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Haïti à l’heure des changements climatiques

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ÉCOUTER CHARLES, PÊCHEUR
ECOUTER YVERT, PAYSAN
DIAPORAMA : constats et solutions
Chapô
REPORTAGE. Déjà rongée par des problèmes de gouvernance, la corruption et le sous-développement, Haïti fait désormais face à des changements climatiques de grande ampleur. Sécheresses, inondations, cyclones plus intenses ou montée des eaux : les dérèglements climatiques amplifient une pauvreté déjà galopante. L’association Concert’Action, partenaire du Secours Catholique, aide les paysans et les pêcheurs à s’adapter.
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C’est la première fois que cela lui arrive : voir la rivière à sec en plein mois de mai. Denis est épuisé : « D’habitude, je viens ici abreuver mon bœuf et mes trois cochons. Mais là, je dois parcourir quatre kilomètres et ce trois fois par semaine pour aller chercher une autre source d’eau. » En ce mois de mai 2019, traditionnelle saison des pluies, il n’aura plu que trois nuits dans la région des Palmes, au sud de Petit-Goâve.

Haïti est, de fait, de plus en plus frappée par les sécheresses. Elle est même dans le "top 10" des pays les plus exposés selon la Banque mondiale. « Hausse des températures et pluviométrie atypique » sont les signes évidents des changements climatiques en Haïti, selon un rapport d’Oxfam America, et « ceci ne fera qu’accroître la pauvreté. »

On ne cultive plus, les denrées deviennent plus chères et les gens sont plus vulnérables à la faim.
Marc, sage d'un village haïtien


« À l’époque de mes parents, il y avait deux saisons : l’une chaude, l’autre pluvieuse. » rapporte Marc, l’un des sages du village. « Maintenant on a une alternance de six saisons, et encore c’est variable. C’est de pire en pire, et les changements climatiques accélèrent la misère. Car on ne cultive plus, donc les denrées deviennent plus chères, et les gens sont plus vulnérables à la faim. »

Maïs et haricots ne donnent en effet pratiquement plus, et les paysans qui ont consenti des prêts pour les semences s’endettent en cas de sécheresse. « On a faim et on souffre. » confie Roselyne, une paysanne.

À cette pluviométrie hasardeuse s’ajoutent des problèmes phytosanitaires : les insectes prolifèrent avec l’augmentation de la température et ravagent les cultures. Le puceron jaune est ainsi passé de la canne à sucre au sorgho, détruisant 60 % des cultures. « J’observe beaucoup plus de chenilles, de criquets, de mouches blanches qu’avant : ils sectionnent les bourgeons de mes cultures. Ma vie était meilleure auparavant. » note Thérèse, âgée d'une soixantaine d'années.

Cyclones et pluies violentes

Autre conséquence des changements climatiques : les cyclones sont plus intenses et difficiles à prévoir, ceci à cause - entre autres - de l’augmentation de la température des océans. Ils détruisent tout sur leur passage (habitations, cultures, infrastructures, bétail), et isolent même des villages qui sont parfois coupés du monde durant des semaines.

Paulette a perdu son mari avec l’ouragan Matthew de 2016. Sa maison a été soufllée et ses huit cochons tués : « On ne mange plus que deux fois par jour. C’est compliqué de vivre mais on est obligé. » Une partie de son terrain a aussi été emportée. Les cyclones apportant des pluies intenses, ils accélèrent en effet l’érosion d’une terre déjà fatiguée.

Avec les cyclones qui arrachent tout, nos terrains sont fragilisés et menacent de glisser.
Yves, paysan


Il faut dire qu’Haïti est une terre nue, avec moins de 2 % de couverture forestière, notamment en raison de l’exploitation de charbon, mais aussi de la dette en bois qu’il a fallu payer à la France suite à l’indépendance en 1804. « Avec l’abattage des arbres, mais aussi avec les cyclones qui arrachent tout, nos terrains sont fragilisés et menacent de glisser, car il manque les grosses racines dans le sol. » témoigne Yves, paysan.

Conséquence : les sols sont moins fertiles. « Ma vie dépend de la terre. Or avec l’érosion, la couche arable s’en va. » déplore Jean-Louis. Difficile de cultiver des terres en pente, d’autant que l’eau y ruisselle plus violemment en raison des pluies plus fortes avec les changements climatiques.

