Migrations environnementales: « De plus en plus de gens vont partir du fait des dégradations environnementales »

Chapô
La France et le Sénégal, qui ont pris la tête du Forum Mondial Migrations et développement en juillet dernier, ont placé le changement climatique et la mobilité humaine comme un axe prioritaire de leur co-présidence. Les migrations environnementales sont une réalité de plus en plus présente. Le Secours Catholique l’observe via ses partenaires dans les pays du Sud : de plus en plus de gens sont contraints de quitter leurs lieux de vie et de travail en raison des effets néfastes du changement climatique. Exemple au Sénégal.
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Boubacar Seck en pleine conversation

 

Entretien avec Boubacar Seck, chargé du partenariat et de la recherche à Caritas Sénégal, partenaire du Secours Catholique.

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Secours Catholique : Quelle est la réalité du changement climatique au Sénégal et en quoi pousse-t-il des gens à partir ?

Boubacar Seck : Le changement climatique, qui se manifeste notamment par le déficit et la variabilité pluviométriques mais également par l’élévation des températures, a un impact considérable sur l’agriculture, l’élevage et la pêche. Concernant ce dernier secteur, les poissons migrent. Non seulement il y a eu une baisse des ressources liée à la surpêche, mais avec le réchauffement des eaux, des espèces se déplacent pour trouver des zones plus clémentes. Par conséquent, les pêcheurs doivent aller toujours plus loin pour pêcher et cela a une incidence négative ; la consommation de carburant et les coûts de production augmentent. Un nombre croissant de pêcheurs vont jusqu’en Guinée Bissau, en Guinée Conakry ou en Mauritanie pour trouver des ressources halieutiques abondantes.

Les pêcheurs doivent aller toujours plus loin pour pêcher


Dans le secteur de l’élevage, avec la baisse de la pluviométrie, les éleveurs qui menaient leurs activités principalement dans le Bas-Ferlo (Centre-Nord du pays), migrent de plus en plus vers l’est et le sud pour trouver des pâturages et de l’eau. Cette mobilité génère des contraintes en matière d’accès aux services et soins de santé, d’accès et de maintien à l’école de leurs enfants mais aussi d’accès aux services vétérinaires.

Les paysans, qui exploitent de petits périmètres dans l’ancien bassin arachidier couvrant la partie Centre-Ouest du pays avec les régions de Diourbel, Louga, Thiès, Kaolack, Fatick et Kaffrine, s’inscrivent également dans des dynamiques migratoires. Certains d’entre eux choisissent d’aller au sud pour s’installer dans le Médina Yoro Foulah, l’un des trois départements de la région de Kolda, pour bénéficier d’une meilleure pluviométrie et de terres fertiles.

D’autres s’orientent vers les Niayes, une zone d’anciennes vallées et de dépressions inter-dunaires qui s’étend sur la façade maritime de Dakar à Saint-Louis sur environ 270 km. Dans cet écosystème à vocation maraichère, arboricole et avicole, où des milliers d’actifs contribuent, à hauteur de 60%, à la production horticole du Sénégal, ils sont confrontés à d’autres contraintes. Celles-ci sont liées notamment à l’accès au foncier à usage agricole et aux conflits d’usage liés à l’eau.

L’accès des horticulteurs au foncier et à l’eau, facteurs de production essentiels, est fortement restreint par des entreprises immobilières et des industries extractives. Elles occupent de vastes domaines constitués de terres fertiles et prélèvent d’énormes volumes d’eau de la nappe au point de la faire passer d’affleurante à profonde et de favoriser l’intrusion de l’eau salée. Dans les parcelles maraîchères la pénibilité du puisage augmente, le temps consacré à l’arrosage s’allonge et la salinisation réduit la productivité.

En analysant la situation des éleveurs ou des paysans, on observe que le changement climatique a des conséquences sur l’accès aux ressources foncières et hydriques. Leurs déplacements internes ou transfrontaliers génèrent des conflits avec les populations autochtones.
 

S.C. : Tout cela incite les populations à partir ?

B. S. : Oui, on observe plusieurs mobilités avec parfois des flux migratoires qui se croisent notamment entre le Sénégal et la Mauritanie. Les pêcheurs sénégalais pêchent dans les eaux mauritaniennes, où la ressource est encore abondante, mais à l’inverse des éleveurs mauritaniens entrent au Sénégal avec leurs troupeaux de chameaux pour chercher des pâturages et de l’eau.

Dans certains cas, la mobilité est une dimension essentielle du mode de vie, de la culture et du système de production. Le long cheminement des éleveurs Mbororo, qui se déplacent dans un vaste espace, qui s’étend du Niger au Nord de la République Démocratique du Congo, en quête de ressources pastorales, est à cet égard très instructif.

On manque cruellement de ressources pour l’adaptation au changement climatique des systèmes de production dans l’agriculture, l’élevage et la pêche.


