Traite : « J’avais une dette envers eux »

Le 8 février marque la Journée mondiale de prière et de réflexion contre la traite des personnes, voulue par le pape François, et dont le réseau international Caritas est partenaire. Dans de nombreux pays, la société civile alerte en effet contre l'exploitation des êtres humains (femmes, enfants, travailleurs pauvres, personnes migrantes...) et vient en aide à celles et ceux qui en sont victimes. Kate*, 23 ans, est originaire du Nigéria. Victime de prostitution à Berlin, elle témoigne. C'est la cellule d'accueil InVia, service de l'Église catholique allemande, membre du réseau Caritas, qui l'a accompagnée et lui a permis de laisser derrière elle cette épreuve.
« J’ai grandi dans l’État d’Oyo, au Nigéria. J’ai perdu ma mère lorsque j’étais jeune. Mon père ne s’occupait pas de moi car il avait plusieurs femmes. Je devais me débrouiller pour vivre : j’ai fait des ménages pour gagner de quoi subsister. Je rêvais d’aller en Europe pour avoir une vie meilleure. Une amie m’a mise en relation avec une “Madame” qui m’a proposé de partir travailler en Europe, à condition de lui rembourser plus tard les 30 000 euros du voyage. J’ai juré.
Avec d’autres migrants, en 2016, j’ai traversé le désert libyen. Nous étions entre la vie et la mort. On nous a confisqué nos téléphones. Puis nous avons traversé la mer, le bateau a failli sombrer, nous avons été secourus et nous sommes arrivés en Italie. Des amis de la “Madame” nigériane m’ont récupérée et m’ont emmenée à Berlin. Un homme et une femme m’ont installée dans un appartement, et ils m’ont dit qu’ils avaient un travail pour moi et que je devais le faire pour rembourser le voyage : de la prostitution. J’ai répondu que je n’avais jamais fait ça, j’étais sidérée ! J’ai “travaillé” dans l’appartement avec d’autres filles. La femme et l’homme gardaient l’argent que je gagnais et disaient que je devais rembourser ma dette.
Ils m’ont dit que si je témoignais contre eux, j’allais devenir folle ou mourir. J’ai eu peur.
Au bout de deux semaines, la police m’a arrêtée en même temps qu’une autre fille, car je n’avais pas de papiers. J’ai eu peur, j’ai dit que je ne connaissais personne et que je n’étais personne ici. La police m’a envoyée à InVia, un service d’Église du réseau Caritas, qui aide les victimes de traite. InVia a pris soin de moi, ils m’ont trouvé un appartement, ils m’ont écoutée et m’ont aidée à aller en justice pour combattre ceux qui m’ont fait du mal. Mais mes bourreaux m’ont menacée avec le vaudou, ils m’ont dit que si je témoignais contre eux, j’allais devenir folle ou mourir. J’ai eu peur.
Aujourd’hui, cette histoire est derrière moi et je remercie Dieu tous les jours de m’avoir libérée de la prostitution. J’apprends l’allemand et j’aimerais étudier, car je ne suis pas allée à l’école au Nigéria. InVia continue de m’aider. »
* Le prénom a été changé
Pour en savoir plus sur la traite des êtres humains à des fins d’exploitation sexuelle au Nigéria, lire le rapport de l’OFPRA (office français de protection des réfugiés et apatrides).
