Territoires zéro non recours : « Imaginer localement des outils pour améliorer l’accès aux droits »

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Portée par le Secours Catholique pour lutter contre le non accès aux droits sociaux, l'idée de Territoires zéro non-recours s'est récemment concrétisée avec la loi "3DS" (Différenciation, décentralisation, déconcentration et simplification) qui permet son expérimentation dans une quarantaine de territoires en France.
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Pierre Gravoin

Entretien avec Pierre Gravoin, chargé de mission "Revenus et accès aux prestations sociales" au Secours catholique.

 


Comment est née l’idée de Territoires zéro non-recours portée par le Secours catholique ? 

Pierre Gravoin : L’idée des Territoires zéro non-recours (TZNR) a été discutée pour la première fois en 2018, lors de l’élaboration de la stratégie pauvreté du gouvernement, pour laquelle le Secours catholique et d’autres associations ont été consultés. Un des groupes de travail portait sur l’accès aux droits sociaux. C’était également un sujet sur lequel nous planchions, au Secours catholique, car nous nous rendions compte de l’ampleur du phénomène. En effet, un tiers des personnes qui pourraient prétendre au RSA ne le perçoivent pas. Et on estime qu’environ la moitié des personnes éligibles au minimum vieillesse ou à la complémentaire santé solidaire ne font pas valoir leurs droits.

Une politique pensée à Paris et lancée au niveau national met souvent du temps à se déployer sur le terrain et à être évaluée.
Nous sommes partis du succès de l’expérimentation des Territoires zéro chômeur de longue durée pour proposer de l’appliquer à la question du non-recours. L’idée principale : expérimenter des politiques au niveau local et rendre visible ce phénomène assez méconnu. L’avantage d’une politique locale est d’éviter la longueur du processus bureaucratique. Une politique pensée à Paris et lancée au niveau national met souvent du temps à se déployer sur le terrain et à être évaluée, et rencontre des difficultés à s’adapter aux réalités locales. Il est de plus difficile de s’adapter en cours de route. Avec TZNR, on laisse les acteurs locaux imaginer les outils qui permettraient d’améliorer l’accès aux droits sur leur territoire par rapport aux réalités qu’ils observent. Un autre avantage de l’expérimentation locale est qu’il est plus facile pour différents acteurs (institutions publiques et associations) de travailler ensemble : à cette échelle on peut penser une politique beaucoup plus opérationnelle et du coup se rejoindre sur des aspects concrets.

Trois expérimentations ont été lancées en 2021 et 2022, à Bastia, dans le dixième arrondissement de Paris et à Vénissieux, dans la banlieue de Lyon, quelles sont les initiatives intéressantes qui ont émergé ?

P. G. : À Bastia, où ils ont choisi de mener l’expérimentation dans deux quartiers, l’ambition était de rencontrer tous les habitants de ces quartiers pour les informer de leurs droits et faire le point sur leur situation. Ils ont testé pour cela plusieurs canaux : le porte-à-porte, l’envoi de courrier, téléphone… pour ensuite voir ce qui marchait le mieux. C’est tout l’intérêt de TZNC : tester pour ensuite prendre du recul et envisager ce qu’il serait intéressant de déployer. 

Le principe d’ « aller vers » les allocataires potentiels est expérimenté de plein de manières.
À Paris, ils ont travaillé avec les allocataires sur la rédaction d’un flyer à distribuer pour parler des droits accessibles. Ils ont aussi expérimenté l’envoi de courriers, d’e-mails et de SMS aux personnes qui ont cessé de recourir à un droit dont elles bénéficiaient, dans le but de comprendre pourquoi ces personnes avaient soudainement disparu de leurs listes. Était-ce parce que leur tentative de renouvellement n’avait pas abouti et qu’elles avaient abandonné, ou parce que leur situation avait évolué et qu’elles n’y étaient plus éligibles ? Dans ce second cas, peut-être avaient-elles droit à autre chose. Ce principe d’ « aller vers » les allocataires potentiels est expérimenté de plein de manières différentes à Paris et Bastia, comme à Vénissieux. L’intérêt de TZNR est qu’on laisse aux acteurs locaux la possibilité d’être flexibles, d’avoir leurs propres idées et de les tester directement.
 

Fin décembre, l’expérimentation TZNR, prévue dans la loi 3DS, a été lancée par le gouvernement. Outre Bastia, Vénissieux et le dixième arrondissement de Paris, le dispositif a été élargi à 36 nouveaux territoires. Qu’en pensez vous ?

P. G. : C’est une très bonne chose. Cela donne plus de visibilité au sujet du non-recours aux droits. Ça permettra aussi de tester davantage d’outils dans un plus large éventail de réalités locales, et de consolider l’observation de ce qui marche et peut être duplicable ou non. Par ailleurs, on change de dimension. On passe d’initiatives locales portées par des acteurs locaux (la mairie du dixième arrondissement de Paris, la métropole de Lyon, la préfecture à Bastia), à une expérimentation nationale lancée dans le cadre d’une loi et d’un programme de lutte contre la pauvreté. 

 On espère que le lancement de TZNR marque un engagement de la part de l’État à mener une politique ambitieuse de lutte contre le non-recours.
La finalité de l’expérimentation TZNR est de tirer des enseignements qui permettront d’imaginer un dispositif duplicable au niveau national, quitte à ce que des ajustements soient faits au niveau local pour s’adapter aux spécificités du territoire. On espère ainsi que le lancement de TZNR marque un engagement de la part de l’État à mener une politique ambitieuse de lutte contre le non-recours, et que cette expérimentation de trois ans va aboutir à l’élaboration d’une politique pérenne favorisant l’accès aux droits.
 

Lire aussi notre enquête "Accès aux droits : comment agir face au non recours ?" 

 

Crédits
Nom(s)
Benjamin Sèze
Fonction(s)
Journaliste
Nom(s)
Elodie Perriot
Fonction(s)
Photographe
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