Burundi : « Notre pays s’enfonce dans une crise des droits humains »

Chapô
Alors que l’Union européenne a suspendu depuis 2016 toute coopération directe avec le Burundi suite aux violations des droits de l’homme, la France vient d’annoncer la reprise progressive de sa coopération dans le domaine de la défense, et un financement de 50 millions de dollars dans le celui de l’éducation.
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Paris justifie une main tendue dans l’espoir de faire bouger les lignes dans un pays en proie à une crise politico-humanitaire.

Tournons la page, partenaire du Secours Catholique, critique une décision qui met à mal les efforts diplomatiques.

 

Janvier Bigirimana

Entretien avec Janvier Bigirimana, de Tournons la page Burundi

 

Secours Catholique : En quoi la reprise de la coopération de la France avec le Burundi vous inquiète-t-elle ?

Janvier Bigirimana : Je ne comprends pas cette reprise de la coopération sans conditions, alors que la situation des droits humains et du respect des libertés publiques empire au Burundi. La France est membre de l’Union européenne, elle y a un poids et elle sème la confusion avec cette décision.

Pour moi, elle met à mal les efforts européens qui consistent, via des sanctions depuis 2016, à faire pression en vue d’une ouverture démocratique et d’une amélioration des droits humains au Burundi avant les élections de 2020. Là, la France encourage le Burundi dans une mauvaise voie.

En coopérant dans le domaine de la défense, la France renforce les capacités de défense du Burundi, ce qui amplifie les moyens de répression des citoyens par les forces de sécurité.


Et avec sa coopération dans le domaine de la défense, la France renforce les capacités de défense du Burundi, ce qui amplifie les moyens de répression des citoyens par les forces de sécurité.

Car le rapport de la Commission d’enquête de l’ONU sur le Burundi l’a montré : les forces de sécurité burundaises sont impliquées dans la répression et les violations des droits de l’homme. Le Burundi s’enfonce dans une crise des droits humains et il aurait fallu négocier une coopération sous conditions d’ouverture démocratique.


S.C. : Quelle est la situation actuelle au Burundi ?

J.B. : Le pays traverse une crise politique majeure depuis 2015 suite à la volonté du président Pierre Nkurunziza de briguer un troisième mandat en violation de la Constitution et de l’Accord d’Arusha pour la Paix et la Réconciliation au Burundi de 2000.

Les citoyens burundais étaient sortis manifester pacifiquement et ils ont été réprimés dans le sang. La vague de violence a fait plus de 1700 morts. Depuis, nous connaissons des assassinats, des viols, des tortures, des disparitions forcées et des emprisonnements arbitraires.

L’impunité est de mise vu que le système judiciaire est ligoté : les victimes de la répression n’ont plus de recours. Beaucoup de militants des droits de l’homme et d’opposants politiques sont en exil, moi-même j’ai dû partir.

On peut parler de crise politico-humanitaire avec 400 000 Burundais en exil. Les médias indépendants ont été fermés. Même les médias internationaux comme Voice of America et BBC ont été interdits d’émettre. RFI a reçu une mise en garde. En 2017, la CPI a même ouvert une enquête pour crimes contre l’humanité au Burundi.


S.C. : L’élection présidentielle est prévue en mai prochain. Quel est le climat actuel après le référendum constitutionnel de 2018 qui devrait permettre au président de briguer deux nouveaux mandats de sept ans ?

J.B. : L’opposition est réprimée. Les locaux des partis d’opposition sont brûlés ou fermés. La plupart des opposants politiques qui étaient contre ce référendum ont été assassinés ou emprisonnés. Le climat est très tendu à l’approche de l’élection. La liberté d’expression des Burundais est contrôlée, voire vérouillée. On va vers un scrutin truqué, sans transparence, et avec une répression inquiétante.


S.C. : Comment travaille Tournons la page Burundi dans ce contexte ?

J.B. : Beaucoup de nos membres sont en exil. Sur place, c’est devenu dangereux de travailler en mobilisant la population. Toute voix dissidente risque d’en payer le prix.

À l’étranger, nous nous rencontrons régulièrement et nous lançons un appel à la communauté internationale - et en particulier à l’Union africaine et à l’ONU - pour que soient prises des mesures contraignantes envers le régime burundais afin d'obliger le gouvernement à négocier avec les opposants et à respecter les droits de l’homme.

C’est dans ce contexte que la décision de la France de reprendre la coopération est inquiétante. La communauté internationale devrait plutôt prendre des mesures plus contraignantes, en collaboration avec les États membres de la Communauté de l’Afrique de l’Est, pour négocier une résolution pacifique de la crise qui a trop duré.

Lire aussi le communiqué de presse à ce sujet d’Eurac (European Network for central Africa) dont le Secours Catholique est membre

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Nom(s)
© EFE/Will Swanson via MaxPPP
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