On vit au jour le jour
Ep.12
Laurence et Raphaël

Entre des charges importantes, plusieurs crédits à rembourser, et des revenus fluctuants, Raphaël et Laurence étaient financièrement sur la corde raide. Une baisse brutale de leurs ressources lors du confinement, au printemps, est venue bouleverser ce fragile équilibre budgétaire.

Laurence ouvre sur la table du séjour un cahier d’écolier. Les pages à grand carreaux sont noircies de son écriture fine et appliquée. La mère de famille y note consciencieusement chaque dépense réalisée par le couple : « Loyer : 883€ ; assurance voiture : 94€ ; Gaz et électricité : 194€ ;  eau : 54 € ; assurance habitation : 30 € ; téléphones, internet et redevance TV : 180 € ; cantine : 168 euros… » Elle fouille à nouveau dans l’armoire du salon et en sort une chemise plastifiée noire pleine à craquer. Elle l’ouvre et en extrait des dizaines de factures impayées, significations de retards de paiement, menaces de saisies… qu’elle étale sur la toile cirée. Depuis quelques mois, Laurence et Raphaël vivent au rythme des visites d’huissiers et des lettres de relance, plus ou moins pressantes, envoyées par des créanciers ou des cabinets de recouvrement. « Je ne les ouvre même plus, je sais déjà ce qu’il y a dedans », dit Raphaël, résigné.

Il traîne comme un boulet trois crédits revolving pris entre 2018 et 2019, le premier pour acheter une voiture, le second pour la faire réparer quelques mois plus tard, et le troisième pour changer leur lit. À chaque fois, les cartes étaient créditées d’un montant bien plus important que ce dont il avait besoin. « Mais c’est trop tentant, c’est un piège, avoue-t-il. Il te manque un peu d’argent à la fin du mois, alors quand tu vas faire tes courses, tu prends la carte. »

Laurence ouvre une chemise plastifiée et en extrait des dizaines de factures impayées, significations de retards de paiement, menaces de saisies…

Il te manque un peu d’argent à la fin du mois, alors quand tu vas faire tes courses, tu prends la carte.

Jusqu’en février, ça passait car Raphaël gagnait suffisamment avec son métier de chauffeur de poids lourd pour assumer les remboursements. En novembre 2019, il s’était même permis de lâcher son troisième « boulot » de livreur de pizzas le soir, car les grosses journées de travail jusqu’à 23h le fatiguaient. Il voulait aussi plus profiter de ses deux derniers enfants, Inaya et Tyméo.

C’est également pour cette raison qu’il a entrepris de se reconvertir début mars, dans le but de se rapprocher de la maison. Il avait trouvé, via Pôle emploi, un contrat d’apprentissage d’ouvrier avicole dans une ferme des environs, rémunéré 700 euros, qui devait déboucher sur un CDI.

Forcément ses revenus allaient baisser. C’était prévu. Le salaire de sa femme devait leur permettre de traverser cette période critique. Mais la crise sanitaire et la perte d’emploi de Laurence ont tout chamboulé.

Pendant le confinement, le budget des courses a explosé, on ne trouvait plus les premiers prix en rayon.

À partir du mois de mars, leurs ressources mensuelles ont chuté de plus de 1300 euros. « Et pendant le confinement, le budget des courses a explosé, on ne trouvait plus les premiers prix en rayon. » Résultat, s’ils ont toujours réglé leur loyer,  « on ne pouvait plus payer toutes les factures », expliquent-ils. Électricité, gaz, assurances voiture, scolaire et habitation, crédits à la consommation, frais bancaires… Pendant trois mois, les impayés se sont accumulés.

À la sortie du confinement, Raphaël a quitté son emploi d’ouvrier avicole, pour un CDDI de chauffeur dans une déchetterie, rémunéré le double. Mais dans le même temps, les indemnités chômage de sa femme ont baissé, jusqu’à être amputées d’un tiers au mois d’août. Alors pour compenser, le presque quinquagénaire a repris les livraisons de pizza le soir.

Électricité, gaz, assurances voiture, scolaire et habitation, crédits à la consommation, frais bancaires… Pendant trois mois, les impayés se sont accumulés.

