinal à Bobigny. « Et dans trois mois, il faut recommencer, c’est tout un stress ! On me dit d’attendre, mais jusqu’à quand ? », s’épuise la maman qui précise que tous les trois mois elle doit aussi faire parvenir son nouveau récépissé aux différents organismes (CAF, Pôle emploi, Sécurité sociale) ainsi qu’à son employeur. Des démarches lourdes par leur répétition.

Avoir les papiers c’est comme un diplôme. C’est un parcours du combattant.

Le parcours d'intégration de Marie-Noëlle, comme pour d'autres, est complexe.

Nous retrouvons Marie-Noëlle en fin de journée, dans la chambre 106 de l’hôtel social du 11e arrondissement de Paris où elle vit. Au mur, dans l’espace qui fait office de salon, une reproduction d’un tableau de Kandinsky et des photos des enfants - tentative précieuse, pour la mère de famille, de personnaliser son lieu de vie. Ses deux aînées prennent leur goûter tandis que Marie-Noëlle couvre le corps du benjamin, Paul-Noé, de beurre de karité, une coutume qui vient de son pays d’origine, le Cameroun.

Le parcours d’intégration de Marie-Noëlle, comme d’autres contraints à quitter leur pays pour une vie meilleure, est complexe. Son fils Paul-Noé, âgé de 4 ans, étant de père français, Marie-Noëlle a légalement le droit de rester en France. Arrivée du Cameroun de manière illégale en 2015, elle a ainsi obtenu sa première carte de séjour valable un an en 2018. « J’avais économisé là-bas pour partir. Je fuyais la pauvreté et voulais tout recommencer à zéro », confie-t-elle. À la naissance de Paul Noé en 2016, elle est mise à l’abri dans des hôtels sociaux. Puis en 2018 elle fait venir Dani – aujourd’hui âgée de 6 ans - et en 2019, Émilie – aujourd’hui âgée de 9 ans. Les deux petites filles sont arrivées en France de manière illégale. On ne saura pas si elles ont pris la mer. « Je ne veux pas en parler, vu tout ce qui se passe pendant le trajet. C’était difficile d’affronter cela, c’est sûr, mais c’est une grâce aujourd’hui de les avoir près de moi », témoigne Marie-Noëlle, bouleversée.

Marie-Noëlle nous parle du renouvellement de son récépissé mais également de son "mixeur", souvenir du pays.

Depuis, la mère de famille n’a toujours pas réussi à obtenir le regroupement familial. Cela lui permettrait, par exemple, de percevoir les allocations de la CAF pour ses deux aînées. Mais des obstacles demeurent. « L’OFII (Office français de l'immigration et de l'intégration) me dit que je dois d’abord obtenir un logement d’au moins 64 m² et aussi avoir un salaire de 1650 € brut », explique Marie-Noëlle. Elle a justement déposé une demande de logement social avec l’aide de son assistante sociale, et envisage de chercher un autre emploi le soir - peut-être assurer des sorties d’école - afin de gagner plus et atteindre ainsi le minimum requis. « C’est pour la bonne cause, pour régulariser la situation des enfants car les filles sont sans-papiers actuellement », souligne Marie-Noëlle.

Son emploi actuel d’agent d’entretien, décroché cet été auprès de la régie de quartier, est payé 1429 € brut par mois. Pour autant, elle s’en satisfait, étant donné les horaires qui lui permettent d’accompagner matins et soirs ses enfants à l’école. Elle n’arrive pas encore à épargner, devant éponger des dettes, notamment celles qu’elle a contractées pour financer la venue de Dani et d’Émilie depuis le Cameroun. « De toute façon, je ne pourrais pas faire autre chose que du ménage ou de la garde d’enfants. Car je ne suis pas allée à l’école au Cameroun. C’est pour ça que je n’arrête pas de dire aux enfants que l’école est importante pour avoir un bon métier plus tard », ajoute-t-elle.

Je n’arrête pas de dire aux enfants que l’école est importante pour avoir un bon métier plus tard.

Un samedi, à l'heure du déjeuner. Marie-Noëlle prépare un plat traditionnel camerounais à base de poisson grillé, de banane plantain et de manioc mariné.

Justement, ce soir-là, elle apprend à Paul Noé à compter jusqu’à 10 avec ses doigts. De son côté Dani révise son anglais. « Je sais dire les couleurs de l’arc-en-ciel », affirme fièrement la petite fille. C’est pour pouvoir réviser avec ses enfants le soir que Marie-Noëlle a mis fin à ses ménages dans une banque, un petit job qu’elle occupait l’été dernier. « Je garde espoir, je vais trouver autre chose plus tard et ça ira pour le regroupement familial », veut-elle croire.

En attendant, Marie-Noëlle vit tout de même avec la peur au ventre en raison du coronavirus et du reconfinement. « Même si je travaille encore cette fois-ci, toute la vie s’arrête de nouveau. On ne peut plus voir les amis et les filles râlent parce qu’elles doivent mettre un masque à l’école. On ne sait pas qui est malade, c’est stressant », pointe-t-elle. Le confinement la prive notamment de son amie coiffeuse qui, habituellement, lui change de coiffure en soirée, après 21 heures. Une fois les cheveux violets, une fois roses, une autre fois lissés ou crépus : Marie-Noëlle comme ses deux filles adoptent ainsi différentes coupes, une coutume là encore ramenée du Cameroun.

Ce soir-là, Dani révise son anglais et Marie-Noëlle apprend à Paul Noé à compter jusqu’à 10 avec ses doigts.

« À cause du virus, la préfecture ne reçoit plus sans rendez-vous. Ça aussi c’est stressant. Et c’est compliqué d’obtenir un nouveau rendez-vous », relève encore Marie-Noëlle, avant de conclure : « Comment je vais faire sans nouveau titre de séjour ? Dani m’a demandé si c’est à cause d’eux, les enfants, que je n’ai pas les papiers, les filles ne comprennent pas. Cette attente fait mal ». Et la Camerounaise sèche ses larmes, un sanglot dans la voix.

Je garde espoir, je vais trouver autre chose plus tard et ça ira pour le regroupement familial.

éclairage
Régularisation, le parcours du combattant

Chaque année, le Secours Catholique alerte sur la situation de grande pauvreté de nombreux ménages étrangers, dont des familles avec enfants. Ils représentent désormais plus de la moitié des personnes que l’association accompagne. Pour certains migrants, avoir un emploi est tout simplement impossible, du fait du statut administratif instable qui les prive du droit de travailler. Pour tous, le chemin vers l’intégration dans la société d’accueil est un parcours semé d’embûches. 

Témoignages autour de la migration à (re)découvrir
"Que feriez-vous sans vos droits" est un webdocumentaire réalisé par le Secours Catholique. Il vous propose de rencontrer, au gré de reportages photos et d’entretiens filmés, Aosama, Lynda et Oumou, trois témoins, en France, de ce chemin difficile vers l’obtention d’un statut, de papiers, et au bout, l’intégration.