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Un centre d’arts traditionnels accompagne l’avenir de la jeunesse géorgienne

Un centre d’arts traditionnels accompagne l’avenir de la jeunesse géorgienne

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15 minutes
À voir et écouter : Merab Sibashvili, intervenant
Noriko, 18 ans
Bella, mère de Giorgi
Dans l'atelier bois
Chapô
Dans la capitale géorgienne, Tbilissi, Caritas Géorgie propose un programme d’insertion par les métiers de l’art pour des jeunes en difficulté sociale. L’initiative est portée par des travailleurs sociaux artistes qui souhaitent redonner vie à des arts traditionnels délaissés, en formant une jeunesse elle aussi délaissée.
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« Allez les jeunes, on commence ! Reprenez le travail sur le porte-manteau, moi, je vais faire de la soudure avec Levan. » Le professeur de gravure sur métal Merab Sibashvili, la cinquantaine, peintre de profession, rejoint le jeune homme qui, heureux de retrouver l’atelier, revêt joyeusement son équipement de sécurité.

Il est 15 h, l’heure à laquelle débutent les activités artistiques quotidiennes. Le temps de laisser arriver les jeunes de leur établissement scolaire… ou de leur “job”. « Levan a 17 ans. Il a abandonné le lycée et travaille dans un magasin pour aider sa famille. C’est rare de pouvoir l’avoir avec nous », observe en souriant le professeur.

Le visage de l’adolescent porte les marques des difficultés de la vie qu’un jeune de son âge ne devrait pas connaître. « Ici, on voit des enfants jeunes, très intelligents et doués, auxquels les parents n’ont pas la possibilité de payer une formation, explique Merab Sibashvili. Art Studio Therapy leur permet d’accéder à une formation qualifiante. »

C’est dans cette ancienne usine métallurgique, florissante sous l’Union soviétique, que le centre Art Studio Therapy s’est installé en 2002, dans des locaux appartenant à Caritas Géorgie depuis 1998. Cinq professeurs et un coordinateur y encadrent une soixantaine d’enfants entre 3 et 17 ans.

Ces derniers sont issus de familles déplacées à la suite des conflits armés en Abkhazie et en Ossétie-du-Sud, et de familles nombreuses. Ils sont parfois sans protection parentale ou vivent dans des hébergements précaires. Professeurs et artistes effectuent un travail psycho-social avant tout.

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Ce projet artistique à destination d’enfants et de jeunes en précarité naît en parallèle d’un vaste programme gouvernemental lancé en 2001 pour réduire le nombre d’orphelinats (1) dans le pays et mettre en place des services sociaux à destination de la jeunesse géorgienne.

Pour Nana Kukhalashvili, responsable du programme “Jeunes et enfants” au sein de Caritas depuis 2004, ce centre est « une opportunité pour ces jeunes de mettre leurs compétences au profit d’une activité génératrice de revenus dans le futur », car ils sont victimes d’un chômage en augmentation constante.

Un rapport de l’Unicef de juin 2018 (2) constate en effet que le taux de chômage des 15-19 ans a atteint son plus haut niveau en 2017 : 31,9 %, soit 5,7 points de pourcentage de plus que l’année précédente.

L'art comme thérapie

Gravure sur bois et métal, céramique, émaux, iconographie, estampage décoratif, tissage de kilim, tapis et feutre… L’originalité du projet tient dans le parti pris de redonner vie à des arts traditionnels délaissés. «  Mon vœu le plus cher serait de voir revenir sur le marché du travail des professions artistiques traditionnelles », confie David Karkarashvili, installé dans les lieux depuis vingt ans.

Ce professeur passionné d’art est à l’initiative du centre artistique. Il en est aujourd’hui le coordinateur : « Dans les années 2000, le directeur de Caritas Géorgie m’a proposé d’ouvrir un atelier d’art sur le même modèle que le mien et de l’animer pour voir comment ça prenait avec les jeunes. On n’a jamais arrêté. »

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Davit Khomasuridzen, 22 ans, bénéficiaire du programme et aujourd'hui bénévole.
Davit Khomasuridzen, 22 ans, bénéficiaire du programme et aujourd'hui bénévole.
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À quelques mètres de là, Davit Khomasuridzen prépare la salle des petits de 3 à 6 ans. Ces derniers arrivent à 15 h, après avoir déjeuné. Bien que l’État n’attribue qu’une subvention de 6 latri par enfant, l’association leur offre le déjeuner, deux trousseaux de vêtements par an et l’accès à un psychologue.

