Il y a toujours de quoi s'occuper
Ep.5
Sandra

Sandra et sa famille ont passé l’été dans leur maison à Liesle dans le Doubs. Étant donné leur situation financière, il leur était impossible de partir en vacances.

Un beau matin de juillet. Sandra profite de la fraîcheur de l’aube pour attacher ses plants de tomates. Entre son potager et ses poules, « il y a toujours quelque chose à faire à la maison », constate la mère de famille. « De toutes façons, on n’a pas le choix : on ne peut pas partir », ajoute-t-elle dans un soupir. 

La famille ne part jamais en vacances. Mais d’habitude, elle s’évade tout de même une journée en août dans un parc d’attraction. Sauf que cette année, Sandra n’a pas les finances nécessaires et surtout, avec le coronavirus, elle craint les attroupements.

Entre le potager et les poules, il y a toujours quelque chose à faire.

Alors la maman a offert à ses deux enfants, Océane et Elias, une journée au cœur de la nature, sur un site d’accrobranche, l’entrée s’élevant à 23 euros. « On a pique-niqué, c’était notre “instant vacances” », glisse-t-elle.

Crise sanitaire oblige, la fête foraine du village a été annulée fin juillet. « L’ambiance est triste du coup à Liesle. Heureusement on a pu reprendre la pétanque en club les vendredis soir, même si on doit jouer avec le masque », se réjouit la trentenaire aux cheveux attachés en queue de cheval.

On n’a pas le choix : on ne peut pas partir.

Sur le plan professionnel, après deux ans d'arrêt maladie à cause de problèmes de dos, Sandra a enfin obtenu fin juillet d’être licenciée pour inaptitude de son poste d’agent de production dans une entreprise de cuir. Un soulagement car seul un tel licenciement peut lui permettre de recommencer une nouvelle vie professionnelle.

Mais depuis, Sandra attend les papiers des mains de son employeur afin de s’inscrire à Pôle emploi et toucher le chômage. « Je suis en lien avec l’inspection du travail car l’employeur a oublié mes droits à la retraite sur mes fiches de paie et aussi ma prime d’ancienneté. Or, sans fiches de paie correctes, Pôle Emploi ne calcule pas mes droits. Résultat, je suis toujours en attente ! », déplore Sandra.

En outre, la famille a vu ses allocations de la CAF baisser, vu qu’Océane, l’aînée, a fêté son 20e anniversaire. « Avec tout ça, il faut mettre du beurre dans les épinards, alors je trouve des combines », explique Sandra.

En juillet, elle a ainsi prêté son jardin à des connaissances venues avec leurs chevaux. Et en août, elle s’est occupée des animaux – poules, chèvres, chats, chiens – d’une habitante d’un village voisin partie en vacances. « Chaque fois ça fait un petit billet. Et puis j’aime rendre service ! », lance Sandra. 

Avec tout ça, il faut mettre du beurre dans les épinards, alors je trouve des combines !

Sandra a passé l'été entre inquiétude sur son avenir professionnel et occupations à la maison.

Les enfants s’activent aussi pour payer leurs factures de téléphone. Elias, adolescent, a fait des ménages chez un voisin et Océane a décroché un contrat saisonnier de trois mois, 24 heures par semaine, dans un restaurant. « Je suis ravie car l’ambiance est conviviale. J’espère rester après septembre », explique la jeune fille qui s’était vue coincée car il lui était impossible de trouver du travail durant le confinement.

Le reste du temps, Océane rend visite à sa grand-mère à Besançon pour lui « tenir compagnie ». Elle en profite pour vendre les oeufs de poules de sa maman au prix de 2,50 € la douzaine. Elias aussi a rendu visite à son oncle qui habite les environs.

Quant à Sandra, en août, elle a enfin pu faire durant trois semaines la cure thermale avec soins de kiné qui avait été repoussée à cause du confinement. Elle lui avait été prescrite par son médecin pour soulager ses problèmes de dos. La prise en charge à 100% par la Sécurité sociale l’a rassurée et elle était ravie.

Quand le soleil tape, la petite famille profite de la piscine hors sol achetée avec l’argent de la vente des masques confectionnés au printemps.

On a dû mettre du chlore car l’eau était verte et on ne voulait pas la remplir à nouveau, ça aurait coûté trop cher.

En cas de forte chaleur, tous se réfugient au frais, à l’intérieur de la maison. Elias en profite pour bricoler, et mère et fille se lancent dans de la broderie Diamant, un loisir créatif très populaire. « On s’occupe ! », renchérit Sandra, « et puis une voisine nous a envoyé une carte de l’île de Ré : comme ça on a quand même des photos de l’océan ».

À ses heures perdues, Océane monte Warrick, le cheval de la famille. Sandra s’est d’ailleurs inquiétée pour lui et a dormi en tente près de l’équidé, craignant un acte de vandalisme. Le cheval d’une amie a en effet été gavé de nourriture pendant une nuit et il en est mort. 

Mère et fille s'adonnent à un de leur passe-temps, la broderie Diamant.
Océane est passionnée d'équitation.

