Crise du coronavirus : propositions au gouvernement

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Dans une lettre au Premier ministre dont l'objet porte sur "la protection des personnes en situation de précarité pendant la crise sanitaire du Covid-19", la présidente du Secours Catholique-Caritas France, Véronique Fayet, rappelle l'importance de porter une attention particulière aux plus fragiles dans cette période et fait des propositions au gouvernement pour venir en aide à ces publics.
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Crise du coronavirus : propositions au gouvernement
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Objet : Protection des personnes en situation de précarité pendant la crise sanitaire du Covid-19


Monsieur le Premier ministre,

Le président de la République l’a rappelé hier soir, en faisant appel aux grandes associations : « Jamais les sacrifices [demandés aux citoyens] (…) ne doivent mettre en cause l’aide aux plus fragiles ». Vous - même l’avez dit clairement : la crise sanitaire inédite en cours appelle l’ensemble des acteurs publics, sociaux et associatifs, dans un esprit d’union nationale, à travailler de concert pour protéger toutes les personnes, et notamment les plus fragiles.

C’est bien dans cet esprit que nous nous inscrivons. Les mesures annoncées ce lundi soir par le chef de l’État marquent l’ouverture d’une période sans précédent pour notre pays. Chaque acteur est appelé à s’adapter à ce contexte nouveau et évolutif. Le Secours Catholique y prendra bien entendu toute sa part, avec responsabilité, comme il l’a fait en décidant dès à présent d’une suspension de l’ensemble de ses activités, de façon à s’organiser pour mieux contribuer aux réponses à apporter aux besoins les plus essentiels des personnes en précarité, tout en protégeant ses bénévoles et ses salariés comme les personnes qu’il accueille.

Par ce courrier, nous tenons à vous faire part de notre engagement déterminé pour que l’emporte la solidarité, voulue par le président de la République, mais aussi à partager avec vous, dans un esprit de dialogue, les risques que nous identifions pour les personnes les plus démunies, que nous accompagnons au quotidien, et nos pistes de propositions.

 

Une coordination publique renforcée de l’action sociale


La situation inédite que nous vivons, en constante évolution, appelle une très forte coordination des acteurs. Il est entendu que c’est à l’État qu’il revient de mettre en place, à l’échelon national et sans doute aussi à l’échelon départemental, une coordination resserrée de l’action publique avec les grandes associations sanitaires et sociales. C’est pourquoi il nous paraît utile de mettre en place une cellule à cet effet. Cette cellule permettra des échanges quotidiens d’informations sur les mesures administratives et les dispositifs sanitaires et sociaux mis en place, comme sur la situation des personnes sur l’ensemble des territoires, afin de s’adapter en permanence aux besoins.


Garantir un accès inconditionnel aux services essentiels pour tous


Nous rejoignons l’inquiétude que vous exprimez pour la situation des plus précaires. Non seulement ils ont une santé généralement plus fragile, ce qui les met dans une situation particulièrement à risque, mais ils sont aussi souvent très dépendants du soutien quotidien apporté par des associations comme la nôtre, pour subvenir à leurs besoins fondamentaux (accès à l’eau, à l’alimentation, à des douches, des toilettes, des bagageries…).

Or, les mesures de protection sanitaire et la limitation des déplacements nous ont contraints à une suspension générale de nos activités, au moins pour quelques jours. Pour les personnes en situation d’errance ou de grande précarité, c’est aussi la possibilité de recharger son téléphone, d’accéder à internet et ainsi, de garder le lien, qui s’en trouve menacée.

Cette réduction de l’activité, que connaissent aussi d’autres associations, intervient alors même que nous nous attendons à un fort accroissement des demandes, notamment de la part de personnes qui, habituellement, parviennent à subvenir à leurs besoins essentiels aux moyens de petits boulots, de revenus issus de l’économie informelle ou de la mendicité.

Le chef de l’État a annoncé vouloir “[faire] en sorte avec les grandes associations, avec aussi les collectivités locales et leurs services, que [les plus précaires, les plus démunis] puissent être nourris, protégés, que les services que nous leur devons soient assurés.” Nous nous réjouissons de l’engagement ainsi affirmé. En effet, s’il revient d’abord à l'État de garantir la continuité d’accès aux services essentiels pour chacune et chacun, cette responsabilité ne pourra s’exercer qu’en lien étroit avec l’échelon communal ou intercommunal, pour une coordination des réponses en proximité, comme il est de coutume en matière de sécurité civile.

Si un tel rôle était dévolu aux centres communaux ou aux intercommunaux d’action sociale, par exemple, dans le domaine alimentaire, le recours à la distribution de chèques services mériterait d’être envisagé, avec un soutien financier de l’État. Le Secours Catholique se tient naturellement prêt à venir en soutien de ce type de dispositif coordonné localement. Dans le même esprit, il serait nécessaire que les personnels mobilisés pour la fourniture de ces besoins de première nécessité puissent circuler, comme c’est le cas pour les personnels de santé, et le cas échéant, en pouvant disposer des moyens de protection nécessaires (autorisation de circulation et masques, liquide hydroalcoolique…).

