RDC : Tournons la page dénonce une « alternance de façade »

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Début janvier, la Céni (commission électorale nationale indépendante) de la République démocratique du Congo a publié les résultats de la présidentielle du 30 décembre. La coalition Tournons la page, partenaire du Secours Catholique, critique un processus électoral dévoyé.
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Début janvier, la Céni (commission électorale nationale indépendante) de la République démocratique du Congo a publié les résultats de la présidentielle du 30 décembre – maintes fois repoussée depuis 2016 – proclamant la victoire de l’opposant Félix Tshisekedi devant un autre opposant Martin Fayulu, le candidat du pouvoir arrivant loin derrière.

Aussitôt, plusieurs voix ont dénoncé un hold-up électoral. Les évêques du Congo ont de leur côté affirmé que ce résultat n’était pas conforme aux données collectées par leur mission d’observation électorale déployée dans les deux-tiers des bureaux de vote du pays.

Tournons la page – une coalition d’ONGs de la société civile soutenue par le Secours Catholique – critique un processus électoral dévoyé et pointe du doigt que l’alternance ne peut qu’être issue de la vérité des urnes. 

 

Jean-Chrysostome KijanaEntretien avec Jean-Chrysostome Kijana, porte-parole de Tournons la page RDC.

 

 

Secours Catholique : Un opposant a gagné l’élection présidentielle. Est-ce une victoire de l’alternance ?

Jean-Chrysostome Kijana : Non, il s’agit d’une alternance de façade. Nous sommes déçus par la tournure des événements. Il faut tout de même rappeler que les Congolais avaient un désir très profond de changement : la mobilisation a été forte le jour des élections, et ce malgré les problèmes techniques. 

L’Église l’a dit : les résultats officiels de la Céni ne correspondent pas à ses propres observations faites dans 40 000 des 60 000 bureaux de vote du pays. À TLP* aussi, nous avons déployé une mission d’observation électorale, mais à une toute petite échelle (180 observateurs) et nous avons vu un vote sanction en étudiant les procès-verbaux des bureaux de vote dans lesquels nous étions. Le pouvoir a d’ailleurs senti que la tendance n’était pas en sa faveur et a coupé Internet et les télécommunications au lendemain du vote. 

Du coup, c’est quand même contradictoire qu’au niveau de la présidentielle, le candidat de la majorité soit battu à plate couture, mais qu’au niveau des législatives - les résultats ayant été publiés quelques jours plus tard -, le parti présidentiel ait la majorité absolue (350 sièges sur 485). Nous dénonçons d’ailleurs que la proclamation des résultats des élections législatives et provinciales ait eu lieu sans que les centres de compilation n’aient commencé leur travail de recensement.

Tournons la page craint une continuité du système, c’est-à-dire un système de prédation, de clientélisme, de favoritisme.


Au final, on a quand même l’impression que les autorités n’ont pas livré la vérité des urnes. On assiste à une alternance d’arrangement avec un président qui ne pourra pas appliquer son programme car il devra faire avec une Assemblée nationale aux mains du parti de l’ex-président.

Tournons la page craint une continuité du système, c’est-à-dire un système de prédation, de clientélisme, de favoritisme ; un système non démocratique et qui ne prend pas soin de ses citoyens. Car quand on prône l’alternance, il ne s’agit pas uniquement de personnes et du départ de Joseph Kabila, il s’agit d’un changement de système dans son ensemble.


S.C : Tournons la page dénonce également un processus électoral dévoyé et non crédible. Pouvez-vous nous expliquer ?

J-C K : Rappelons que cela fait des années que Joseph Kabila essaie de se maintenir au pouvoir, notamment en tentant de repousser les élections. L’Église et Tournons la page s’étaient même mobilisés pour que le scrutin ait lieu. Or, ce processus électoral n’a pas été crédible depuis le début. 

Par exemple, lors de l’opération d’inscription des électeurs, nous avons remarqué qu’il y avait 6 millions d’électeurs fictifs dans le fichier central de la Céni. Puis la campagne électorale a été déséquilibrée : des manifestations de certains partis politiques ont été dispersées à coups de gaz lacrymogènes ou de balles réelles ; le candidat Martin Fayulu n’a pas pu venir faire campagne à Kindu, dans la province de Maniema des militants de la société civile ou de l’opposition ont été intimidés, etc. 

On peut se demander si ça n’était pas un prétexte pour empêcher les gens de voter.


Il faut aussi rappeler que 1 250 000 citoyens congolais des provinces de Beni, Yumbi et Butembo ont été exclus du processus électoral, officiellement pour des raisons de sécurité et d’épidémie Ebola. Mais comme ces zones sont des bastions traditionnels de l’opposition, on peut se demander si ça n’était pas un prétexte pour empêcher les gens de voter.

Enfin, concernant la publication des résultats de la présidentielle, la Céni n’a pas recompté les voix manuellement par bureau de vote comme le prévoit la loi électorale. Elle s’est basée uniquement sur les résultats électroniques. Au final, tout le processus est discrédité. Et Internet est aujourd’hui toujours coupé, ce qui est une violation des droits fondamentaux des citoyens.


S.C : Que pensez-vous de la réaction de la France qui a aussitôt critiqué les résultats, ce qui a poussé le gouvernement congolais à l’accuser d’ingérence ?

J-C K : Que ce soit la France, l’Union européenne, l’Union africaine, tous doivent respecter le choix du peuple congolais et des peuples africains en général.

Mais il y a aussi deux poids deux mesures. Là, la France crie au scandale, alors qu’elle a fermé les yeux sur ce qui s’est passé au Tchad ou au Congo Brazzaville. La communauté internationale a des réactions hypocrites. Elle privilégie ses intérêts économiques au détriment de l’intérêt des Africains.

La situation actuelle  porte les germes d’une escalade de la violence


Il en va de même de la réaction de l’Union africaine qui doute aussi de la conformité des résultats**. Qu’en penser, alors que l’UA est aujourd’hui dirigée par Paul Kagamé, le président rwandais, qui n’est pas un modèle en démocratie ? Tout le monde a le regard fixé sur nous à cause de nos ressources (minerais, forêts, eau, uranium,…) et chacun préserve ses intérêts.


S.C : Comment voyez-vous l’avenir proche en République démocratique du Congo ?

J-C K : Il reste plusieurs élections clés en mars : les locales, les sénatoriales, les élections des gouverneurs. Ce sont des scrutins importants car la démocratie part de la base, du local. À Tournons la page, nous allons nous engager pour avoir des élections crédibles et sensibiliser les citoyens. 

Nous appelons aussi à la non-violence, car c’est ce qui est à craindre avec la situation actuelle : elle porte les germes d’une escalade de la violence, les hommes politiques tenant des discours dangereux. Cela laisse craindre le pire.

 

*Des organisations confessionnelles sont aussi membres de Tournons la page, les liens sont étroits entre l’Église et TLP

**L’Union africaine a finalement fait volte-face, dimanche 20 janvier, disant qu’elle prenait note de la proclamation par la Cour constitutionnelle de la RDC des résultats définitifs des élections.

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PROPOS RECUEILLIS PAR CÉCILE LECLERC-LAURENT
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Crédits photo : ©Stefan Kleinowitz/MAXPPP
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