On ferme les yeux et on avance
Ep.6
Daniel

Le métier de Daniel, cuisinier, demande un investissement total pour un salaire restreint. Depuis le déconfinement, il doit à nouveau compter sur l'aide de sa mère, retraitée, pour assurer son rôle de père célibataire en garde alternée.

Alors que septembre est souvent synonyme de retour au travail, Daniel ne rêve que de vacances. « Je suis fatigué, fatigué », soupire le cuisinier. Son restaurant, situé dans une ruelle de Sète (Hérault) reliant les Halles aux quais du canal, a vécu un été « intense ». C'est un soulagement.

Après les huit semaines de confinement qui ont paralysé la restauration et contraint Daniel au chômage partiel, la relance du tourisme était cruciale pour espérer stabiliser sa situation. Mais le retour au travail marque aussi celui de difficultés pour ce père de famille séparé.

Daniel vit avec Aïryne, 16 ans, sa fille aînée. Une semaine sur deux, il accueille aussi Lounys, 10 ans, Lonha 9 ans et Lylho, 6 ans, ses trois autres enfants d'une seconde union, en garde alternée.

Le cuisinier n'avait conservé qu'un seul bon souvenir du confinement : l'opportunité de passer du temps avec eux. Désormais, leur garde s'avère à nouveau un casse-tête, en plus d'un budget conséquent. « La restauration et la vie de famille, assène-t-il, ça ne va pas bien ensemble. »

J'étais tendu tout le temps, même hors travail. Je pensais toujours aux commandes.

Daniel a découvert le métier de cuisinier à une époque où « l'école, ce n'était pas trop pour (lui) ». « J'étais un petit con, sourit-il, mais mon maître d'apprentissage ne m'a pas laissé tomber. Il a vu ce qu'il y avait de bon en moi alors que l'avenir était obscur. La cuisine est devenue une passion. »

À Paris, puis Montpellier, il enchaîne les CDI, jusqu'à empocher 3 000 euros net par mois dans un restaurant chic. La contrepartie ? Un rythme infernal. « J'étais tendu tout le temps, même hors travail. Je pensais toujours aux commandes. » Au point de négocier une rupture conventionnelle pour éviter de craquer.

« Financièrement, la bonne période s'est arrêtée », constate-t-il. Après plus d'un semestre sans emploi, Daniel a trouvé son poste actuel en juillet 2019. Les journées sont toujours denses. « Je commence entre 8 et 9 heures et travaille jusqu’à 15 heures, décrit le cuisinier. Je reprends de 18 heures à 23 heures. »

Quand il a la garde des enfants, Daniel s'autorise parfois à aller les chercher à l'école à Lunel, près de Montpellier, sur sa coupure. En fin de mois, il évite. L'essence lui coûte plus de 200 euros mensuels pour le seul parcours « maison - boulot ». « Il y a un parc, à Sète. Je m'y pose et passe le temps avec mon téléphone. »

Je commence entre 8 et 9 heures et travaille jusqu’à 15 heures. Et je reprends de 18 heures à 23 heures.

Daniel, ses enfants et sa mère dans le jardin de sa maison.

Celle qui le remplace alors à la sortie de l'école, c'est Claunide, 68 ans. La mère de Daniel — « la clé de voûte de la famille », insiste son fils unique. « Je suis toujours là pour les petits », glisse d'une voix douce, comme une évidence, cette ex-femme de service, veuve et retraitée, au crâne orné de deux tresses épaisses.

Claunide travaillait pour des particuliers et des entreprises. Elle a dû cesser en 2013, avant l'âge de la retraite à taux plein, pour raison de santé. Sa pension s'élève aujourd'hui à 900 euros. La grand-mère s'est installée à Lunel, près de Montpellier, pour suivre son fils dans l'Hérault.

Je suis toujours là pour les petits.

Les premiers mois loin de Paris l'ont éprouvée. « Je n'avais plus d'activité, plus de collègues, plus de compatriotes », regrette cette native de Saint-Raphaël, au nord d'Haïti, où vivent encore ses frères et sœurs.

Une semaine sur deux, hormis les jours de relâche de Daniel, elle héberge ses petits-enfants dans son deux-pièces, un logement social. « Je les emmène et vais les chercher à l’école, je leur donne le bain, la douche, les repas, tout ! C’est fatiguant, mais ce sont les enfants de mon fils. On n’a pas le choix. »

Cet été, Claunide s'est installée chez Daniel à Saint-Brès, un village aux maisons de pierre ocre, près de Lunel, pour s'occuper de ses petits-enfants. Le centre aéré ? Trop cher. Et trop risqué par temps d'épidémie. « Pour ma mère, ce serait une prise de risque supplémentaire », explique Daniel.