Face à la crise que nous traversons, l’accès à ces services essentiels doit être inconditionnel. Nul ne saurait se voir refuser l’accès à l’eau, aux points d’hygiène, à l’alimentation, aux services de santé, à l’hébergement, en raison de sa situation administrative. En particulier, la situation des personnes migrantes présentes aux frontières de notre pays, notamment sur le littoral franco-britannique, requiert l’intervention des services de l’État pour répondre à ces besoins essentiels et souvent vitaux.

 

Étendre la trêve à l’ensemble des droits sociaux et administratifs


Les mesures de confinement et les fermetures de services administratifs vont empêcher un grand nombre de personnes de faire les démarches nécessaires pour accéder à leurs droits sociaux ou pour les prolonger. Nous pensons particulièrement aux personnes dépourvues de connexion numérique, à celles qui ne savent pas s’en servir, à celles qui ne pourront pas se déplacer ou trouveront les portes de certaines administrations fermées, mais aussi aux personnes sans domicile fixe qui dépendent des services de domiciliation (dont le maintien n’est pas garanti) pour accéder à leur courrier.

L’enjeu concerne potentiellement plusieurs millions de nos concitoyens : allocataires du RSA, chômage, de l’AAH, de l’ASS, des prestations familiales, tributaires des démarches de Sécurité sociale, demandeurs d’asile, demandeurs d’un titre de séjour, ayants droits aux APL ou encore, personnes en attente d’accès à un logement social.

Vous avez pris des décisions d’application immédiate pour soutenir les entreprises et les employeurs, mais aussi dans le domaine de l’hébergement, en prolongeant la trêve hivernale de deux mois, et de la protection sociale, en repoussant au mois d’octobre l’application de la seconde vague de réforme des assurances chômage. Au-delà de ces premières mesures fortes et bienvenues, d’autres, tout aussi cruciales, nous semblent devoir être prises sans tarder. Et notamment l’extension de la trêve à l’ensemble des dispositifs, afin d’assurer l’accès et la continuité des droits administratifs et sociaux soumis à contrôles mensuels ou trimestriels ou d’en assurer le renouvellement automatique pendant toute la durée du stade 3 de la crise sanitaire et durant le mois qui suivra le retour à une situation normale. Pour leur part, les personnes étrangères présentes sur le territoire ne sauraient voir leur situation davantage remise en cause ou fragilisée : les titres de séjour et la prise en charge des mineurs non accompagnés doivent être prolongés d’office, les mesures d’expulsion et de rétention administrative doivent être suspendues.

 

Apporter un soutien renforcé aux familles modestes


De nombreuses familles vont devoir faire face à des dépenses supplémentaires, notamment en matière alimentaire, du fait de l’absence de cantine. Certaines avaient déjà réglé les frais dus ou bénéficient de tarifs gratuits ou sociaux. D’autres vont accueillir chez eux un membre de leur famille qui n’y résidait pas habituellement (enfant, personne handicapée ou personne dépendante).

Pour prendre en compte ces dépenses imprévues, dans une période où les revenus de nombreuses familles modestes risquent d’être affectés par la baisse de l’activité économique, l’État pourrait, par exemple, généraliser l’envoi de chèques services sous conditions de ressources, ou envisager le versement d’une prime exceptionnelle par la CAF, à l’image de la prime de Noël.

En outre, du fait de la configuration du logement, du manque d’équipement informatique ou de la difficulté pour certains parents d’accompagner leurs enfants au niveau scolaire, de nombreuses familles vont être confrontées à des difficultés pour assurer l'école à la maison. Des mesures spécifiques restent à inventer, auxquelles le Secours Catholique est prêt à s’associer, afin de ne pas creuser davantage les inégalités.

 

Maintenir le lien social et lutter contre l’isolement


Enfin, le contexte sanitaire peut susciter chez nombre de nos concitoyens, et pas uniquement les plus précaires, des peurs, voire des angoisses légitimes. Les mesures de confinement risquent d’accroître encore le sentiment d’isolement, de “mort sociale” dont souffrent de trop nombreuses personnes seules, âgées ou non, dépendantes, en précarité, des familles modestes, des détenus.

La solidarité et la fraternité ne sauraient être les victimes de la crise que nous vivons. Au contraire, cette crise peut être l’occasion de veiller, d’une autre façon, à entretenir ou renouer les liens, à limiter au maximum l’isolement des personnes. Le Secours Catholique est prêt à mettre en place des relais téléphoniques, ou toute autre solution dans le respect des consignes sanitaires, pour assurer ce lien et s’engager dans les dispositifs qui pourraient être mis en place en ce sens au niveau local.

Monsieur le Premier ministre, nous attendons une réponse rapide de votre part afin que, durant cette grave crise, la plus grande attention soit accordée en priorité aux plus vulnérables.

Soyez assuré que le Secours Catholique reste mobilisé aux côtés de toutes celles et tous ceux qu’il accompagne au quotidien, et qu’il contribuera autant que possible, aux côtés des services de l’État et des collectivités, à cette mobilisation solidaire que nous appelons de nos voeux.

Je vous prie d'agréer, monsieur le Premier ministre, l’expression de ma parfaite considération.

Véronique Fayet
Présidente nationale du Secours Catholique-Caritas France

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Crédit Photo : © Christophe Hargoues / Secours Catholique-Caritas France
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