Une voisine nous a envoyé une carte de l’île de Ré : comme ça on a quand même des photos de l’océan !

La rentrée s’est bien passée pour Elias, en troisième. Mais sa mère s’inquiète dans le contexte du coronavirus. « Par exemple, il n’a plus le droit de se changer dans les vestiaires après le sport. Il est en sueur toute la journée et s’en plaint », observe-t-elle.

La petite famille a aussi été bouleversée par la mort du « papi de cœur » d’Elias, un ami, décédé des suites des complications d’un cancer, après avoir souffert du coronavirus qui a affaibli ses défenses immunitaires. « C’est un temps difficile, mais on fait avec », conclut Sandra, lucide.

éclairage
« Partir en vacances a un impact sur notre vie toute l’année »
Trois questions à Franck Dubois, en charge des solidarités familiales au Secours Catholique
Y a-t-il cette année davantage de personnes qui n’ont pas pu partir en vacances à cause de la crise du coronavirus ?
Certainement oui. Il y a plusieurs raisons à cela : tout d’abord la peur du virus qui reste présent, et surtout l’inquiétude des prochains mois avec la crise sociale qui commence. Elle n’a pas aidé à s’engager dans des vacances car la peur de manquer prochainement existe. Par ailleurs, l’autorisation de pouvoir partir a été donnée tardivement. Il faut quand même préciser que des séjours de vacances ont été organisés par des conseils régionaux en lien avec l’association nationale des chèques vacances ainsi que le dispositif des colos apprenantes (200 000 places, 100 millions d’euros). Il faudrait que ce genre d’initiatives soit pérennisé. Car le besoin de vacances existe chaque année.
Comment ces personnes vivent-elles l’absence de vacances ?
Elles ont intériorisé le fait que "c’est pas pour nous, on n’a pas les moyens, on n’est jamais parti." Ces familles ont une réelle peur car elles ne connaissent pas les vacances. C’est un frein réel. Par ailleurs elles ont le sentiment d’être exclues de la société. On entend chaque année parler des embouteillages ou des campings à la télévision et ces personnes se disent qu’elles ne sont pas comme les autres. Les vacances sont un marqueur social fort.
En quoi est-ce important pour tous, pauvres et moins pauvres, d’avoir ce temps de vacances ?
Tout le monde a besoin de partir. Car on a tous une vie avec des contraintes et un besoin de se dépayser, de bouger, de rencontrer d’autres personnes. Partir en vacances a un impact sur notre vie toute l’année et donne une énergie et une confiance. Or la précarité nécessite de pouvoir se reposer et de prendre des forces pour le lendemain.
Il y a toujours de quoi s'occuper
Ep.5
Sandra

Sandra et sa famille ont passé l’été dans leur maison à Liesle dans le Doubs. Étant donné leur situation financière, il leur était impossible de partir en vacances.

Un beau matin de juillet. Sandra profite de la fraîcheur de l’aube pour attacher ses plants de tomates. Entre son potager et ses poules, « il y a toujours quelque chose à faire à la maison », constate la mère de famille. « De toutes façons, on n’a pas le choix : on ne peut pas partir », ajoute-t-elle dans un soupir. 

La famille ne part jamais en vacances. Mais d’habitude, elle s’évade tout de même une journée en août dans un parc d’attraction. Sauf que cette année, Sandra n’a pas les finances nécessaires et surtout, avec le coronavirus, elle craint les attroupements.

Entre le potager et les poules, il y a toujours quelque chose à faire.

Alors la maman a offert à ses deux enfants, Océane et Elias, une journée au cœur de la nature, sur un site d’accrobranche, l’entrée s’élevant à 23 euros. « On a pique-niqué, c’était notre “instant vacances” », glisse-t-elle.

Crise sanitaire oblige, la fête foraine du village a été annulée fin juillet. « L’ambiance est triste du coup à Liesle. Heureusement on a pu reprendre la pétanque en club les vendredis soir, même si on doit jouer avec le masque », se réjouit la trentenaire aux cheveux attachés en queue de cheval.

On n’a pas le choix : on ne peut pas partir.

Sur le plan professionnel, après deux ans d'arrêt maladie à cause de problèmes de dos, Sandra a enfin obtenu fin juillet d’être licenciée pour inaptitude de son poste d’agent de production dans une entreprise de cuir. Un soulagement car seul un tel licenciement peut lui permettre de recommencer une nouvelle vie professionnelle.

Mais depuis, Sandra attend les papiers des mains de son employeur afin de s’inscrire à Pôle emploi et toucher le chômage. « Je suis en lien avec l’inspection du travail car l’employeur a oublié mes droits à la retraite sur mes fiches de paie et aussi ma prime d’ancienneté. Or, sans fiches de paie correctes, Pôle Emploi ne calcule pas mes droits. Résultat, je suis toujours en attente ! », déplore Sandra.

En outre, la famille a vu ses allocations de la CAF baisser, vu qu’Océane, l’aînée, a fêté son 20e anniversaire. « Avec tout ça, il faut mettre du beurre dans les épinards, alors je trouve des combines », explique Sandra.