Lonha et Lylho ont pris leurs crayons pour s'exprimer sur les mesures barrières et le coronavirus.

Daniel alloue plus de la moitié de son budget mensuel dans le loyer de sa maison.

Le cuisinier dépense plus de 900 euros par mois de loyer pour sa maison d'une superficie de 80 m2. S'il pouvait facilement y faire face avec son ancien salaire, ce poste de dépense grignote aujourd'hui « plus de la moitié de (ses) revenus ».

Mais impossible de trouver moins cher en cochant les cases qu'il s'est fixées, assure-t-il : la proximité de Lunel et du Gard, où vit la mère des enfants ; assez de place pour qu'Aïryne, l'adolescente, ait sa chambre à l'étage et les « trois petits » la leur au rez-de-chaussée ; et un petit jardin, pour s'aérer et se dépenser, dans un quartier pavillonnaire, paisible, où Daniel n'a pas à « s'inquiéter pour leurs fréquentations ». Cet été, la piscine gonflable a fait passer plus vite les journées de canicule.

En cette rentrée, la reprise de l'école pèse aussi sur le budget de la famille. Le gros des dépenses est couvert par la mère des enfants de Daniel, qui perçoit les allocations de rentrée scolaire.

Leur père a toutefois tenu à acheter quelques crayons, des stylos et un cartable neuf à Lylho, la cadette. « On arrive vite à 50 euros », grince-t-il.

Cette année ajoute une contrainte : l'achat de masques pour Aïryne et Lounys, qui entre au collège. Daniel s’en est procuré un petit stock en tissu. L’option des masques chirurgicaux, jetables, n’était pas envisageable. « Il y en a pour 30 à 50 euros la boîte et il faut les changer toutes les trois heures… »

Pour l'heure, l'activité trépidante de l''été permet à Daniel d'imaginer l'avenir plus sereinement que début juillet. Avec les heures supplémentaires, son salaire a grimpé de 1 600 euros net à 1 700, voire 2 000 euros. « J'arrive à sec une semaine et demi avant la fin du mois. Avant, c'était dès le début, résume-t-il. Ça va de mieux en mieux. »

La famille continue de recourir chaque semaine à l'aide de la Banque alimentaire car, dès septembre, le salaire de Daniel retrouvera son montant habituel. « C'est ce qui fait que, même si on ne roule pas sur l'or, on arrive à vivre », estime-t-il.

Pour les vacances, toutefois, le cuisinier devra patienter au moins jusqu'en octobre. « Le rythme est crevant, tranche-t-il, mais quand on est dedans, on ferme les yeux et on avance. »

J'arrive à sec une semaine et demi avant la fin du mois. Avant, c'était dès le début. Ça va de mieux en mieux.

éclairage
La monoparentalité, un facteur de précarité

Une famille monoparentale comporte un parent isolé et un ou plusieurs enfants célibataires, selon la définition de l'Insee. En 2017, 28% des ménages rencontrés par le Secours catholique se trouvaient dans cette situation. De multiples études attestent d'un lien entre précarité et monoparentalité. L'année où elle commence à élever seule un ou plusieurs enfants, une mère voit ainsi son niveau de vie médian chuter de 27%, et un père de 17%, selon une étude de l'Insee en Bourgogne-Franche-Comté. Un quart des nouvelles familles monoparentales basculent sous le seuil de pauvreté.

Les dépenses de logement pèsent particulièrement lourd sur les familles monoparentales. Une enquête de l'Insee menée en Occitanie, dont l'Hérault fait partie, révèle que seules 33% d'entre elles ont accès à la propriété, contre 68% des couples avec enfants. Par ailleurs, 15% vivent dans un logement suroccupé, contre 5% des autres familles. Si les femmes représentent autour de 80% des « monoparents », la part des hommes augmente progressivement du fait du recours de plus en plus fréquent à la résidence alternée après une séparation ou un divorce.

Ces derniers mois, l'association Parents Solos et Compagnie a alerté sur les conséquences négatives du confinement sur les familles monoparentales : solitude et isolement accrus, charge mentale amplifiée par la fermeture des écoles, mais aussi risques pour l'emploi, alors que les parents célibataires sont déjà pénalisés sur le marché du travail. « La charge d'enfant fait obstacle à certains emplois (disponibilité, amplitudes horaires), limite les perspectives de carrière, contraint les moins qualifié.es à accepter des temps partiels ou des emplois aux temps hachés », note-t-elle.

