Exclusion bancaire : « Notre priorité est la diffusion de l’offre destinée aux clients fragiles financièrement »

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Où en est-on de l’inclusion bancaire en France ? Dans quelle mesure et par quels moyens peut-elle être améliorée ? Entretien avec François Villeroy de Galhau, ancien haut cadre chez BNP Paribas, aujourd’hui gouverneur de la Banque de France et président de l’Observatoire de l’inclusion bancaire.
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Propos recueillis par Benjamin Sèze, journaliste, et Ingrid Becuwe, personne concernée par l'exclusion bancaire.
Photos : Xavier Schwebel

PARCOURS 

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François Villeroy de Galhau

  • De 1997 à 2000: Est directeur de cabinet du ministre de l’Économie, des Finances et de l’Industrie.
  • 2011 : Devient directeur général délégué du groupe BNP Paribas.
  • 2015 : Est nommé gouverneur de la Banque de France

 

INGRID BECUWE

  • 2012 : Rejoint le groupe de convivialité du Secours Catholique du Boisd’Oingt (Rhône).
  • 2013 : Devient bénévole au sein de l’équipe locale, participe à l’accueil de jour et siège à la commission des aides.
  • Depuis 2014 : Est membre du Groupe national d’action citoyenne (Gnac), et participe au pôle Mobilisation citoyenne du Secours Catholique.
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Secours Catholique : En quoi la question de l’inclusion bancaire est-elle aujourd’hui un enjeu de société ?

François Villeroy de Galhau. C’est un élément décisif d’inclusion dans la société et d’accès à la vie collective. De fait, la France et la Banque de France se sont mobilisées depuis longtemps sur le sujet. Il y a eu trois grandes étapes. La première a été, en 1984, la création d’un droit au compte qui fait qu’aujourd’hui plus de 96 % de nos concitoyens possèdent un compte bancaire. La deuxième est, côté crédit, la loi Neiertz de 1989 qui visait à prévenir le surendettement. Nous observons d’ailleurs, sur ce point, une évolution bienvenue depuis quatre ans : entre 2014 et 2018, le nombre de dossiers de surendettement a baissé de 30 % environ. Il devrait être autour de 160 000 en 2019.

S.C. : Comment expliquer cette baisse ?

F.V.G. D’abord par l’effet de la loi Lagarde de 2010 qui a encadré beaucoup plus strictement le crédit renouvelable, et puis de la loi Hamon de 2013 qui permet à la Banque de France de prendre plus souvent des mesures d’annulation de dette. La loi Sapin II de 2016 a encore simplifié les choses et permet de gagner plusieurs mois pour des familles en situation de surendettement. Le troisième front de la bataille contre l’exclusion bancaire est maintenant la limitation des frais bancaires pour les Français qui sont en situation de fragilité financière. La loi bancaire de 2013 avait créé une offre conçue pour limiter les risques de découvert grâce à une carte de paiement à autorisation systématique et deux chèques de banques par mois, au lieu d’un chéquier. C’est l’Offre spécifique pour clientèle fragile (OSCF). 

S.C. Aujourd’hui encore, l’inclusion bancaire reste un enjeu important, d’où notamment la mobilisation sur les frais bancaires fin 2018 ?

F.V.G. Absolument. Un des constats de l’Observatoire de l’inclusion bancaire (OIB), que je préside en présence des associations dont le Secours Catholique, est que la moyenne des frais d’incidents bancaires payés par les clients en situation de fragilité financière est encore de 320 euros par an. C’est évidemment trop élevé et donc les avancées effectuées depuis 2013 n’étaient pas suffisantes. En septembre, nous avons obtenu l’engagement des banques de développer l’accession à l’OSCF : environ 375 000 clients y ont souscrit, à ce jour, et nous visons + 30 % d’ici 2020. Pour rendre cette offre plus attractive, les banques ont aussi accepté d’en plafonner les frais totaux d’incidents bancaires à 20 euros par mois et 200 euros par an.

