Liban : « C’est par les catastrophes que l’humanité réalise le besoin de solidarité »

Chapô
Le Liban vit depuis deux ans une véritable descente aux enfers. Aujourd'hui asphyxié par un manque cruel d'électricité et d'essence et par la chute de sa monnaie, le pays a du mal à imaginer comment en sortir et comment sera son avenir. Entretien avec Marie-Claude Souaid, représentante de l'association libanaise Alpha.
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Liban : « C’est par les catastrophes que l’humanité réalise le besoin de solidarité »
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Le Liban vit depuis deux ans une véritable descente aux enfers. Aujourd'hui asphyxié par un manque cruel d'électricité et d'essence et par la chute de sa monnaie, le pays a du mal à imaginer comment en sortir et comment sera son avenir. De passage à Paris, Marie-Claude Souaid*, représentante de l'association libanaise Alpha, que le Secours Catholique soutient, a accepté de partager son sentiment sur son pays.

Secours Catholique : Comment analysez-vous la situation actuelle au Liban ?

Marie-Claude Souaid : Depuis ma naissance, il y a 67 ans, je vis au Liban. J’avais quatre ans lors de la première guerre civile, 21 ans lors de la deuxième et ça n’a plus arrêté. Je viens d’un milieu et d’une famille où on a pour principe de relever la tête. Aussi, je suis une perpétuelle optimiste. Mais je ne peux pas vous dire s’il y aura une autre guerre ou une révision de la Constitution.

Ce que je peux vous dire c’est que le mouvement du 17 octobre avait soulevé un enthousiasme proche de celui des Printemps arabes. Nous avons tellement été abandonnés par nos politiciens que nous sommes persuadés qu’il n’y en a pas un pour rattraper l’autre. Le système confessionnel a juste permis de conserver le nombre de députés chiites, sunnites, druzes, etc. mais il n’a pas permis de reconstruire le pays après 1990, ni aujourd’hui de sortir de la crise. Face aux coqs qui veulent être toujours plus forts que les autres, il y a eu un élan de citoyenneté, une citoyenneté forgée par la misère.
 

S.C. : Ce mouvement de contestation a lieu quelques semaines seulement avant la pandémie de Covid. Cela a-t-il changé la donne ?

M-C.S. : La crise de la Covid a été bien gérée. C’est assez étonnant dans ce pays de contradictions. Le ministère de la Santé, dirigé par un membre du Hezbollah, a bien géré la crise. Mais il n’était pas seul. Les médecins et les hôpitaux ont suivi. Les médias ont suivi. Nous étions informés quotidiennement et bien orientés.

Cela a dérapé quand on a rouvert les aéroports. Les expatriés sont revenus pour faire repartir l’économie et la précarité s’est accrue encore plus. Les gens n’avaient plus d’argent, ils ne travaillaient plus et le cours de la livre (libanaise) a peu à peu chuté.

Actuellement, nous sommes en pleine crise financière et économique. La classe moyenne a été totalement paupérisée. En partie à cause des banques libanaises, parmi les principaux employeurs du pays (à chaque coin de rue vous aviez la filiale d’une banque). Elles employaient beaucoup de jeunes à qui elles faisaient crédit pour se loger, se marier, acheter une voiture, etc. Elles ont fermé une grande partie de leurs filiales et mis à la porte 65% de leurs employés qui se retrouvent sans rien.

Or, c’était cette classe moyenne qui faisait la force du pays. Aujourd’hui, une nouvelle classe émerge, une classe de gens qui travaillent dans l’économie parallèle, pour ne pas dire criminelle, qui profite des pénuries, du manque, du marché noir. Vous imaginez quel impact cela va avoir sur le long terme ?


S.C. : Puis il y a eu l’explosion du 4 août 2020 dans le port de Beyrouth…

M-C.S. : Oui. Nous étions déjà tellement abandonnés. Nos politiciens ne sont même pas descendus voir le port après l’explosion. Il n’y a eu que la défense civile, armée de ses seules mains, et un président français pour dire aux Libanais qu’on compatissait avec eux.