On ferme les yeux et on avance
Ep.6
Daniel

Le métier de Daniel, cuisinier, demande un investissement total pour un salaire restreint. Depuis le déconfinement, il doit à nouveau compter sur l'aide de sa mère, retraitée, pour assurer son rôle de père célibataire en garde alternée.

Alors que septembre est souvent synonyme de retour au travail, Daniel ne rêve que de vacances. « Je suis fatigué, fatigué », soupire le cuisinier. Son restaurant, situé dans une ruelle de Sète (Hérault) reliant les Halles aux quais du canal, a vécu un été « intense ». C'est un soulagement.

Après les huit semaines de confinement qui ont paralysé la restauration et contraint Daniel au chômage partiel, la relance du tourisme était cruciale pour espérer stabiliser sa situation. Mais le retour au travail marque aussi celui de difficultés pour ce père de famille séparé.

Daniel vit avec Aïryne, 16 ans, sa fille aînée. Une semaine sur deux, il accueille aussi Lounys, 10 ans, Lonha 9 ans et Lylho, 6 ans, ses trois autres enfants d'une seconde union, en garde alternée.

Le cuisinier n'avait conservé qu'un seul bon souvenir du confinement : l'opportunité de passer du temps avec eux. Désormais, leur garde s'avère à nouveau un casse-tête, en plus d'un budget conséquent. « La restauration et la vie de famille, assène-t-il, ça ne va pas bien ensemble. »

J'étais tendu tout le temps, même hors travail. Je pensais toujours aux commandes.

Daniel a découvert le métier de cuisinier à une époque où « l'école, ce n'était pas trop pour (lui) ». « J'étais un petit con, sourit-il, mais mon maître d'apprentissage ne m'a pas laissé tomber. Il a vu ce qu'il y avait de bon en moi alors que l'avenir était obscur. La cuisine est devenue une passion. »

À Paris, puis Montpellier, il enchaîne les CDI, jusqu'à empocher 3 000 euros net par mois dans un restaurant chic. La contrepartie ? Un rythme infernal. « J'étais tendu tout le temps, même hors travail. Je pensais toujours aux commandes. » Au point de négocier une rupture conventionnelle pour éviter de craquer.

« Financièrement, la bonne période s'est arrêtée », constate-t-il. Après plus d'un semestre sans emploi, Daniel a trouvé son poste actuel en juillet 2019. Les journées sont toujours denses. « Je commence entre 8 et 9 heures et travaille jusqu’à 15 heures, décrit le cuisinier. Je reprends de 18 heures à 23 heures. »

Quand il a la garde des enfants, Daniel s'autorise parfois à aller les chercher à l'école à Lunel, près de Montpellier, sur sa coupure. En fin de mois, il évite. L'essence lui coûte plus de 200 euros mensuels pour le seul parcours « maison - boulot ». « Il y a un parc, à Sète. Je m'y pose et passe le temps avec mon téléphone. »

Je commence entre 8 et 9 heures et travaille jusqu’à 15 heures. Et je reprends de 18 heures à 23 heures.

Daniel, ses enfants et sa mère dans le jardin de sa maison.

Celle qui le remplace alors à la sortie de l'école, c'est Claunide, 68 ans. La mère de Daniel — « la clé de voûte de la famille », insiste son fils unique. « Je suis toujours là pour les petits », glisse d'une voix douce, comme une évidence, cette ex-femme de service, veuve et retraitée, au crâne orné de deux tresses épaisses.

Claunide travaillait pour des particuliers et des entreprises. Elle a dû cesser en 2013, avant l'âge de la retraite à taux plein, pour raison de santé. Sa pension s'élève aujourd'hui à 900 euros. La grand-mère s'est installée à Lunel, près de Montpellier, pour suivre son fils dans l'Hérault.

Je suis toujours là pour les petits.

Les premiers mois loin de Paris l'ont éprouvée. « Je n'avais plus d'activité, plus de collègues, plus de compatriotes », regrette cette native de Saint-Raphaël, au nord d'Haïti, où vivent encore ses frères et sœurs.

Une semaine sur deux, hormis les jours de relâche de Daniel, elle héberge ses petits-enfants dans son deux-pièces, un logement social. « Je les emmène et vais les chercher à l’école, je leur donne le bain, la douche, les repas, tout ! C’est fatiguant, mais ce sont les enfants de mon fils. On n’a pas le choix. »

Cet été, Claunide s'est installée chez Daniel à Saint-Brès, un village aux maisons de pierre ocre, près de Lunel, pour s'occuper de ses petits-enfants. Le centre aéré ? Trop cher. Et trop risqué par temps d'épidémie. « Pour ma mère, ce serait une prise de risque supplémentaire », explique Daniel.

