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migrants qui discutent avec des bénévoles

Ussel, terre d’accueil(s)

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10 minutes
Corrèze
L'accueil
L'amitié
L'intégration
Chapô
Il y a six ans, pour juguler les regroupements de migrants à Calais et à Paris, le gouvernement avait créé des centres d’accueil dans plusieurs villes de province et envoyés dix d’entre eux à Ussel en Corrèze. Nous avons voulu savoir ce qu’ils étaient devenus en revenant sur place. Nous avons rencontré trois d’entre eux et ceux qui les ont aidés à accélérer leur intégration.
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Dans le petit train à deux wagons qui grimpe poussivement de Brive-la-Gaillarde vers Ussel, ville de 10 000 habitants dressée sur les derniers contreforts du plateau des Millevaches, nous repensons à ces migrants rencontrés six ans plus tôt lors d’un reportage sur le jardin partagé du Secours Catholique de cette ville.

Nous avions alors croisé cinq Soudanais en train de récolter leur parcelle de topinambours. Ils étaient installés là depuis quelques mois à peine et notre conversation s’était heurté à la barrière de la langue : ils ne parlaient ni français ni anglais. Ont-ils trouvé leur place dans cette ville, dans ce pays ?

En préparant ce voyage, nous avons obtenu le numéro de téléphone de trois d’entre eux : Amar, Abdelwahab et Ayman. Amar ne nous a jamais répondu. Abdelwahab a accepté de nous rencontrer mais a précisé dans son SMS : « une heure, pas plus, car je n’ai pas beaucoup de temps. »

Seul Ayman nous a rappelé et proposé de le rencontrer dès notre descente du train. Car ce jour-là justement il passait son examen du permis de conduire, « à deux pas de la gare ».

Ayman est un bon élève. Il est sérieux, attentif, il progresse sans cesse
Le moniteur de l'auto-école
 

A notre arrivée, il est  en grande conversation avec son moniteur d’auto-école quelques minutes avant de monter dans la voiture à côté de l’inspecteur.

« C’est la troisième fois que je passe la conduite, a-t-il le temps de nous confier. Le code, je l’ai eu rapidement. Là, j’ai un peu peur, mais ça va quand même. » Son moniteur d’auto-école se veut rassurant. « Ayman est un bon élève, nous dit-il. Il est sérieux, attentif, il progresse sans cesse. Pour moi, il est intégré. Il est plutôt doué. »

Ayman avec son moniteur de conduite
Ayman avec son moniteur de conduite.

Ayman qui vient d’avoir 30 ans, reste jovial à son retour de l’examen quand il dit : « Je ne suis pas sûr d’avoir réussi. » Il apprendra quelques jours plus tard qu’il a obtenu son permis, mais pour l’instant il nous invite à diner chez lui ce soir « pour parler plus longuement. Là, je dois retourner au travail. »

Nous partons au centre-ville où nous attend dans une salle du presbytère, Christine Pesteil, première bénévole à s’être mobilisée pour accueillir les migrants il y a cinq ans. Mariée, mère de famille de quatre filles aujourd’hui adultes, Christine a impulsé et coordonné le groupe de personnes souhaitant aider les migrants à s’intégrer.

Nous avons invité la population à se réunir et préparer l’arrivée des migrants
Christine Pesteil


Les Ussellois s’y sont préparés. « Nous avons invité la population à se réunir et préparer l’arrivée des migrants, se remémore Christine, et, à notre grande surprise, beaucoup de gens sont venus à ces réunions. Tous avaient le désir d’aider, d’apporter leur contribution à cette intégration. Nous avons préparé deux appartements d’une cité HLM, nous les avons meublés et nous avons attendu de connaître leur date d’arrivée pour remplir les frigos. »

Les dix migrants annoncés par le gouvernement ne sont pas arrivés ensemble. Six d’entre eux sont arrivés dans le même bus, puis les autres séparément quelques jours plus tard. Ayman faisait partie des six premiers : « On nous a installés dans deux appartements, chacun sa chambre. Nous étions contents. Nous venions de Calais où on dormait dehors, au froid, à la pluie. Ici, il y avait tout ce qu’il fallait, même de quoi manger. »