Puis en décembre, suite à des discussions sous l’égide du Président de la République, face à l’urgence économique et sociale, a été acté un nouvel engagement encore plus important : il ne porte plus seulement sur les 375 000 clients de l’offre spécifique mais sur l’ensemble de leurs clients en situation de fragilité financière. La loi de 2013 oblige les banques à les identifier, soit environ 3,5 millions de personnes. Pour tous ces clients, les frais d’incidents seront à 25 euros par mois maximum. 

 

Les avancées effectuées depuis 2013 n’étaient pas suffisantes.
 

S.C. : Concernant l’identification de ces clients, la loi de 2013 définit uniquement deux cas de figure.1 Pour le reste, le choix du législateur a été de laisser la liberté aux banques d’établir leurs propres critères. Pourquoi ne pas avoiropté pour une définition   unique, précise et exhaustive, des clients en situation de fragilité financière ?

F.V.G. Il y a des critères concernant les risques d’incidents – ceux-là sont les mêmes partout2–, et puis des critères de revenus. Il se trouve que les banques peuvent avoir des clientèles assez différentes. Pour une banque qui a des clients très hauts de gamme, cela ne la gêne pas de dire par exemple : « Pour moi, un client qui a moins de 2 000 euros de revenus mensuels est fragile. » Elle a de fait très peu de clients dans ce cas. Mais si on imposait ce même critère de revenus à une banque dont une grande partie de la clientèle est plus défavorisée, cela lui coûtera beaucoup plus cher et elle serait pénalisée par le fait d’accueillir des clients défavorisés ou de classe moyenne. Il est donc sain que le législateur ait laissé chaque banque tenir compte de ses caractéristiques de clientèle. Mais, c’est la mission de l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) de vérifier que chaque banque le fait sérieusement, que cela correspond bien à la réalité de la fragilité financière. Et croyez-moi, nous le vérifierons.

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François villeroy de galhau interviewé

S.C. Une impression générale ressort des témoignages des personnes en difficultés bancaires que rencontrent les associations, c’est que les notions de rentabilité et de risques prévalent aujourd’hui dans le secteur bancaire au détriment de la notion de service. Il y a encore toute une part de la population, notamment parmi les personnes âgées, pour qui la relation entre le banquier et son client est basée sur la fidélité. Et parfois, elles déchantent. Nous pensons à un cas précis d’une dame accompagnée par le Secours Catholique. Elle a été pendant 30 ans cliente d’une banque. Tout se passait bien jusqu’à ce qu’elle ait un accident de vie qui l’a mise en difficulté financière. Elle a voulu renégocier son prêt immobilier. Elle n’a jamais pu. Elle a eu un sentiment de mépris, de discrimination. 
 

F.V.G. Ce n’est pas mon rôle de défendre les banques, et il peut y avoir des abus comme celui que vous citez. Mais, globalement les banques en France gardent un modèle relationnel, avec des agences nombreuses et des conseillers au contact des clients. On pose souvent la question de l’équilibre entre le service humain au client et la rentabilité. Je pense que s’il y a une tension, elle est de court terme, parce qu’à long terme, ces objectifs convergent. Si une banque n’assure pas un service durable et une présence auprès de ses clients, elle va les perdre et donc elle va dégrader sa rentabilité. Et inversement une banque qui n’est pas rentable et donc solide, ne servira pas ses clients très longtemps. En cas de manquement de la part d’une banque, le premier conseil que je peux donner est de saisir très vite le médiateur de la banque concernée.

S.C. La personne l’a fait et a été promenée entre le médiateur et le service clientèle. C’est très révélateur des situations que rencontrent les associations. Concernant l’Offre spécifique pour clientèle fragile, le rapport de l’OIB, rendu cet été, souligne que seul 10 % du public cible a été atteint. Parmi les freins à la diffusion de cette offre, le rapport évoque la réticence des personnes du fait des moyens de paiement restreints, notamment l’absence de chéquier. Car ce dernier, tout comme l’autorisation de découvert, peut donner une certaine souplesse pour ne pas systématiquement se retrouver dans le rouge en fin de mois lorsqu’on gère un budget très serré. Dans quelle mesure cette offre peut-elle être améliorée ? 

