En Inde, les villes face aux défis de l’écologie et de l’inclusion des plus pauvres

Chapô
Avec plus d'1,43 milliard d'habitants, l'Inde est depuis 2023 le pays le plus peuplé au monde, dépassant la Chine, selon un récent rapport de l'ONU. La dynamique démographique du pays devrait se poursuivre dans les années à venir, le confrontant à de nombreux défis, dont la gestion de sa rapide croissance urbaine. Pour y faire face, les villes indiennes doivent être repensées dès aujourd'hui de manière plus écologique et inclusive, plaide l'ONG IGSSS, partenaire du Secours catholique en Inde.
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Aravind Unni, partenaire IGSSSEntretien avec Aravind Unni, responsable du thème de la section pauvreté urbaine au sein de l'ONG IGSSS (Indo-global social service society) 

 

L'ampleur et la rapidité de l'expansion urbaine en Inde constituent pour le pays un défi majeur. Quelles sont vos principales préoccupations ?

Aravind Unni : Une grande partie de la population urbaine vit dans des bidonvilles ou des quartiers informels, qui n'ont pas été construits par l'État. Selon les villes, plus de 30 à 40 % de la population vit dans ces quartiers. Notre première préoccupation concerne le manque d'infrastructures, notamment de logements. Une autre préoccupation concerne l'adaptation de nos villes au changement climatique, qu'il va falloir inévitablement penser. Nous avons connu en 2023 plusieurs cas d'inondations urbaines, des vagues de chaleur…

Enfin, le dernier grand défi que j'identifie repose sur le nombre de villes du pays, actuellement autour de 10 000. Comment les gouverner ? Aujourd'hui, la plupart des décisions relatives à l'urbanisme sont prises par l'État, et les projets sont pensés au niveau national.. Les États contrôlent également des pouvoirs importants en matière de développement urbain et de foncier, mais à l'avenir, nous devons donner aux municipalités plus de pouvoir et d'autonomie pour gérer leurs villes.

Vous parlez des habitats informels et des bidonvilles, quels problèmes rencontrent leurs habitants ?

A. U. : Selon les estimations officielles, environ 17% de la population urbaine indienne vivrait en bidonville. En réalité, on tourne plutôt autour de 30 à 35%. Si on parle d'habitat informel plus globalement, on monte à 80% dans certaines villes, par exemple à Dehli. L'invisibilisation de ces zones d'habitation, bien souvent construites en dehors de tout cadre légal, est un problème majeur.

Des services aussi basiques que l'accès à l'eau potable, à des toilettes, parfois à l'électricité ne sont pas assurés, surtout dans les bidonvilles.

Une autre conséquence de cette invisibilisation est une non-reconnaissance de la propriété pour les plus pauvres qui y vivent. Il est urgent de le reconnaître et de formaliser les bidonvilles par des programmes d'attribution de titres de propriété en mettant en place de nouveaux cadres juridiques.

Une large part d'entre eux sont pourtant des travailleurs, qui contribuent à la vie économique des villes…

A.U. : C'est exact. Dans les zones urbaines pauvres, on trouve énormément de travailleurs du secteur informel, comme les vendeurs ambulants, les travailleurs domestiques… Ils travaillent pour des revenus très faibles, et avec aucune ou très peu de protection sociale. Ces zones sont également marquées par une forte présence de minorités et de communautés marginalisées comme les Dalits (NDLR : population considérée comme en-dehors du système de castes présent en Inde et discriminées).

A l'avenir, si rien ne change, ces populations auront de plus en plus de mal à vivre en ville et risquent d'être repoussées vers les périphéries – physiquement et métaphoriquement. Le problème, c'est que ces zones périphériques se trouvent souvent sur des zones écologiquement sensibles. Leurs populations pourraient donc être encore plus vulnérables aux menaces climatiques, en conservant par ailleurs leurs vulnérabilités économiques et sociales.

Comment penser autrement l'urbanisme et la ville pour ces populations vulnérables ?

A.U. : Déjà, il faut reconnaître les quartiers informels, donner des titres de propriété à leurs habitants et des droits. L'informalité n'est pas quelque chose qu'il faut éliminer ou expulser. Vous pouvez essayer de chasser les vendeurs ambulants des villes indiennes, mais ils reviendront sans cesse, parce qu'ils doivent vendre leurs marchandises, et que nous les leur achetons.

La manière dont nous pensons l’urbanisme de manière plus localisée et participative jouera un rôle clé dans la lutte mondiale contre le réchauffement climatique.

De la même manière, face aux conséquences inquiétantes de l'expansion urbaine sur la pollution de l'air, les priorités doivent changer. Nous en sommes encore à vouloir construire d'immenses axes routiers, à considérer la possession automobile comme un indicateur de croissance pour le pays…  Bien sûr, nous devons améliorer notre économie et nos modes de vie, mais tout en gardant à l'esprit que la manière dont nous pensons l’urbanisme de manière plus localisée et participative  jouera un rôle clé dans la lutte mondiale contre le réchauffement climatique.

Quelles solutions mettez-vous concrètement en place pour apporter des changements en ce sens aux plus pauvres ?

A.U. : Nous essayons de travailler pour, et surtout avec les communautés. Par exemple, dans des bidonvilles de la ville de Durg, à l'est du pays, nous avons aidé à la formation de groupes de discussions autour de la question du traitement des déchets plastiques et humides. Les habitants ont décidé de mettre en place un système de compost. Cela permet à la fois de générer des revenus, de nettoyer les quartiers et d'utiliser le compost comme engrais pour les cultures de petites fermes urbaines communautaires. Une partie des déchets plastiques a été recyclée pour construire des jardinières.

Si tout ceci est réalisable dans un bidonville, il est possible de le faire ailleurs. C'est un autre volet de notre action, nous documentons les différents projets menés avec les populations sur le terrain puis nous les présentons comme modèle aux municipalités, afin que d'autres villes et quartiers puissent s'en saisir. Nous mettons également en place des formations pour faire face à différents évènements climatiques, comme les inondations urbaines, les incendies ou les vagues de chaleurs, afin que les communautés y soient mieux préparées.

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SOUTIEN AU DÉVELOPPEMENT DE villes durables et inclusives

Alors que 7 personnes sur 10 vivront en milieu urbain en 2050, le Secours Catholique veille à promouvoir des villes durables et inclusives, dans le cadre de son programme partenarial avec l'AFD autour de la transition écologique juste, "Communautés résilientes". En Asie, comme ici en Inde, cela se traduit sur le terrain par un soutien à des partenaires locaux qui pensent le développement des mégapoles avec les populations précaires afin de renforcer leur résilience. L'idée est d'associer les plus vulnérables à la construction de villes qui puissent s'adapter au changement climatique, en prenant en compte les dimensions sociales, économiques et environnementales. Par ailleurs, des échanges entre les partenaires asiatiques du Secours Catholique travaillant en milieu urbain (en Inde, au Bangladesh et au Cambodge) leur permettent de réfléchir ensemble aux meilleurs moyens d'instaurer des villes durables et inclusives.

Crédits
Nom(s)
Propos recueillis par Lola Scandella
Fonction(s)
Journaliste
Nom(s)
Elodie Perriot
Fonction(s)
Photographe
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