Lonha et Lylho ont pris leurs crayons pour s'exprimer sur les mesures barrières et le coronavirus.

Daniel alloue plus de la moitié de son budget mensuel dans le loyer de sa maison.

Le cuisinier dépense plus de 900 euros par mois de loyer pour sa maison d'une superficie de 80 m2. S'il pouvait facilement y faire face avec son ancien salaire, ce poste de dépense grignote aujourd'hui « plus de la moitié de (ses) revenus ».

Mais impossible de trouver moins cher en cochant les cases qu'il s'est fixées, assure-t-il : la proximité de Lunel et du Gard, où vit la mère des enfants ; assez de place pour qu'Aïryne, l'adolescente, ait sa chambre à l'étage et les « trois petits » la leur au rez-de-chaussée ; et un petit jardin, pour s'aérer et se dépenser, dans un quartier pavillonnaire, paisible, où Daniel n'a pas à « s'inquiéter pour leurs fréquentations ». Cet été, la piscine gonflable a fait passer plus vite les journées de canicule.

En cette rentrée, la reprise de l'école pèse aussi sur le budget de la famille. Le gros des dépenses est couvert par la mère des enfants de Daniel, qui perçoit les allocations de rentrée scolaire.

Leur père a toutefois tenu à acheter quelques crayons, des stylos et un cartable neuf à Lylho, la cadette. « On arrive vite à 50 euros », grince-t-il.

Cette année ajoute une contrainte : l'achat de masques pour Aïryne et Lounys, qui entre au collège. Daniel s’en est procuré un petit stock en tissu. L’option des masques chirurgicaux, jetables, n’était pas envisageable. « Il y en a pour 30 à 50 euros la boîte et il faut les changer toutes les trois heures… »

Pour l'heure, l'activité trépidante de l''été permet à Daniel d'imaginer l'avenir plus sereinement que début juillet. Avec les heures supplémentaires, son salaire a grimpé de 1 600 euros net à 1 700, voire 2 000 euros. « J'arrive à sec une semaine et demi avant la fin du mois. Avant, c'était dès le début, résume-t-il. Ça va de mieux en mieux. »

La famille continue de recourir chaque semaine à l'aide de la Banque alimentaire car, dès septembre, le salaire de Daniel retrouvera son montant habituel. « C'est ce qui fait que, même si on ne roule pas sur l'or, on arrive à vivre », estime-t-il.

Pour les vacances, toutefois, le cuisinier devra patienter au moins jusqu'en octobre. « Le rythme est crevant, tranche-t-il, mais quand on est dedans, on ferme les yeux et on avance. »

J'arrive à sec une semaine et demi avant la fin du mois. Avant, c'était dès le début. Ça va de mieux en mieux.

éclairage
La monoparentalité, un facteur de précarité

Une famille monoparentale comporte un parent isolé et un ou plusieurs enfants célibataires, selon la définition de l'Insee. En 2017, 28% des ménages rencontrés par le Secours catholique se trouvaient dans cette situation. De multiples études attestent d'un lien entre précarité et monoparentalité. L'année où elle commence à élever seule un ou plusieurs enfants, une mère voit ainsi son niveau de vie médian chuter de 27%, et un père de 17%, selon une étude de l'Insee en Bourgogne-Franche-Comté. Un quart des nouvelles familles monoparentales basculent sous le seuil de pauvreté.

Les dépenses de logement pèsent particulièrement lourd sur les familles monoparentales. Une enquête de l'Insee menée en Occitanie, dont l'Hérault fait partie, révèle que seules 33% d'entre elles ont accès à la propriété, contre 68% des couples avec enfants. Par ailleurs, 15% vivent dans un logement suroccupé, contre 5% des autres familles. Si les femmes représentent autour de 80% des « monoparents », la part des hommes augmente progressivement du fait du recours de plus en plus fréquent à la résidence alternée après une séparation ou un divorce.

Ces derniers mois, l'association Parents Solos et Compagnie a alerté sur les conséquences négatives du confinement sur les familles monoparentales : solitude et isolement accrus, charge mentale amplifiée par la fermeture des écoles, mais aussi risques pour l'emploi, alors que les parents célibataires sont déjà pénalisés sur le marché du travail. « La charge d'enfant fait obstacle à certains emplois (disponibilité, amplitudes horaires), limite les perspectives de carrière, contraint les moins qualifié.es à accepter des temps partiels ou des emplois aux temps hachés », note-t-elle.