Montée des eaux

Un peu plus au nord, sur la côte, à Léogâne, c’est le manque de poissons qui inquiète. L’augmentation de la température de l’eau et la pollution les ont fait fuir. Les mangroves, ces milieux naturels où se reproduisent les poissons, ont par ailleurs disparu. En cause : l’urbanisation qui avance sur la mer, la coupe du bois mais aussi la montée de l’océan due au changement climatique.

Résultat : les plaines côtières sont plus facilement inondées et exposées à la salinisation des nappes phréatiques. « Les rendements agricoles diminuent car le sel se dépose sur les plantes. » témoigne Charles, pêcheur et cultivateur. « Et il arrive que nos villages soient inondés avec la montée des eaux. » « En plus du manque de poissons, il faut aussi plus chaud et c’est difficile de travailler, je suis fatigué. » raconte Germain, pêcheur.

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Charles: "nous pêchons de moins en moins de poissons"
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Charles : "Nous pêchons de moins en moins de poissons"
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Fatigue, déshydratation, anémie et malnutrition : voici aussi les conséquences des changements climatiques. À Delatte, dans les montagnes, le Docteur Jean-Arioste Sylvain constate une augmentation de ces pathologies, due à une mauvaise alimentation et un manque d’eau. Les inondations favorisent aussi la propagation de maladies comme le choléra. « Or, avec la pauvreté, beaucoup renoncent à se soigner. » témoigne le docteur, « et je remarque aussi une déprime ambiante. Les gens sont choqués de ne pas voir les pluies tomber et de ne plus avoir à manger. Leur santé mentale est affectée. »

Les changements climatiques poussent au final les gens à partir s’installer dans des villes. « Je vois les autres partir, car sans eau pas d’agriculture. » observe Louissaint, paysan. Ils se retrouvent souvent dans des quartiers pauvres et quittent une situation de misère pour une autre.

« La sécheresse pousse les paysans vers les villes, notamment à Port-au-Prince. » constate Jean-Gardy Joseph, coordinateur de Caritas Port-au-Prince. « La pauvreté et le banditisme les attendent. Ils vivent dans des quartiers sans eau, sans électricité, sans centre de santé, et leur misère s’accentue. » Cet exode rural a d’ailleurs des conséquences sur la production agricole nationale qui diminue toujours plus. On estime qu’Haïti importe même 60 % de ses besoins alimentaires.

Victime du climat

« Les changements climatiques s’ajoutent en fait à une crise profonde de notre pays. Ils ont de nouvelles répercussions sur les populations déjà très vulnérables et aggravent un terreau de pauvreté. » estime Anthony Eyma, directeur de l’association Concert’action. De fait, trois quarts des 11 millions d’Haïtiens vivent avec moins de deux euros par jour et un tiers sont en insécurité alimentaire.

Force est de constater que cette pauvreté s’aggrave avec les changements climatiques. Pourtant, Haïti est un faible émetteur de gaz à effet de serre (0,91 tonnes de CO2 par habitant) « C’est injuste, car on paye les conséquences des autres. » s’insurge Yvert, 28 ans, dont les parents ne peuvent plus financer les études à cause des baisses de rendement.

 

À terme, pour s’adapter, on aimerait accéder au Fonds vert pour le climat.
Raoul Vital, cadre du ministère


Et le budget du ministère de l’environnement haïtien n’est que de 1% du budget de l’État. « C’est nettement insuffisant. » reconnaît Raoul Vital, cadre du ministère. « Et ça n’est pas facile avec nos problèmes de gouvernance, par exemple pour gérer le littoral. Même les autorités n’appliquent pas les lois de protection des mangroves. À terme, pour s’adapter, on aimerait accéder au Fonds vert pour le climat. » Car même si elle est victime des changements climatiques, Haïti n’a pas le choix : il faut s’adapter. 

C’est le cheval de bataille de Concert’action : aider les populations à faire avec les changements climatiques, afin de vivre dignement. Dans la région des Palmes par exemple, l'association incite les paysans à diversifier leurs cultures, avec des plantes résilientes qui ont peu besoin d’eau (poivron, grenadine,..) et qui ont des cycles courts de production. « Ainsi, même avec le peu d’eau qu’ils ont, ils peuvent quand même cultiver des légumes. » rapporte Claudy Lebrun, agronome.

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Yvert : « Nous avons peur pour l'avenir »
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coopérer pour s'adapter

L’association aide aussi à reboiser, et donne des arbres aux agriculteurs pour qu’ils les plantent sur leurs parcelles afin d’augmenter la fertilité des sols avec les racines. « Les feuilles se décomposent et font de la fumure pour les légumes. Et les arbres réduisent l’ensoleillement et me donnent des fruits. » se réjouit Marcela, paysanne.

