« Le chômage est toujours dur, il blesse »

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Le gouvernement a dévoilé son projet pour renforcer le contrôle des demandeurs d'emploi. Le père Gérard Marle et l'économiste Dominique Redor insistent, eux, sur la nécessité d'investir davantage dans l'accompagnement des chômeurs de longue durée. Entretien.
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« Le chômage est toujours dur, il blesse »
Des salariés d'EBE 58, un entreprise à but d'emploi qui embauche des chômeurs de longue durée dans la Nièvre.

Secours Catholique : Pourquoi dans l'opinion publique comme dans les discours politiques, les personnes au chômage de longue durée sont souvent considérées comme responsables - si ce n'est satisfaites - de leur situation ?

Gérard Marle :  Le travail n’est pas facile et les gens qui travaillent ont le sentiment de travailler pour les chômeurs. « Je bosse, je me lève tôt, je galère et en plus je nourris les chômeurs. » Dans ce cas, le demandeur d'emploi est forcément une figure négative. Il est perçu comme celui qui profite et ne fait rien pour s’en sortir.

Bien sûr que vous pouvez trouver des personnes qui se contentent de cette situation. Mais ce sont des cas très minoritaires qui sont montés en épingle.

Globalement, lorsque l'on rencontre des personnes au chômage, on se rend compte qu'elles veulent travailler. Au Secours Catholique, par exemple, beaucoup de bénévoles sont des chômeurs, parfois de longue durée. Ils cherchent à s’investir, à être utiles, en activité, ils veulent travailler.

Ils ne veulent pas seulement recevoir une allocation, ils veulent bosser. L'exemple flagrant est l'expérimentation Territoire zéro chômeur longue durée qui permet à des personnes qui ne trouvent pas d'emploi depuis plus d'un an de créer leur activité et de travailler en étant payés le Smic. Cette démarche est basé sur le volontariat. Et les candidats sont très nombreux.

Dans une société, qu’on le veuille ou non, on définit encore les personnes par l’emploi. Si on n’en a pas, on est déconsidéré, on se sent inutile.

Quand les personnes retrouvent un emploi, elles disent souvent : « Plus jamais ça. »


Le chômage est dur, il blesse. On passe son temps à trouver des portes fermées - il n’y a pas de place pour vous -, on prend des coups sans arrêt. Quand les personnes retrouvent un emploi, elles disent souvent : « Plus jamais ça ! »

Parfois, des personnes donnent le sentiment de ne pas être en recherche d'emploi. Mais quand vous êtes au chômage depuis un an et demi, deux ans, trois ans... Il y a des moments où vous baissez les bras, et d'autres où vous vous économisez psychologiquement. 

Vous ne pouvez pas chercher du boulot tous les jours. C’est épuisant moralement. Il faut gérer ce temps de chômage, s'aménager des temps de recherche, ne pas être tout le temps à 100%. Et si vous croisez un chômeur au moment où il a besoin de souffler, vous allez considérer qu'il est fainéant, sans imaginer qu'il vient peut-être de passer quatre ou cinq mois à chercher activement et à se prendre des baffes.
 

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S.C : Aujourd’hui, les politiques de l’emploi sont-elles adaptées aux chômeurs de longue durée ?

G. M. : D’après ce que je vois et entends, en général, les politiques ont besoin de résultats à court terme. Ils concentrent donc les moyens sur les personnes dont ils espèrent une sortie rapide du chômage, qui nécessitent des accompagnements moins lourds et qui coûtent plus cher en indemnisation qu’une personne au RSA. Ils s’adressent rarement aux chômeurs de longue (1 an et plus) et très longue durée (2 ans et plus).

Dominique Redor :  Effectivement, la tendance naturelle est d'aider les personnes dont on pense que d'ici 3 ou 6 mois elles pourraient être sorties du chômage. De fait, on laisse tomber ceux qui sont dans la plus grande difficulté.

Privilégier ainsi le court terme est une mauvaise politique, car on constate que ceux qui sont bien armés – diplômés, en bonne santé, pas trop âgés, avec une vie de famille équilibrée - se débrouillent très bien seuls. Ce sont les autres qui ont surtout besoin d'accompagnement et de formation.

Pôle Emploi entreprend d’ailleurs de davantage concentrer ses moyens sur les chômeurs de long terme, en proposant des accompagnements "renforcé" ou "global". Comme au Danemark ou en Suède.

 

S.C : Quelles sont les pistes pour lutter contre le chômage de longue durée ?

