École à distance : « Tu es comme les autres maintenant, tu peux faire tes devoirs ! »
L'inégalité dans l’accès au numérique a été révélée de façon criante par la crise sanitaire et la généralisation de l’école à distance. De nombreuses familles, non équipées par manque de moyens, se sont retrouvées en difficulté pour assurer la continuité scolaire de leurs enfants. Le Secours Catholique se mobilise pour fournir à des enfants et adolescents, des ordinateurs, des téléphones et des connexions Internet, et pour les familiariser à l'utilisation de ces outils. Reportage à Paris, où l’association agit en partenariat avec Emmaüs Connect.
13e arrondissement de Paris, vendredi 8 mai. Lina, élève en première, déballe avec précaution le carton plat et rectangulaire posé sur la table de son séjour, sous le regard de sa mère, Fatiha, et d’Alice Mayoud, bénévole pour le Secours Catholique.
« On ne s’attendait pas à ça ! », s’exclame Fatiha, tandis que sa fille, toute en réserve, déplie l’écran d’un ordinateur portable flambant neuf et met en route ce dernier. « Pour que tu puisses travailler, je t’ai installé le pack LibreOffice, lui explique Alice. Je t’ai aussi mis Adobe, qui te permet de lire les fichiers PDF. Et puis l’application Zoom, si tu en as besoin pour suivre la classe virtuelle. En cas de souci, tu m’appelles, je t’aiderai ! »
« Ça va lui changer la vie ! », se réjouit Fatiha, la mère de Lina. Depuis la fermeture de son établissement scolaire, la lycéenne suivait les cours sur son smartphone, tapant entièrement ses devoirs sur le petit clavier tactile. « C’était compliqué et long, reconnaît la jeune fille, derrière ses fines lunettes rondes. Ça me faisait mal aux yeux, j’ai attrapé des maux de tête. Et je ne pouvais pas aller chez une copine pour utiliser son ordinateur. »
Ça me faisait mal aux yeux, j’ai attrapé des maux de tête. Et je ne pouvais pas aller chez une copine pour utiliser son ordinateur.
Alice ne s’en fait pas trop pour la lycéenne, familière du fonctionnement d’un PC. De plus, la famille, logée dans le parc social, dispose d’une box avec Wifi et d’un abonnement Internet à tarif très préférentiel. « La prochaine fois, je te ramènerai un câble pour que tu te branches directement sur la box, le débit sera meilleur », indique toutefois Alice, qui, avant de laisser Lina, insiste : « Tu m’appelles si tu as un problème ! »
Une grande partie de la mission d’Alice consiste à jouer le rôle de « hotline », de service support. « Certaines mamans ne savent même pas utiliser une souris ! Souvent, elles n’osent pas m’appeler à l’aide, de peur de me déranger. Ce sont les enfants qui m’envoient un message sur WhatsApp pour demander un coup de main ou de la connexion supplémentaire », explique la bénévole, qui prend place au volant de sa voiture. Sur la banquette arrière, plusieurs cartons attendent encore d’être attribués.
Direction une nouvelle adresse dans le 13e arrondissement de Paris. Ramata et son fils Tidiane, 10 ans, ouvrent à Alice la porte de leur petit appartement qui fleure bon l’odeur d’une sauce gombo en train de mijoter. Tidiane, la mine grave, contient sa joie à la vue de l’ordinateur que la bénévole pose sur la table.
« Tu sais t’en servir ? », lui demande-t-elle. Le garçon opine. Scolarisé en CE2, il n’est cependant pas très à l’aise avec le pavé tactile et la navigation sur le bureau. La bénévole lui explique la marche à suivre pour connecter la machine au téléphone portable de sa maman, afin d’en partager la connexion Internet - elle dispose de 64 Go mensuels pour dix euros.
« Et voilà, tu es connecté ! »
Ramata observe à distance. « Tu retiens, hein ? », lance-t-elle à son fils. Exercice pratique pour Tidiane, qui réitère la manipulation. « Et voilà, tu es connecté ! », le félicite Alice. Le garçon affiche un grand sourire de fierté. L’ordinateur va lui permettre d’accéder plus facilement aux exercices envoyés par mail par son institutrice, voire de participer à des appels vidéo.
Un équipement d’autant plus précieux que Tidiane ne va pas retrouver tout de suite les bancs de son école. Celle-ci est située dans le 19e arrondissement de Paris où il habitait encore il y a quelques mois. Y aller nécessiterait un long trajet en transport en commun, dans les conditions que l’on connaît. Ramata, qui, avec le déconfinement, reprend son travail d’aide à domicile quatre heures par jour, lui laissera donc son téléphone, afin qu’il puisse se connecter et travailler quand elle n’est pas là.
« Je vais pouvoir faire de nouvelles recherches d’emploi grâce à l’ordinateur ! », s’exclame Yatou, hébergée avec sa fille Marthe, 11 ans, à la résidence Jean-Rodhain (Cités Caritas), dans le 15e arrondissement, où se poursuit la tournée d'Alice. Yatou n’en revient pas, émue aux larmes, elle qui pensait que l’ordinateur n’était qu’un prêt, qu’il faudrait rendre à la sortie du confinement.
« Je ne sais pas quoi dire, c’est un rêve ! balbutie-t-elle. Marthe me réclame tous les jours un ordinateur. Mais comme je n’ai que de petits contrats de travail, pas encore de carte bancaire, c’est compliqué. Je lui disais : "Oui, mais pas tout de suite…" ».