Mais ce n’est pas suffisant. Malgré les trois salaires de Raphaël, la liquidation des comptes d’épargne ouverts pour les enfants et l’échelonnement de certains paiements, le couple n’arrive pas à éponger les dettes issues du confinement. D’autant plus que s’y est ajouté un surplus de facture d’électricité de 2500 euros, tombé au mois d’août – « ce sont les frais de chauffage, précise Laurence. Notre maison est très mal isolée et les radiateurs ne sont pas adaptés à la surface des pièces » –, et 816 euros réclamés par la Caf en septembre. « Ils nous ont versé 408 euros mensuels d’aide au logement en juin, juillet et août, explique Laurence. Puis ils se sont rendus compte qu’ils n’auraient pas dû nous les verser en juillet et août car Raphaël avait changé de travail. Ce n’est quand même pas notre faute s’ils se sont trompés. Du coup, ils se remboursent en ne nous versant plus nos 131 euros d’allocations familiales. »

Pris à la gorge, le couple a fini par se résoudre à monter, avec l’assistante sociale, un dossier de surendettement dont la procédure devrait prendre quelques mois.

La chute précoce des températures, dès le mois octobre, est une mauvaise nouvelle. « Heureusement les travaux d’isolation des combles qu’on attendait depuis novembre, ont été faits en juin, précisent-ils. Cela devrait diminuer le coût du chauffage. » Raphaël et Laurence ont du mal à se projeter. Ils vivent « au jour le jour ».

J’essaye de ne même plus être préoccupée par la situation. Sinon, je n’en dors plus la nuit.

éclairage
Budget des ménages : les choix impossibles
Chaque année, le Secours Catholique, qui rencontre dans ses accueils près de 1,4 million de personnes, publie son rapport statistique "État de la pauvreté en France". Cette année, l'association propose une étude détaillée des budgets des ménages les plus modestes et met en lumière les "choix impossibles" que ces derniers doivent opérer pour (sur)vivre. Pour Pascale Novelli, statisticienne et co-auteure du rapport, le témoignage de Laurence et Raphaël est, à bien des égards, emblématique.
On vit au jour le jour
Ep.12
Laurence et Raphaël

Entre des charges importantes, plusieurs crédits à rembourser, et des revenus fluctuants, Raphaël et Laurence étaient financièrement sur la corde raide. Une baisse brutale de leurs ressources lors du confinement, au printemps, est venue bouleverser ce fragile équilibre budgétaire.

Laurence ouvre sur la table du séjour un cahier d’écolier. Les pages à grand carreaux sont noircies de son écriture fine et appliquée. La mère de famille y note consciencieusement chaque dépense réalisée par le couple : « Loyer : 883€ ; assurance voiture : 94€ ; Gaz et électricité : 194€ ;  eau : 54 € ; assurance habitation : 30 € ; téléphones, internet et redevance TV : 180 € ; cantine : 168 euros… » Elle fouille à nouveau dans l’armoire du salon et en sort une chemise plastifiée noire pleine à craquer. Elle l’ouvre et en extrait des dizaines de factures impayées, significations de retards de paiement, menaces de saisies… qu’elle étale sur la toile cirée. Depuis quelques mois, Laurence et Raphaël vivent au rythme des visites d’huissiers et des lettres de relance, plus ou moins pressantes, envoyées par des créanciers ou des cabinets de recouvrement. « Je ne les ouvre même plus, je sais déjà ce qu’il y a dedans », dit Raphaël, résigné.

Il traîne comme un boulet trois crédits revolving pris entre 2018 et 2019, le premier pour acheter une voiture, le second pour la faire réparer quelques mois plus tard, et le troisième pour changer leur lit. À chaque fois, les cartes étaient créditées d’un montant bien plus important que ce dont il avait besoin. « Mais c’est trop tentant, c’est un piège, avoue-t-il. Il te manque un peu d’argent à la fin du mois, alors quand tu vas faire tes courses, tu prends la carte. »

Laurence ouvre une chemise plastifiée et en extrait des dizaines de factures impayées, significations de retards de paiement, menaces de saisies…

Il te manque un peu d’argent à la fin du mois, alors quand tu vas faire tes courses, tu prends la carte.

