Mieux mesurer la grande pauvreté

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Vendredi 10 mai, ATD Quart Monde et l’Université d’Oxford ont publié une étude sur les dimensions cachées de la pauvreté, dont le Secours Catholique est partenaire. Durant trois ans, des chercheurs, des professionnels de l'action sociale et des personnes en situation de pauvreté ont travaillé ensemble dans six pays. L'objectif : mettre au point de nouveaux instruments pour mesurer la grande pauvreté. 
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Mieux mesurer la grande pauvreté

Entretien avec Pascale Novelli, statisticienne au Secours Catholique, qui a participé aux travaux de recherche.

Secours Catholique : De quoi parle cette étude ? 

Pascale Novelli : Cette étude évoque les différentes dimensions de la pauvreté, les interactions entre elles, la manière dont elles jouent les unes sur les autres. Le but est d'affiner la compréhension et la mesure de la pauvreté. Le cœur des travaux aborde trois dimensions majeures : les privations, la dépossession du pouvoir d'agir et l'impact sur les dynamiques relationnelles. Nous définissons chacune d'entre elles et nous les décrivons, notamment à travers des témoignages et des réflexions personnelles. Nous abordons aussi cinq facteurs qui atténuent ou qui augmentent la pauvreté : l’identité, le temps et la durée, le lieu où l'on vit, l’environnement et la politique environnementale, et les croyances culturelles. 


S.C. : Comment cette étude a-t-elle été réalisée ?

P.N. : C’est une démarche scientifique qui a été menée, durant trois ans, dans six pays : au Bangladesh, en Bolivie, en France, en Tanzanie, au Royaume-Uni et aux États-Unis. Nous avons utilisé la méthode du croisement des savoirs : toutes les équipes nationales étaient constituées d'universitaires, de professionnels et de personnes vivant l'expérience de la pauvreté. En tout ce sont près de 1100 personnes qui ont contribué. Il y a eu tout un travail de mise en confiance des participants qui a permis de libérer la parole de chacun et d’approfondir la réflexion.  


S.C. : En quoi la dimension internationale de ces travaux vous paraît intéressante ? 

P.N. : C'est intéressant de voir que, vivant dans six pays si différents avec des politiques sociales qui n’ont rien à voir, nous avons réussi à nous mettre d’accord sur neuf dimensions communes de la pauvreté. On observe ainsi que, même si le degré et l’intensité varient selon les pays, il existe des constantes dans les situations de pauvreté, que l’on retrouve partout dans le monde. Ça a été un peu une surprise de découvrir cela. Cette dimension internationale est également intéressante pour la recherche de solutions : cela élargit le champ des possibles, à travers les échanges d’expérience.


S.C. : Qu'apporte cette étude de nouveau par rapport aux travaux qui existent sur le sujet ? 

P.N. : L'aspect multidimensionnel de la pauvreté est aujourd'hui reconnu, mais certaines de ses dimensions sont encore peu ou pas traitées, comme la maltraitance institutionnelle des personnes pauvres ou la dépossession de leur pouvoir d’agir, ou encore la lutte qu'elles mènent au quotidien pour s'en sortir. Ce manque est en partie lié au fait que les équipes qui travaillent sur la thématique ne comprennent pas en leur sein de personnes qui vivent l’expérience de la pauvreté. 

Notre idée, grâce au croisement des trois savoirs, était de pouvoir aborder le sujet de la manière la plus globale qui soit. Car une approche globale de la pauvreté peut permettre de mieux comprendre certaines situations et ainsi de les débloquer.

Pour prendre un exemple, imaginons le cas d'un professeur qui convoque les parents d'un élève en difficultés. Les parents ne viennent pas, sans donner d'explication. Le professeur va prendre cela pour de la négligence, du désintérêt de leur part. Il risque du coup de se braquer, et l’enfant de pâtir de cette situation. Alors qu'il arrive fréquemment dans les familles pauvres, que les parents aient un rapport compliqué à l'école, lié parfois à une scolarité qui s'est mal passée, ou à la honte de ne pas bien maîtriser la langue et à la peur d'être jugés. Si le professeur le sait, au lieu de se braquer, il peut essayer de trouver des solutions pour instaurer un lien de confiance. 


S.C. : Quels sont les objectifs de cette étude ?

P.N. : Pour réaliser les objectifs de développement durable (ODD), il faut se donner les moyens de mesurer vraiment la pauvreté. Nous avons fait une partie du chemin avec ce travail réalisé sur les dimensions de la pauvreté, mais il faudra le compléter en définissant de nouveaux indicateurs de pauvreté. 

En ce sens, nous avons rencontré à Bruxelles des personnes de l'office de statistique de l'Union européenne (Eurostat) qui n‘avaient pas l’air fermées à l’idée d’imaginer de nouvelles choses. L’Organisation de Coopération et de Développement Économiques (OCDE) est aussi intéressée par nos travaux. Et la semaine prochaine, nous présentons ces derniers à l’Observatoire national de la pauvreté et de l’exclusion sociale (ONPES).

À travers cette expérience de croisement des savoirs, nous souhaitons également deux choses : promouvoir une manière de travailler auprès des universitaires et des professionnels ; et permettre un changement de regard sur les personnes en précarité, car ces travaux montrent qu'elles ne font pas que subir leur situation, qu'elles sont capables de l’analyser, d’en percevoir les facteurs et d'imaginer des solutions possibles. 

L’objectif à long terme est de contribuer à l’élaboration de meilleures politiques de lutte contre la pauvreté aux niveaux national et international, et donc à l’éradication de la pauvreté.

Crédits
Nom(s)
BENJAMIN SÈZE
Nom(s)
Crédits photos : ©Élodie Perriot / Secours Catholique.
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