Les étagères, au fil des années, se sont remplies de créations enfantines en tous genres, ce qui enchante Davit qui vient ici « trois fois par semaine pour enseigner la céramique aux enfants ». Bénéficiaire de ce programme de thérapie par l’art depuis ses 11 ans, Davit, qui est maintenant âgé de 22 ans, a franchi le pas du bénévolat : « J’adore la céramique et, surtout, j’avais envie de transmettre les émotions que je ressens en travaillant le matériau. »

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Noriko, 18 ans
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Savoir que je vais créer quelque chose pour que des gens l’utilisent, c’est motivant !
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immense précarité

« Vous voyez, je n’ai même pas les moyens de remplacer une vitre sur ma porte d’entrée… » Le tour du propriétaire s’effectue en un regard. Bella Vershaguri vit dans 6 m² avec son fils de 14 ans, sur les hauteurs de la ville, dans un quartier qui jouxte celui des locaux de Caritas. Son mari est décédé il y a six ans et Bella, qui a une quarantaine d’années, est en recherche d’emploi et vit dans une immense précarité.

Un enfant criminel dehors, on peut le voir changer en trois mois chez nous.
David Karkarashvili.


Un an plus tôt, un assistant social, via l’école de son fils, lui conseille de se rendre auprès de Caritas. Elle y rencontre le professeur de sculpture sur bois Giorgi Gigauri. « Exactement le même nom que mon fils ! » précise-t-elle. Ce détail sera d’ailleurs un déclic pour celui-ci, qui « traînait dans les rues après l’école ».

Le professeur vient régulièrement rendre visite à Bella. « Les enfants que vous voyez ne vous laissent pas imaginer une seconde les conditions dans lesquelles ils vivent, explique Giorgi Gigauri. Ils sont souvent correctement vêtus, propres…  Mais voilà ce qu’il peut y avoir derrière. »

« On a des enfants très difficiles mais on a l’expérience, conclut David Karkarashvili. Un enfant criminel dehors, on peut le voir changer en trois, quatre mois chez nous. »

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L’avenir incertain 

Une fois poussée la porte de chaque atelier, c’est un havre de paix. « Le plus important, pour ces jeunes, c’est d’apprendre la concentration par le travail », observe Giorgi en désignant un autre Giorgi de 13 ans qui s‘applique à sculpter un cerf pour sa copine Lizzi.

« Des fois, je suis fâché, énervé, témoigne le jeune garçon, ça me calme de venir ici, c’est mon hobby, maintenant. » Au cours de l’année, plusieurs sorties sont organisées dans différentes régions du pays pour aller à la rencontre d’artisans locaux. Un double objectif d’ouverture pour ces jeunes, qui découvrent leur pays et d’autres Géorgiens vivant en dehors de Tbilissi.

Si le programme reçoit des dons et n’a plus à faire ses preuves (3), le quotidien reste difficile. David comme ses collègues doivent travailler à côté pour boucler leurs fins de mois : « C’est à l’État de prendre le relais financier. Malgré les bonnes intentions qu’il avait affichées au début des années 2000 en faveur de la jeunesse et de l’éducation, aujourd’hui, en Géorgie, les familles sont encore plus pauvres. »

Mais l’équipe reste soudée. Une entreprise sociale (4) a été créée en parallèle du centre d’art pour vendre les œuvres réalisées, en ligne et en partenariat avec des magasins. « C'est une des plus belles manières de valoriser les créations de ces petits », déclare fièrement Nana Kukhalashvili, dont la voix traduit sa tendresse pour ses jeunes élèves.

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Notes
1. Depuis 2001, 47 orphelinats ont fermé dans le pays pour privilégier un suivi social des familles, des centres d’accueil de jour et des familles d’accueil. 2. “The welfare monitoring survey 2017”, juin 2018. 3. En 2012, le programme Art Therapy a reçu 25 000 euros de la fondation d’entreprise Hermès et, en 2013, un don de 35 000 euros du Secours Catholique-Caritas France. 4. “QARTuli” signifie “géorgien”, jeu de mots avec les lettres “ART”.

Crédits
Nom(s)
Clémentine Méténier
Fonction(s)
Journaliste
Nom(s)
Julien Pebrel
Fonction(s)
Photographe
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