Sa fille va pouvoir utiliser la connexion Wifi d’une résidente voisine. « Vous direz à la maîtresse que Marthe va participer au cours en vidéo maintenant », lance Alice à Yatou. La bénévole prend à nouveau le temps de montrer à Marthe la marche à suivre pour ouvrir une session et se connecter.
« Maintenant, il n’y a plus qu’à vous souhaiter un beau CV et une belle année scolaire », conclut la bénévole avant de partir. Elle sait qu’une fois la porte refermée, mère et fille vont sauter de joie. « On observe que chez les enfants de 10 – 12 ans, une fois qu’ils sont équipés, ils ont un regain de motivation pour faire leurs devoirs », explique-t-elle.
J’ai aussi pu télécharger WhatsApp et discuter avec mes amis. C’était chouette !
Kristela, 10 ans, n’a jamais faibli en motivation, malgré les conditions de confinement de sa famille, originaire d’Albanie : deux chambres pour cinq, dans un hôtel social de la rue des Pyrénées, dans le 20e arrondissement. C'est d’ailleurs sur le trottoir, et à distance de l’hôtel pour éviter les commérages, qu’Alice vient à la rencontre de la jeune fille, de sa petite sœur et de leur mère, afin de leur remettre un nouveau smartphone. Un ordinateur leur a été distribué dix jours auparavant ainsi qu’un téléphone, indispensable pour la connexion internet. Mais ce dernier a lâché.
« Quand j’ai reçu l’équipement, je n’arrivais pas trop à réaliser, raconte Kristela. Pour travailler, c’est mieux, je n’ai plus à utiliser le téléphone personnel de ma mère qui en a peut-être besoin. J’ai aussi pu télécharger WhatsApp et discuter avec mes amis. C’était chouette ! »
L’école à distance se passe bien pour Kristela, qui fait preuve d’une grande maturité et parle un français parfait, après seulement trois années en France. « C’est un travail d’autonomie, ça va. Mais je préfère l’école. J’ai hâte d’y retourner ! »
Pour Khadidiatou, 14 ans, qui vit dans un hôtel social du Faubourg Saint-Antoine (12e arrondissement) et qui a elle aussi reçu un ordinateur des mains du Secours Catholique, la continuité scolaire a été moins évidente. « Avant d’avoir l’ordi, je suivais des cours sur la chaîne télé France 4 et je demandais à quelques amis de m’envoyer des choses par WhatsApp », raconte la collégienne, qu’Alice rencontre en bas de son hôtel.
« Puis j’ai dit à ma prof de l’an dernier, avec laquelle je suis en confiance, que je n’arrivais pas à faire mes devoirs. Elle en a parlé au principal de mon collège. On m’a alors transmis les photocopies des cours et devoirs, mais pas dans toutes les matières. Alors quand j’ai eu l’ordinateur, ma prof m’a dit : "Je suis super contente, tu es comme les autres maintenant : tu peux faire tes devoirs ! "»
Khadidiatou a notamment pu expliquer à sa professeure d’anglais pourquoi elle n’avait donné aucune nouvelle. « Elle a compris, et elle m’a dit : "Fais ce que tu peux !" Avant, elle croyait juste que je m’en fichais. »
Je me réveille tous les jours à 8 heures pour faire mes devoirs, il faut que je rattrape mon retard !
Quand la collégienne s’est connectée pour la première fois à sa boîte mail, une trentaine de courriels l’attendaient, avec leçons et exercices. « Je me réveille tous les jours à 8 heures pour les faire, avant que ma petite sœur ne soit levée. Puis je m’y remets le soir, quand elle est couchée. Parfois jusqu’à 2 heures du matin ! Il faut que je rattrape mon retard ! »
Pour l’aider, Alice lui propose de l’intégrer dans un dispositif de soutien à distance lancé par des lycéens. « Tu réfléchis et tu me dis ? ». La jeune fille sourit et répond du tac au tac : « J’ai réfléchi, c’est oui ! »
La tournée d’Alice s’achève dans le 11e arrondissement, à la rencontre de Djessira, 9 ans, en CM1, et de sa maman, Djeneba. Toutes deux habitent un petit appartement au dernier étage, sous les toits, comprenant une cuisine, une salle de bain et une pièce unique meublée d’un canapé et d’un lit double.
Le confinement n’a pas tellement changé le quotidien de Djeneba. Handicapée par une maladie, elle ne peut plus ni descendre ni remonter les six étages de son immeuble. Pendant le confinement, c’est son frère, explique-t-elle, qui a remplacé l’aide à domicile qui, d'ordinaire, l'épaule trois fois par semaine.
« envie de retourner à l’école »
Pour la jeune Djessira, l’arrivée d’un ordinateur est une bonne nouvelle. « Avec ça, je pense que tu vas oublier un peu mon portable », lui dit en souriant sa mère, qui concède : « C’est difficile pour moi de l’aider. D’habitude, elle reste à l’école jusqu’à 18 heures pour faire ses devoirs. »
Alice termine de configurer l’ordinateur pour Djessira. Des mails en provenance des institutrices attendent la jeune élève. « Oh mais je ne sais pas si je vais avoir le temps de tout faire ! » soupire Djessira. « En fait, j’ai envie de retourner à l’école, ajoute-t-elle en riant, mais pas de me lever à 7h ! »