Par ailleurs, Concert’action aide à mettre en place des structures anti-érosives avec des pierres ou de l’herbe pour empêcher l’eau de glisser. « Ces structures retiennent le sol, réduisent la vitesse de l’eau et facilitent son infiltration dans le sol. » note Jean-Zenny Coffy, agronome de la sixième section de Petit-Goâve.

 

Même s’il est vrai que plus on est pauvre, moins on est résilient, le changement doit venir des Haïtiens.
Jeannot Benet, agronome haïtien


Ici, les paysans s’aident les uns les autres pour installer les structures anti-érosives ou reboiser. Enfin, sur la côte, Concert’action replante des mangroves, et ce, en coopération avec les pécheurs, afin que ceux-ci sensibilisent à leur tour les habitants à l’importance de ces espaces naturels.

« Les mangroves sont une barrière face à la montée de la mer, mais vont aussi permettre aux poissons de revenir. » affirme Jeannot Benet, agronome à Léogâne. « Même s’il est vrai que plus on est pauvre, moins on est résilient, le changement doit venir des Haïtiens. » poursuit-il.

D’où le coup de pouce donné par Concert’action, en coordination avec les habitants. Louissaint, paysan, se réjouit : « Avec le projet, on s’adapte au climat et on se nourrit mieux. » L’adaptation menée par et pour les communautés : voici, semble-t-il, la voie pour résister, au mieux, aux changements climatiques.