Christian, que nous allons rencontrer bientôt, confiera : « A ton arrivée, tous ces gens qui prennent du temps pour t’aider, sans être payés, tu ne comprends pas. D’habitude les gens qui viennent vers toi, c’est pour te racketter. J’étais méfiant. »

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Très vite, bénévoles et migrants ont sympathisé

« Parmi la vingtaine de bénévoles prête à aider, indique Christine, plusieurs avaient été professeurs. Nous avons commencé à faire de l’alphabétisation au presbytère puis au centre culturel Jean Ferrat, cinq jours par semaine, avec des cours le matin et parfois le soir. »

Très vite, bénévoles et migrants ont sympathisé, échangé leurs numéros de téléphone puis multiplié les rencontres : fêtes, repas, manifestations sportives. « Cela nous a beaucoup rapproché et certains ont noué des liens très étroits. » Tandis que Christine relate l’installation des migrants, elle reçoit un appel de Christian. Son scooter vient de tomber en panne et il lui demande son aide.

Nous l’accompagnons. Christian est le seul francophone des migrants d’Ussel. Ce solide Camerounais de 34 ans nous attend sur le parking du collège Voltaire. Dans la voiture de Christine en route vers une station-essence, Christian nous raconte son long périple, commun à tous les migrants où seuls les détails varient : traversée de l’Afrique, maltraitance en Libye, angoissante Méditerranée, nuits d’insomnie sur les trottoirs de Paris ou dans la jungle de Calais.

j’étais tellement fatigué dans la tête et le corps.
Christian, Camerounais
 
Christian vient souvent s'occuper du jardin de Christine, bénévole, lorsqu'elle est en vacances par exemple.
Christian vient souvent s'occuper du jardin de Christine, bénévole, lorsqu'elle est en vacances par exemple.

« Je suis arrivé à Ussel très fatigué et malade. Le groupe d’accueil m’a mis dans une chambre tout seul, un bon lit et une bonne douche. J’en avais besoin, j’étais tellement fatigué dans la tête et le corps. »

Après un temps de remise en forme, « je suis allé offrir mes services au Secours Catholique et au Resto du cœur. Je suis aussi allé au jardin partagé du Secours Catholique et j’ai participé aux sorties du groupe. Puis je me suis inscrit au club de rugby de la ville. Je joue depuis dans l’équipe d’Ussel. C’est grâce à mes contacts au rugby que j’ai trouvé du travail. » 

Christian joue aussi au foot dans l’équipe d’un village voisin où il s’est fait d’autres amis. Il a obtenu sa carte de séjour en 2019 après un recours devant la Cour nationale du droit d’asile (Cnda).

« Dès que j’ai eu le statut de réfugié (la Cnda a reconnu qu’il était en danger de mort dans son pays), j’ai trouvé du travail. D’abord dans une industrie aéronautique, mais à cause du Covid, on a été obligé d’arrêter de travailler. Alors, j’ai trouvé un autre emploi dans un entreprise qui fabrique des portes et des fenêtres, ici à Ussel. »

En parallèle, Christian se prépare à passer le permis poids-lourd. Son rêve est de devenir chauffeur routier, « un travail qui permet d’être autonome, dit-il. Travailler, cela permet de profiter de la vie, d’aller voir les gens et d’être fier de soi, car dans le travail, on rencontre beaucoup de gens », affirme-t-il tandis qu’il verse un bidon d’essence dans son scooter.

L’affabilité de Christian lui a tôt fait rencontrer une jeune fille. Ils se sont aimés, ont fait une petite fille puis se sont séparés. Il a dû se battre pour obtenir un droit de visite.

« Ma vie est désormais en France, convient-il. En Corrèze. Car je veux voir grandir ma fille. Je paie une pension alimentaire et je participe à son éducation. » Christian loue désormais un petit appartement en HLM où il vit seul.