D. R. : Si l’on observe les expériences internationales, il y a deux modèles. Le système anglo-saxon qui consiste à déréguler le marché du travail, à l’image des contrats "zéro heure" au Royaume-Uni. Si l’on dérégule complètement, effectivement, il est possible que beaucoup de personnes, même très éloignées de l’emploi, trouvent des petits boulots comme laveur de voiture, promener des chiens dans les quartiers chics… 

Ils faut avoir en tête que les « bons » résultats des États-Unis et du Royaume-Uni en matière de chômage sont largement dus à une illusion statistique. Quelqu'un qui a travaillé ne serait-ce qu'une heure au cours de la semaine y est considéré comme « ayant un emploi ». Ainsi, de nombreuses personnes définies comme telles dans les enquêtes statistiques, sont en fait gravement sous-employées avec des revenus très faibles. 

Est-ce une bonne solution ? D’un point de vue social, comme économique, ce n’est pas forcément intéressant. Et d’un point de vue politique, cela peut être dangereux. Lorsque vous avez une masse de personnes qui font un boulot dur, mal payé, déconsidéré, il y a des répercussions politiques. Trump ou le Brexit, cela ne vient pas de nulle part.

L’autre modèle, c’est le modèle scandinave basé sur un accompagnement efficace des personnes qui sont sorties du système. Et cela fonctionne, dans la mesure où le nombre des laissés pour compte est nettement plus faible qu’en France.

Lorsque vous avez une masse de personnes qui font un boulot dur, mal payé, déconsidéré, il y a des répercussions politiques.


Néanmoins, il y a la question de l’échelle. C'est un système qui mobilise beaucoup plus de moyens, de ressources. Ce qu'on réalise dans un pays de 6 millions d’habitants, est-ce viable pour un pays qui en compte 65 millions ?

Quoiqu'il en soit, beaucoup reste à faire, en France, pour la formation première (enseignement secondaire et supérieur), et la formation continue qui bénéficie surtout aujourd’hui aux mieux placés sur le marché du travail : les cadres masculins de moins de 40 ans.

De même, les nouvelles technologies entraînent des changements d’emplois et de statuts de plus en plus fréquents en particulier pour les moins qualifiés (auto-entrepreneurs, salariés, travailleurs indépendants).

Il faut les aider dans ces changements par l’accompagnement, la formation, mais aussi la protection sociale : indemnisation des chômeurs quel que soit leur statut lorsqu’ils étaient en emploi, aide sociale qui vient compléter  des revenus du travail de plus en plus fluctuants et instables. C’est par ces moyens que l’on diminuera le nombre des exclus du marché du travail.

G. M. : Le b.a.-ba, c’est l’accompagnement. Les chômeurs de longue durée se retrouvent souvent isolés, avec des phases de découragement, voire de dépression, après s’être épuisés moralement dans une recherche qui ne donne rien. L’accompagnement rompt cet isolement.

Il faut aussi changer les mentalités. La stigmatisation que les chômeurs subissent, parfois au sein même de leur famille, est source de stress et peut s’avérer paralysante.

 

S.C : Au bout d’une longue période de chômage, peut-on considérer qu’une personne est  « inemployable » ?

G. M. : Non. Philosophiquement, je ne peux pas accepter cette idée. C’est comme dire d’une personne qui a commis des bêtises, qu’elle en fera toute sa vie. On n’en sait rien. J’ai deux amis qui à 57 et 58 ans ont retrouvé un emploi au bout d’un an de chômage pour l’un, six ans pour l’autre. On ne peut pas reprocher aux gens de ne pas travailler et en même temps ne pas se creuser la tête pour leur permettre d’accéder à l’emploi.

D. R. : Non. D’abord, les emplois à pourvoir ont des caractéristiques multiples selon le secteur d’activité, la qualification, la taille de l’entreprise, voire la localisation (grande ville / zone rurale). La notion d’employabilité renvoie à un standard ou une norme qui n’existent pas.

Ensuite, considérer qu’une personne est irrécupérable pour l’emploi signifie que cette personne dépend financièrement de la collectivité pour le restant de ses jours. Pour la société, c’est un très mauvais calcul économique si l’on prend en compte la totalité des coûts sociaux directs (la personne est inactive) et indirects (effets sur les proches : conjoint enfants, ruptures des liens sociaux, difficultés de santé et psychologiques).

Crédits
Nom(s)
BENJAMIN SÈZE
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Crédits photos : ©Gaël Kerbaol / Secours Catholique
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