Des individus et des communautés se déplacent soit à l’intérieur des pays soit entre les Etats en restant dans leur secteur d’activité. Mais, on observe également des mobilités intersectorielles. Des paysans, confrontés au changement climatique et à des crises récurrentes de production, changent de métier. Ils explorent le petit commerce dans le secteur informel ou s’orientent vers les pêcheries pour améliorer les conditions de vie de leur ménage. Ceux qui choisissent le secteur de la pêche se lancent dans la vente ou la transformation de produits halieutiques ; les plus téméraires intègrent un équipage de pirogue.   

Aujourd’hui on manque cruellement de ressources pour l’adaptation au changement climatique des systèmes de production dans l’agriculture, l’élevage et la pêche. Pour opérer une transition appropriée et juste, il faut mettre en œuvre des réponses structurelles adossées à une politique économique mettant notamment l’accent sur la transformation des produits agricoles et des ressources minières.

Le développement des capacités locales ou nationales de transformation est nécessaire pour générer plus de richesses et d’emplois pour les femmes et les jeunes. Aujourd’hui, l’économie sénégalaise n’arrive pas à créer suffisamment d’emplois pour toutes les personnes qui quittent les campagnes et s’installent dans les centres urbains et périurbains.

S.C. :  Quelles politiques d’adaptation aux changements climatiques faudrait-il mettre en place pour permettre aux gens de rester là où ils vivent 

B. S. : Nous devons faire de nos terroirs des zones de développement durable inclusif. Cette transformation profonde doit être opérée avec des systèmes de production adaptés au changement climatique.

Nous avons plusieurs défis prioritaires à relever : l’accès sécurisé au foncier à usage agricole, au crédit et aux énergies renouvelables, au solaire en particulier, la disponibilité de l’eau et de semences à cycle court, l’appropriation d’itinéraires techniques régénératifs et limitant la consommation d’eau au strict nécessaire, l’amélioration de l’efficacité des fertilisants biologiques et leur accessibilité, l’augmentation de la productivité et des capacités de stockage, l’extension des services de conseil agricole et l’installation, à large échelle, d’unités de transformation et de conditionnement intégrées à des filières industrielles l’accès au marché et à la protection sociale (assurance agricole et couverture maladie universelle). Nous devons former et accompagner les paysans pour qu’ils deviennent moins vulnérables. C’est ce que nous faisons à Caritas Sénégal.

Une telle politique permet par ailleurs de répondre à l’insécurité alimentaire et nutritionnelle.

Toute personne a un droit inaliénable à la mobilité.  


S.C. : Comment faire pour protéger au mieux les déplacés et les migrants environnementaux ?

B. S. : Nous partons du principe que la migration est un droit universel qu’il faut respecter. Toute personne a un droit inaliénable à la mobilité. On stigmatise les populations du sud qui migrent vers le nord en parlant d’ « immigrés ». Alors qu’on parle d’ « expatriés » pour les migrants du nord qui s’installent dans les pays du sud.

Le narratif véhiculé par les médias du nord fait la part belle aux ressortissants des pays du nord en situation de mobilité. Le combat se joue aussi sur le plan idéologique ; la production de contenus d’information à partir d’une perspective africaine est un enjeu essentiel.

Aujourd’hui on voit de plus en plus de migrants qui quittent leur terroir à cause de la dégradation de l’environnement ; ils se déplacent à l’intérieur de leur pays ou sortent de leur territoire national. Cette dynamique va être de plus en plus forte dans les prochaines années. La reconnaissance du statut de « migrant climatique » et l’application des instruments de protection à cette catégorie de personnes en situation de mobilité doivent donc être au cœur de nos initiatives conjointes de plaidoyer. 

Parallèlement, nous devons construire une alternative permettant, aux jeunes et aux femmes en particulier, d’exercer le «droit de rester» ou de partir en bénéficiant de la protection nécessaire aussi bien à l’intérieur des frontières nationales que dans les pays de transit et de destination.

Consacrer les ressources nécessaires à l’adaptation au changement climatique permet d’élargir l’accès aux opportunités économiques et de déconstruire la pauvreté qui entretient les dynamiques migratoires. Imaginez tout ce qu’on pourrait financer avec les ressources englouties par Frontex ! On pourrait notamment investir cet argent dans l’agriculture et la transformation des produits agricoles pour permettre, à ceux qui le veulent, de rester dans leurs terroirs.

Les États membres de l’Union européenne et les pays associés à l’espace Schengen devraient consacrer ces ressources, non pas à la construction de murs qui n’arrêteront pas des êtres humains dont la détermination est alimentée par l’inexistence de perspectives de vie décente dans leur pays, mais à l’appui à des politiques de développement durable et inclusif.

Crédits
Nom(s)
Cécile Leclerc-Laurent et Benjamin Sèze
Fonction(s)
Journalistes
Nom(s)
Elodie Perriot et Mathieu Génon
Fonction(s)
Photographes
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