Exilés "dublinés" : « C'est l'enfer et c'est absurde »

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Mossein est Iranien, Mohamed est Guinéen. Rencontrés entre Calais et Paris, tous les deux racontent la situation dans laquelle les plonge le règlement de Dublin. Celui-ci oblige les personnes exilées qui souhaitent obtenir l'asile à en faire la demande dans le premier pays de l'Union européenne où elles ont été enregistrées.
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Texte

Professeur d’anglais, âgé de 32 ans, Mossein dit avoir fui l’Iran à cause de la situation politique. 

« Mon objectif était de rejoindre des amis installés en Suède. Pour être accueilli et ne pas me retrouver isolé. Le problème, c'est que je me suis fait attraper par la police en Roumanie. J’ai été détenu pendant deux jours dans un centre où ils ont enregistré mes empreintes avant de me relâcher. J’ai repris mon chemin, avant d’être de nouveau arrêté en Autriche. Cette fois-ci, j’ai voulu déposer une demande d’asile, afin d’éviter d’être renvoyé en Roumanie. Mais ils l’ont refusée en me disant qu’en vertu du règlement de Dublin, c’est en Roumanie que je devais faire ma demande.

J’ai compris que ce serait partout pareil. Alors j’ai décidé d’aller en Angleterre. Parce qu’on m’a dit que là-bas, ils étaient plus souples dans l’application du règlement de Dublin. Je ne suis pas sûr que ce soit vrai. Mais j’espère.  En attendant, je suis à Calais. Ici les conditions sont horribles. Je me suis renseigné sur le prix des passeurs. En ce moment, c’est 4500 euros minimum le passage. »

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Mohamed, 25 ans, est en France depuis trois ans. Il était étudiant dans un cursus « carrière administrative » lorsqu'il a quitté la Guinée à cause d'un conflit familial, raconte-t-il. Il est remonté jusqu'au Maroc avant de traverser la Méditerranée en direction des côtes espagnoles.

« Lorsque nous avons été débarqués à Las Palmas, après avoir été secourus, ils nous ont pris nos empreintes, tout en nous précisant que cela ne correspondait pas à une déposition de demande d'asile. Ensuite, nous avons été retenus trois jours dans un centre à Almeria. Ils nous ont demandé si nous souhaitions rester ici ou aller en France. Si tu dis que tu veux partir, les Espagnols ne te retiennent pas. Ils vont te dire que tu n'es pas obligé de rester, que tu peux choisir ton pays. Ils te donnent même 50 euros pour le trajet en bus jusqu'à Saint-Sébastien (Pays Basque espagnol).

Mais lorsque je suis arrivé en à Paris et que j'ai voulu demander l'asile, à la préfecture, on m'a répondu : "C'est le premier pays qui est responsable de votre demande." Je leur ai précisé que je n'avais pas fait de demande en Espagne. Ils m'ont dit : "Oui mais vous y avez été enregistré." C'est absurde. L'Espagne, l'Italie, la Hongrie sont des points de passage obligés à cause de leur situation géographique, ce n'est pas un choix ! Si on nous accordait des visas, presque personne ne demanderait à aller là-bas.

On te coupe tout, tu n'as pas d'argent, pas d'hébergement, tu dors dans la rue, tu ne manges pas à ta faim. C'est l'enfer. 

 

Ce sont des pays où on ne veut pas de vous, où on vous dit de partir. Dans certaines régions en Italie, ils ne veulent pas voir un noir. Et puis, pour les jeunes comme moi qui viennent de pays qui ont été colonisés par la France, nous avons appris le français à l'école, on ne connaît que la France, on ne connaît rien de l'Espagne, de l'Italie... Notre but est de pouvoir travailler rapidement, nous intégrer et faire notre vie. 

Lorsque tu es "dubliné", tu n'as même pas le temps de parler, de raconter ton histoire, on te dit : "On s'en fout, tu es dans une procédure Dublin, tu dois retourner." On te coupe tout, tu n'as pas d'argent, pas d'hébergement, tu dors dans la rue, tu ne manges pas à ta faim. C'est l'enfer. 

Parfois ils évacuent les migrants qui campent Porte de la chapelle (au nord de Paris), et en renvoient certains en Espagne ou en Italie. Mais au bout d'un mois, tu revois les mêmes personnes au même endroit. Elles sont revenues. Ça aussi c'est absurde. »

Crédits
Nom(s)
Benjamin Sèze
Fonction(s)
Journaliste rédacteur
Nom(s)
Christophe Hargoues, Steven Wassenaar
Fonction(s)
Photographes
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