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Haïti est confrontée à des périodes de sécheresse de plus en plus intenses. « C’est la première fois en 59 ans d’existence que je vois cette rivière à sec en plein mois de mai, traditionnelle saison des pluies. » rapporte Yves, paysan de la région
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Haïti est confrontée à des périodes de sécheresse de plus en plus intenses. « C’est la première fois en 59 ans d’existence que je vois cette rivière à sec en plein mois de mai, traditionnelle saison des pluies. » rapporte Yves, paysan de la région des Palmes. Par la suite, les récoltes sont perdues.
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Christophe Hargoues / Secours Catholique
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Dans un pays sous-développé où le charbon est la principale source d’énergie, la déforestation est monnaie courante. 70 % du bois coupé sert à la fabrication du charbon. Résultat : Haïti comporte moins de 2 % de couverture forestière.
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Dans un pays sous-développé où le charbon est la principale source d’énergie, la déforestation est monnaie courante. 70 % du bois coupé sert à la fabrication du charbon. Résultat : Haïti comporte moins de 2 % de couverture forestière.
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Christophe Hargoues / Secours Catholique
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Conséquence de la déforestation : Haïti est fortement marquée par l’érosion. Or, les cyclones de plus en plus violents amènent des pluies intenses qui accélèrent ce phénomène. Les montagnes connaissent ainsi des éboulements de terrain importants.
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Conséquence de la déforestation : Haïti est fortement marquée par l’érosion. Or, les cyclones de plus en plus violents amènent des pluies intenses qui accélèrent ce phénomène. Les montagnes connaissent ainsi des éboulements de terrain importants.
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Christophe Hargoues / Secours Catholique
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La pollution du plastique, l’urbanisation non contrôlée vers la mer, et l’exploitation du bois ont conduit à la disparition des mangroves, ces espaces naturels où se reproduisent les poissons. Ces phénomènes, combinés à une hausse de la température
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La pollution du plastique, l’urbanisation non contrôlée vers la mer, et l’exploitation du bois ont conduit à la disparition des mangroves, ces espaces naturels où se reproduisent les poissons. Ces phénomènes, combinés à une hausse de la température de la mer, ont fait diminuer la quantité de poissons.
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Les mangroves disparues ne sont plus un obstacle à la mer qui monte, en raison des changements climatiques. Des villages côtiers sont ainsi inondés et le sel envahit les nappes phréatiques et abîme les cultures maraîchères.
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Les mangroves disparues ne sont plus un obstacle à la mer qui monte, en raison des changements climatiques. Des villages côtiers sont ainsi inondés et le sel envahit les nappes phréatiques et abîme les cultures maraîchères.
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Afin de permettre aux paysans de s’adapter aux changements climatiques, Concert’action les incite à diversifier leurs cultures : poivrons et grenadines – des variétés qui ont moins besoin d’eau et sont donc plus résistantes en cas de sécheresse –
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Afin de permettre aux paysans de s’adapter aux changements climatiques, Concert’action les incite à diversifier leurs cultures : poivrons et grenadines – des variétés qui ont moins besoin d’eau et sont donc plus résistantes en cas de sécheresse – vont compléter les cultures traditionnelles du maïs et du haricot.
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L’élevage de lapins permet aux paysans d’utiliser leurs excréments pour faire du fumier, engrais naturel pour les cultures, puis de vendre les animaux pour diversifier leurs sources de revenus.
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L’élevage de lapins permet aux paysans d’utiliser leurs excréments pour faire du fumier, engrais naturel pour les cultures, puis de vendre les animaux pour diversifier leurs sources de revenus.
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Face à la déforestation du pays, Concert’action mène des activités de reboisement. 28 000 plantules poussent chaque année dans des pépinières avant d’être replantées dans la nature. Christophe, pépiniériste, se félicite : « Cela augmente le rendement
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Face à la déforestation du pays, Concert’action mène des activités de reboisement. 28 000 plantules poussent chaque année dans des pépinières avant d’être replantées dans la nature. Christophe, pépiniériste, se félicite : « Cela augmente le rendement de planter des arbres car les racines accroissent l’infiltration de l’eau dans le sol et les feuilles libèrent des éléments minéraux. »
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Les arbres sont aussi donnés aux paysans pour qu’ils les plantent sur leurs parcelles. C’est le principe de l’agroforesterie qui accroît la fertilité des sols. Les fruits sont également récoltés.
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Les arbres sont aussi donnés aux paysans pour qu’ils les plantent sur leurs parcelles. C’est le principe de l’agroforesterie qui accroît la fertilité des sols. Les fruits sont également récoltés.
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Concert’action accompagne par ailleurs les paysans pour construire des barrières anti érosive afin de protéger la terre, soit par des bandes d’herbes soit par des structures de pierre. « Comme les pluies sont plus fortes avec les changements
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Concert’action accompagne par ailleurs les paysans pour construire des barrières anti érosive afin de protéger la terre, soit par des bandes d’herbes soit par des structures de pierre. « Comme les pluies sont plus fortes avec les changements climatiques, ces structures empêchent l’eau de ruisseler. » se félicite Jean-Baptiste, paysan.
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Concert’action aide également les familles à reconstruire leurs maisons détruites par les cyclones. L’association érige aussi des citernes ou des sources d’eau pour mieux recueillir l’eau de pluie. Car dans cette zone, impossible de creuser un forage
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Concert’action aide également les familles à reconstruire leurs maisons détruites par les cyclones. L’association érige aussi des citernes ou des sources d’eau pour mieux recueillir l’eau de pluie. Car dans cette zone, impossible de creuser un forage pour accéder à l’eau.
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À Delatte, Concert’action a ouvert un centre de santé. C’est l’une des conséquences des changements climatiques : les populations voient leurs problèmes de santé se multiplier, que ça soit la malnutrition ou l’anémie, ou encore le stress hydrique et
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À Delatte, Concert’action a ouvert un centre de santé. C’est l’une des conséquences des changements climatiques : les populations voient leurs problèmes de santé se multiplier, que ça soit la malnutrition ou l’anémie, ou encore le stress hydrique et la déprime ambiante.
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A Léogâne, en bord de mer, entre autres pour empêcher la montée de l’océan, Concert’action a mis en place 10 000 plantules de mangroves en coopération avec les pêcheurs. Ceux-ci espèrent que les poissons vont revenir.
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A Léogâne, en bord de mer, entre autres pour empêcher la montée de l’océan, Concert’action a mis en place 10 000 plantules de mangroves en coopération avec les pêcheurs. Ceux-ci espèrent que les poissons vont revenir.
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Enfin Concert’action mène des ateliers de sensibilisation sur les changements climatiques pour mieux préparer les habitants aux accidents climatiques. L’association les aide à accepter la nécessaire adaptation et leurs changements de comportement.
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Enfin Concert’action mène des ateliers de sensibilisation sur les changements climatiques pour mieux préparer les habitants aux accidents climatiques. L’association les aide à accepter la nécessaire adaptation et leurs changements de comportement.
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Nom(s)
Cécile Leclerc-Laurent
Fonction(s)
Journaliste
Nom(s)
Christophe Hargoues
Fonction(s)
Photographe
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