F.V.G. La priorité est d’abord de diffuser davantage cette offre spécifique comme la loi l’a prévue. Les banques doivent le faire, nous le leur avons clairement demandé. De leur côté, les associations doivent parfois mieux expliquer cette offre qui est mal connue : elle répond quand même à l’essentiel des besoins des familles, et elle leur évite de se retrouver en situation de découvert. 
Dans un deuxième temps, s’il s’avérait que suite à ce gros effort de déploiement, on butait sur des limites liées au contenu de l’offre, on pourrait revoir ce contenu. Mais nous avons en France trop tendance à vouloir changer les lois avant même d’avoir essayé de bien les appliquer.
 

Par rapport à l’inclusion bancaire, il reste important de distinguer les clients en situation de fragilité financière et les autres.
 

S.C. Au sein de l’Observatoire de l’inclusion bancaire, certaines associations, à l’image de l’Unaf, qui relaient la parole de nombreuses personnes en situation de fragilité financière, considèrent que l’offre spécifique est stigmatisante et trop restrictive en termes de contenu et de public éligible. Elles préconisent un plafonnement des frais d’incident pour tous les clients, car elles estiment que les banques de détail basent de manière excessive leur modèle économique sur ce que leurs rapportent ces frais, et donc sur les difficultés que rencontrent leurs clients. Elles considèrent que les banques doivent ajuster leur modèle en allant chercher de l’argent ailleurs, en relevant par exemple certains tarifs qui concernent une plus large assiette de clients, ou en augmentant le taux de certains crédits amortissables qui aujourd’hui sont très bas et ne leur rapportent presque rien.

F.V.G. Par rapport à l’inclusion bancaire, il reste important de distinguer les clients en situation de fragilité financière et les autres. Pour deux raisons. La première est qu’objectivement, quand un client se retrouve en situation de découvert et en incident de paiement, cela représente des risques pour la banque et des coûts de traitement. Donc pour des clients qui ont les moyens de payer, il est normal que cela ait un coût. Il faut simplement que ce soit connu à l’avance et clair. Ensuite, si on pose la question d’un autre modèle économique, toute l’interrogation est : que ferait-on alors payer plus cher ? Est-ce le coût des crédits ? Je ne suis pas sûr que nos concitoyens aimeraient que l’on remonte le taux des crédits immobiliers, aujourd’hui très bas. Ou sinon, le coût des cartes bancaires ? Il n’y a pas de recette miracle. 

S.C. Pour ces associations, l’augmentation de certains tarifs ou taux de crédits amortissables permettrait un système plus solidaire dans lequel les banques feraient assumer par leurs clients plus aisés, la possibilité de fournir à ceux qui ont des difficultés bancaires, une offre plus adaptée aux besoins de chacun.

F.V.G. Cette solidarité, c’est justement ce qui se fait en partie par le plafonnement des frais d’incident pour les clients identifiés en situation de fragilité financière. Si un client qui, à l’inverse est plus aisé, se retrouve fréquemment en découvert – cela arrive –, ce n’est pas choquant qu’il paie des frais correspondants. Mais l’inclusion bancaire deviendrait une cause très impopulaire si on voulait la faire payer par un alourdissement de la facture de millions de Français. L’action de solidarité efficace, c’est celle que mènent les femmes et les hommes de la Banque de France pour faire reculer le surendettement et les frais bancaires, et maintenant pour développer l’éducation financière en soutien des plus défavorisés. 

1    Les personnes faisant l’objet d’une procédure de traitement de surendettement, et celles inscrites pendant trois mois consécutifs au Fichier central des chèques (FCC) en raison d’un chèque impayé ou d’un retrait de carte bancaire.

2    Néanmoins, les critères relatifs à la répétition des incidents et au montant des frais d’incidents varient selon les banques.

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