En juillet, elle a ainsi prêté son jardin à des connaissances venues avec leurs chevaux. Et en août, elle s’est occupée des animaux – poules, chèvres, chats, chiens – d’une habitante d’un village voisin partie en vacances. « Chaque fois ça fait un petit billet. Et puis j’aime rendre service ! », lance Sandra. 

Avec tout ça, il faut mettre du beurre dans les épinards, alors je trouve des combines !

Sandra a passé l'été entre inquiétude sur son avenir professionnel et occupations à la maison.

Les enfants s’activent aussi pour payer leurs factures de téléphone. Elias, adolescent, a fait des ménages chez un voisin et Océane a décroché un contrat saisonnier de trois mois, 24 heures par semaine, dans un restaurant. « Je suis ravie car l’ambiance est conviviale. J’espère rester après septembre », explique la jeune fille qui s’était vue coincée car il lui était impossible de trouver du travail durant le confinement.

Le reste du temps, Océane rend visite à sa grand-mère à Besançon pour lui « tenir compagnie ». Elle en profite pour vendre les oeufs de poules de sa maman au prix de 2,50 € la douzaine. Elias aussi a rendu visite à son oncle qui habite les environs.

Quant à Sandra, en août, elle a enfin pu faire durant trois semaines la cure thermale avec soins de kiné qui avait été repoussée à cause du confinement. Elle lui avait été prescrite par son médecin pour soulager ses problèmes de dos. La prise en charge à 100% par la Sécurité sociale l’a rassurée et elle était ravie.

Quand le soleil tape, la petite famille profite de la piscine hors sol achetée avec l’argent de la vente des masques confectionnés au printemps.

On a dû mettre du chlore car l’eau était verte et on ne voulait pas la remplir à nouveau, ça aurait coûté trop cher.

En cas de forte chaleur, tous se réfugient au frais, à l’intérieur de la maison. Elias en profite pour bricoler, et mère et fille se lancent dans de la broderie Diamant, un loisir créatif très populaire. « On s’occupe ! », renchérit Sandra, « et puis une voisine nous a envoyé une carte de l’île de Ré : comme ça on a quand même des photos de l’océan ».

À ses heures perdues, Océane monte Warrick, le cheval de la famille. Sandra s’est d’ailleurs inquiétée pour lui et a dormi en tente près de l’équidé, craignant un acte de vandalisme. Le cheval d’une amie a en effet été gavé de nourriture pendant une nuit et il en est mort. 

Mère et fille s'adonnent à un de leur passe-temps, la broderie Diamant.
Océane est passionnée d'équitation.

Une voisine nous a envoyé une carte de l’île de Ré : comme ça on a quand même des photos de l’océan !

La rentrée s’est bien passée pour Elias, en troisième. Mais sa mère s’inquiète dans le contexte du coronavirus. « Par exemple, il n’a plus le droit de se changer dans les vestiaires après le sport. Il est en sueur toute la journée et s’en plaint », observe-t-elle.

La petite famille a aussi été bouleversée par la mort du « papi de cœur » d’Elias, un ami, décédé des suites des complications d’un cancer, après avoir souffert du coronavirus qui a affaibli ses défenses immunitaires. « C’est un temps difficile, mais on fait avec », conclut Sandra, lucide.

éclairage
« Partir en vacances a un impact sur notre vie toute l’année »
Trois questions à Franck Dubois, en charge des solidarités familiales au Secours Catholique
Y a-t-il cette année davantage de personnes qui n’ont pas pu partir en vacances à cause de la crise du coronavirus ?
Certainement oui. Il y a plusieurs raisons à cela : tout d’abord la peur du virus qui reste présent, et surtout l’inquiétude des prochains mois avec la crise sociale qui commence. Elle n’a pas aidé à s’engager dans des vacances car la peur de manquer prochainement existe. Par ailleurs, l’autorisation de pouvoir partir a été donnée tardivement. Il faut quand même préciser que des séjours de vacances ont été organisés par des conseils régionaux en lien avec l’association nationale des chèques vacances ainsi que le dispositif des colos apprenantes (200 000 places, 100 millions d’euros). Il faudrait que ce genre d’initiatives soit pérennisé. Car le besoin de vacances existe chaque année.
Comment ces personnes vivent-elles l’absence de vacances ?
Elles ont intériorisé le fait que "c’est pas pour nous, on n’a pas les moyens, on n’est jamais parti." Ces familles ont une réelle peur car elles ne connaissent pas les vacances. C’est un frein réel. Par ailleurs elles ont le sentiment d’être exclues de la société. On entend chaque année parler des embouteillages ou des campings à la télévision et ces personnes se disent qu’elles ne sont pas comme les autres. Les vacances sont un marqueur social fort.
En quoi est-ce important pour tous, pauvres et moins pauvres, d’avoir ce temps de vacances ?
Tout le monde a besoin de partir. Car on a tous une vie avec des contraintes et un besoin de se dépayser, de bouger, de rencontrer d’autres personnes. Partir en vacances a un impact sur notre vie toute l’année et donne une énergie et une confiance. Or la précarité nécessite de pouvoir se reposer et de prendre des forces pour le lendemain.