Faire de l’alphabétisation auprès de migrants nous a obligé à adapter notre façon d’enseigner.
Denise, 88 ans, enseignante
 
Denise à droite, et Nanie à gauche
Denise à droite, et Nanie à gauche.

Revenus dans la grande salle prêtée par le presbytère, lieu où se donnent certains cours de français, Christine nous présente quelques-uns des bénévoles du groupe d’accueil d’il y a six ans.

Nanie et Denise, enseignantes à la retraite, sont des volontaires de la première heure, et elles sont sœurs. Denise, 88 ans, ne donne plus aujourd’hui que quelques cours épisodiques, tandis que Nanie sa cadette, 75 ans, maintient un rythme de 14 heures de cours de français hebdomadaires depuis le début.

« Faire de l’alphabétisation auprès de migrants nous a obligé à adapter notre façon d’enseigner, explique Denise. Cette adaptation a permis d’établir une relation extraordinaire. » 

« Le samedi matin, j’ai les anciens comme Ayman et Abdelwahab, indique Nanie. C’est le groupe le plus évolué. J’en ai d’autres qui sont bien moins avancés. » Quand on leur demande comment se sont intégrés ces premiers migrants, Denise réplique : « Nous n’avions pas de migrants noirs à Ussel avant 2016. A part une ou deux réflexions entendues en ville, ces garçons n’ont jusqu’ici posé aucun problème à la police. »

Nanie rajoute : « On ne peut pas dire qu’il y ait de tension. Et pour nous, qui avons eu la chance de les approcher et de les connaître, cela a été une merveilleuse aventure humaine. »

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« Nous avons construit une amitié. »

Maryse et Suzanne, deux autres enseignantes à la retraite, conservent, elles aussi, un excellent souvenir de ces jeunes accueillis. Maryse se dit heureuse d’avoir pu aider : « Nous n’avons pas fait qu’enseigner le français à ces jeunes. Nous avons construit une amitié. Tout le monde devrait savoir qu’aider les migrants, c’est une véritable richesse. ».

Suzanne a conservé des liens avec Adam, le plus âgé et le seul Irakien du groupe. Il vit actuellement dans un foyer pour migrants à Limoges où il s’ennuie, dit-elle. « A Ussel au moins, il allait au jardin. En plus, il n’a qu’un seul bras, mais il était habile, il faisait beaucoup de choses. Je m’inquiète pour lui, parce qu’il ne connaît personne à Limoges. »

J’ai été aidé par Sonia, une mère de famille qui m’a hébergé pendant trois ans
Abdelwahab, Soudanais
 
Sylviane et Patrick, bénévoles.
Sylviane et Patrick, bénévoles.

Abdelwahab fait soudain irruption dans la grande salle du presbytère où nous nous trouvons toujours avec Nanie et Denise.

Abdelwahab avait 23 ans quand il est arrivé à Ussel. Aujourd’hui, rien ne distingue ce Soudanais du Sud-Kordofan d'un autre Français bien dans ses baskets. Jouant au foot, fréquentant les salles de sport, il est vêtu à la dernière mode et parle français comme un Français. « Grâce à Nanie », dit-il plein de gratitude jetant un regard complice à son enseignante.

Complaisamment, il accepte de nous parler de lui, de son installation à Ussel où il n’a pas obtenu ses papiers tout de suite. Reconduit en Italie où il ne connaissait personne, il est revenu clandestinement, a refait une demande et a finalement été régularisé l’an dernier.

« Cela a été une période difficile », se souvient-il. « Heureusement, j’ai été aidé par Sonia, une mère de famille qui m’a hébergé pendant trois ans et m’a aidé dans mes démarches administratives. »

Sa carte de séjour en poche, il a loué son propre appartement et il a aussitôt été embauché dans une usine aéronautique, comme Christian ; comme Christian, il a été licencié à cause du Covid.