Jusqu’en février, ça passait car Raphaël gagnait suffisamment avec son métier de chauffeur de poids lourd pour assumer les remboursements. En novembre 2019, il s’était même permis de lâcher son troisième « boulot » de livreur de pizzas le soir, car les grosses journées de travail jusqu’à 23h le fatiguaient. Il voulait aussi plus profiter de ses deux derniers enfants, Inaya et Tyméo.

C’est également pour cette raison qu’il a entrepris de se reconvertir début mars, dans le but de se rapprocher de la maison. Il avait trouvé, via Pôle emploi, un contrat d’apprentissage d’ouvrier avicole dans une ferme des environs, rémunéré 700 euros, qui devait déboucher sur un CDI.

Forcément ses revenus allaient baisser. C’était prévu. Le salaire de sa femme devait leur permettre de traverser cette période critique. Mais la crise sanitaire et la perte d’emploi de Laurence ont tout chamboulé.

Pendant le confinement, le budget des courses a explosé, on ne trouvait plus les premiers prix en rayon.

À partir du mois de mars, leurs ressources mensuelles ont chuté de plus de 1300 euros. « Et pendant le confinement, le budget des courses a explosé, on ne trouvait plus les premiers prix en rayon. » Résultat, s’ils ont toujours réglé leur loyer,  « on ne pouvait plus payer toutes les factures », expliquent-ils. Électricité, gaz, assurances voiture, scolaire et habitation, crédits à la consommation, frais bancaires… Pendant trois mois, les impayés se sont accumulés.

À la sortie du confinement, Raphaël a quitté son emploi d’ouvrier avicole, pour un CDDI de chauffeur dans une déchetterie, rémunéré le double. Mais dans le même temps, les indemnités chômage de sa femme ont baissé, jusqu’à être amputées d’un tiers au mois d’août. Alors pour compenser, le presque quinquagénaire a repris les livraisons de pizza le soir.

Électricité, gaz, assurances voiture, scolaire et habitation, crédits à la consommation, frais bancaires… Pendant trois mois, les impayés se sont accumulés.

Mais ce n’est pas suffisant. Malgré les trois salaires de Raphaël, la liquidation des comptes d’épargne ouverts pour les enfants et l’échelonnement de certains paiements, le couple n’arrive pas à éponger les dettes issues du confinement. D’autant plus que s’y est ajouté un surplus de facture d’électricité de 2500 euros, tombé au mois d’août – « ce sont les frais de chauffage, précise Laurence. Notre maison est très mal isolée et les radiateurs ne sont pas adaptés à la surface des pièces » –, et 816 euros réclamés par la Caf en septembre. « Ils nous ont versé 408 euros mensuels d’aide au logement en juin, juillet et août, explique Laurence. Puis ils se sont rendus compte qu’ils n’auraient pas dû nous les verser en juillet et août car Raphaël avait changé de travail. Ce n’est quand même pas notre faute s’ils se sont trompés. Du coup, ils se remboursent en ne nous versant plus nos 131 euros d’allocations familiales. »

Pris à la gorge, le couple a fini par se résoudre à monter, avec l’assistante sociale, un dossier de surendettement dont la procédure devrait prendre quelques mois.

La chute précoce des températures, dès le mois octobre, est une mauvaise nouvelle. « Heureusement les travaux d’isolation des combles qu’on attendait depuis novembre, ont été faits en juin, précisent-ils. Cela devrait diminuer le coût du chauffage. » Raphaël et Laurence ont du mal à se projeter. Ils vivent « au jour le jour ».

J’essaye de ne même plus être préoccupée par la situation. Sinon, je n’en dors plus la nuit.

éclairage
Budget des ménages : les choix impossibles
Chaque année, le Secours Catholique, qui rencontre dans ses accueils près de 1,4 million de personnes, publie son rapport statistique "État de la pauvreté en France". Cette année, l'association propose une étude détaillée des budgets des ménages les plus modestes et met en lumière les "choix impossibles" que ces derniers doivent opérer pour (sur)vivre. Pour Pascale Novelli, statisticienne et co-auteure du rapport, le témoignage de Laurence et Raphaël est, à bien des égards, emblématique.