Aujourd’hui ces politiciens font obstruction à l’enquête. Ils ont fait sauter le premier juge d’instruction, et ils veulent se débarrasser de l’actuel, qui a l’aval du comité des familles de victimes. On vit dans la colère et dans un climat d’impunité qu’on ne peut plus supporter. Mais pour nous, à Alpha, l’urgence est de pouvoir rattraper les deux années perdues d’enseignement à distance.


S.C. : Effectivement, l’association Alpha que vous représentez vient en aide aux plus pauvres. À l’origine elle s’attaquait uniquement à l’illettrisme. Puis sa mission a évolué. Quelles actions mène l'association aujourd'hui ?

M-C.S. : L’association Alpha a été fondée en 1993 par le père Albert, curé oriental et travailleur social, pour réparer les conséquences des guerres civiles et des conflits.

Au début, Alpha (sigle pour Association libanaise pour la promotion humaine et l’alphabétisation) était uniquement composée d’instituteurs, de professeurs et de spécialistes en alphabétisation. Sa mission était d’endiguer l’illettrisme chez les adultes qui, enfants, n’avaient pu aller à l’école à cause de la guerre civile (1975-1990).

Mais très vite, les équipes d’Alpha ont dû répondre à d’autres problèmes. Durant la guerre de 2006, Alpha a introduit le soutien psycho-social auprès des enfants traumatisés. Aux équipes de professeurs se sont ajoutés des travailleurs sociaux. Avec l’arrivée des réfugiés syriens, en 2012, nous avons élargi notre périmètre d’action. Nous sommes intervenus en Syrie en y apportant des aides matérielles. Le Secours Catholique et l’ambassade de France nous ont d’ailleurs aidés à financer une clinique mobile à Alep, à soutenir les Églises orientales à poursuivre l’éducation des enfants syriens, à créer des associations et à former des adultes.

Notre action a été remarqué par de jeunes médecins irakiens qui avaient besoin d’être aidés pour améliorer les services sociaux de santé. Nous avons ouvert une branche en Irak et nous mettons en place des programmes qui portent sur l’accès à l’eau et à sa qualité, ainsi que des programmes d’amélioration des services de santé dans les dispensaires d’État. Tous les programmes irakiens ont été financés par le Secours Catholique.

Mais au Liban, nous faisons face à d’autres urgences. Une urgence alimentaire surtout car les gens n’ont plus de quoi s’acheter à manger. Nous distribuons des rations alimentaires, des caisses de légumineuses (boulgour, pois chiches, lentilles, haricots secs) sans oublier l’huile d’olive. Sans huile au Liban, on ne peut pas cuisiner. Jusqu’ici, même les familles les plus pauvres pouvaient s’acheter une dame-jeanne d’huile d’olive, aujourd’hui ce n’est plus possible.

Pendant la pandémie, nous avons aidé les gens à manger, à se procurer des masques, du gel, des gants et à se tenir informés. Et après l’explosion du port, et grâce au soutien financier de nos partenaires internationaux, nous avons pu reconstruire 400 maisons. Nos partenaires ont été un soutien aussi bien moral que financier. Nous continuons aujourd’hui à distribuer des bons mensuels de 80 dollars pour que les malades chroniques puissent s’acheter leurs médicaments.


S.C. : Pensez-vous que le Liban se remettra bientôt de ces épreuves ?

M-C.S. : Nous n’avons plus d’essence, alors on ne se déplace plus. Nous n’avons plus de quoi cuisiner, alors on ne s’invite plus. Le Liban se recroqueville mais il y a une volonté citoyenne. Les jeunes de l’opposition ont décidé de participer aux prochaines élections, municipales et législatives. La communauté internationale ne croit pas que nous puissions faire émerger une démocratie. Elle nous tire les oreilles en nous disant que nous sommes tous corrompus, mais nous, nous voulons imaginer un monde qui ne forme qu’un, comme en écologie.

Nous pouvons influer sur nos sociétés à condition que l’argent et les armes ne soutiennent pas ceux qui sont contre la démocratie.

 

*Marie-Claude Souaid est anthropologue, chercheuse en criminologie et fut longtemps enseignante à l’université Saint-Joseph de Beyrouth. Elle est depuis 2018 engagée auprès de l’association Alpha où elle est responsable du développement stratégique et des relations avec ses donateurs. 
Crédits
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JACQUES DUFFAUT
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Crédits photos : ©Steven Wassenaar / Secours Catholique - Caritas France
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