Traite des êtres humains : « Il nous faut trouver des solutions pour prévenir l’exploitation au travail »

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Depuis 2013, les Nations unies font du 30 juillet la Journée mondiale de la lutte contre la traite des êtres humains. Cette année, ce jour est placé sous le signe de la Covid-19. La pandémie a-t-elle eu un effet sur ce fléau ?
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Geneviève ColasEntretien avec Geneviève Colas, coordonnatrice du collectif « Ensemble contre la traite des êtres humains ».

 

Secours Catholique : L’épidémie de coronavirus que le monde subit actuellement a-t-elle amplifié ou au contraire freiné la traite des êtres humains ?

Geneviève Colas : La crise sanitaire a augmenté la vulnérabilité des victimes de traite. Aux traumatismes psychiques et physiques s’est rajouté le manque de subsistance. De nombreuses personnes exploitées jusqu’ici dans des boulots précaires et clandestins se sont retrouvés sans rien. C’est le cas de nombreux migrants partout dans le monde qui, sans protection, n’ont pas pu regagner leurs pays. Ils sont devenus des proies encore plus faciles à exploiter : exploitation sexuelle, travail forcé, provocation aux délits… D’autres se sont retrouvés à la rue. D’autres encore ont continué à vivre dans des ateliers clandestins ou dans les champs.

 

S.C : En France, avez-vous eu connaissance de certains trafics ?

G.C : Oui, nous avons appris que certains migrants, pour obtenir de l’argent liquide en période de confinement, ont fait des échanges en leur défaveur, notamment avec leur carte ADA (allocation pour demandeur d’asile) qui ne permet pas d’obtenir de cash. Pour obtenir du cash, les jeunes donnaient leur carte en échange d’un montant bien moindre en liquide. C'était parfois le début d'autres formes d’exploitation développées à cause de la Covid-19.

 

S.C : Les moyens employés pour freiner l'épidémie ont-ils amplifié les risques de traite ?

G.C : Oui. Dans de nombreux pays, on a pris des mesures drastiques telles que mise en quarantaine, fermeture de services publics, etc. La police notamment s’est retrouvée mobilisée sur des questions d’urgence qui ne lui permettait plus d’être disponible pour identifier les victimes de traite. Il y a eu moins d’inspecteurs du travail, de travailleurs sociaux. Les personnels soignants n’ont plus pu être aussi attentifs aux situations d’exploitation et de traite. Donc, les victimes de traite n’ont pas pu être identifiées et, par conséquent, n’ont pas pu être protégées.

Certains citoyens qui jusqu’ici offraient un lieu d’accueil solidaire aux personnes en mal de logement ont cessé leur hébergement par peur de la pandémie. De nombreux hébergés se sont retrouvés à la rue.

 

S.C : Cette période exceptionnelle n’a-t-elle pas connu d’actions positives ?

G.C : Effectivement, nous avons pu observer dans certains lieux que les personnes sans logement ont été très vite mis à l’abri dans des hôtels ou des foyers, pour des raisons de salubrité publique évidentes. Cela montre bien que si on veut héberger tout le monde, on le peut. Dans certains foyers comme l’AFJ, un lieu d’accueil sécurisé, on a pu attribuer une chambre individuelle à toutes les femmes. On a même installé le wifi dans les chambres pour qu’elles aient un lien avec l’extérieur. Plusieurs formes d’appui ont vu le jour, comme la distribution de chèques-services tels qu’en ont distribué le Secours Catholique et d’autres associations.

Notre association comme d’autres ont pu mettre en place des numéros de téléphone d’urgence (hotlines) pour apporter des réponses à diverses difficultés, notamment pour apporter un soutien psychologique. A Marseille, l’Organisation internationale contre l’esclavage moderne (Oicem) a développé sa hotline et poursuivra cette aide après la crise.

Plusieurs associations ont conservé un lien très proche avec les personnes qu’elles accompagnent, en les invitant par exemple à participer à l’élaboration d’une œuvre d’art collective (photographique ou littéraire). Ailleurs, l’apprentissage de la langue française a pu se poursuivre en visioconférence. Quant aux maraudes, elles ont repris avec la mise en place de gestes barrières.

 

S.C : Quelle est votre vision du monde après la Covid-19 ?

G.C : L’épidémie est en train de causer une terrible crise économique qui sera facteur de trafics et d’exploitation des personnes qui n’ont pas de revenus. Ces personnes seront parfois obligées d’être exploitées pour pouvoir survivre. Il nous faut trouver des solutions pour prévenir l’exploitation au travail. Nous allons y travailler à Genève dès septembre au sein de Caritas Internationalis. Car c’est au niveau mondial que nous devons envisager cette lutte. La pandémie est mondiale, tout comme la traite des êtres humains.

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PROPOS RECUEILLIS PAR JACQUES DUFFAUT
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