Embauché ensuite dans une grande surface pendant quelques mois, il a finalement trouvé un emploi stable dans une papeterie. « Nous sommes quatre employés et je m’entends très bien avec le patron. Je me sens bien en France. Le Soudan n’est plus chez moi. J’y ai encore de la famille mais j’ai trop de sentiments douloureux là-bas. C’est ici que je vais me marier et fonder une famille. »

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L’Italie n’a pas voulu d’eux et les a refoulés

Abdelwahab et Mudather sont les deux seuls migrants, sur les dix d’Ussel, qui ont fait l’objet d’une reconduite à la frontière. Mais l’Italie n’a pas voulu d’eux et les a refoulés. Alors ils sont revenus dans la seule ville d’Europe qu’ils connaissaient : Ussel. A leur retour, plus de protection de l’État, plus de logement, plus de vivres. Plus rien que la clandestinité et… l’amitié.

Actuellement, Mudather suit des cours à Limoges. Dans quelques semaines, il reviendra à Ussel où il devrait postuler pour devenir aide-soignant.

Nous lui avons donné les clefs pour comprendre la vie en France, la vie en société.
Patrick et Sylviane, couple de bénévoles usselois
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Après son voyage aller-retour en Italie, Mudather a été pris en charge par Patrick et Sylviane, couple de quinquagénaires, très sensibles au parcours de ce jeune adulte qui, enfant, a vu ses parents se faire assassiner sous ses yeux et qui a ensuite fui au Soudan du Sud où il a rencontré la guerre civile et l’épidémie d’Ebola. Autant de dangers qui l’ont poussé à quitter le continent.

En traversant la Méditerranée, il est tombé à l’eau, il ne savait pas nager, et il ne doit sa vie qu’à ses frères migrants qui l’ont repêché. A Ussel, Patrick et Sylviane l’ont hébergé pendant un an, l’ont aidé à obtenir ses papiers et lui ont surtout « donné les clefs pour comprendre la vie en France, la vie en société. »

Le soir tombe sur Ussel. Christine et les autres bénévoles ont regagné leurs foyers. Ayman nous attend pour diner. Il habite au premier étage d’une maison ancienne sise dans une artère principale de la vieille ville, en face du cinéma. On grimpe un escalier extérieur et nous entrons dans un petit deux-pièces cuisine confortablement meublé à l’occidentale. Rien ne rappelle ici les origines de l’occupant du lieu. Autour d’un savoureux repas qu’il a cuisiné lui-même, Ayman revient sur son passé.

Ayman, chez lui
Ayman, chez lui.
La guerre civile m’a poussé à aller chercher ailleurs une meilleure vie. 
Ayman


« J’étais agriculteur dans ma région du Darfour, au Soudan. J’ai été marié à une femme que mes parents m’avaient choisie. Et puis la guerre civile m’a poussé à aller chercher ailleurs une meilleure vie. » C’était il y a sept ans. Esclave en Libye, il saute dans un bateau, Lampedusa, Sicile, Rome, Vintimille puis Calais et enfin Ussel. 

Comme les autres, il a voulu être bénévole au Secours Catholique, cultiver une parcelle du jardin et suivre assidument les cours de français dispensés la première année cinq jours sur sept. Cette assiduité fait sans doute d’Ayman celui qui parle le mieux notre langue. Il ne s’en satisfait pas puisqu’il continue de suivre les cours du samedi matin. « Madame Nanie, elle est incroyable. Elle n’en a pas marre de nous faire cours. Ça m’impressionne ! », jubile-t-il.

Un des premiers à obtenir un titre de séjour, Ayman a aussitôt suivi une formation pour devenir électricien. CAP et BEP en poche, il a immédiatement été embauché par une entreprise locale.

« Nous sommes 14 employés, dit-il, tous électriciens ou plombiers. On va jusque dans le Puy-de-Dôme pour travailler. Je m’entends très bien avec mes collègues et mon patron. D’ailleurs, mon patron vient d’accepter de me laisser partir le mois prochain pour suivre une formation professionnelle en électricité industrielle à Mantes-la-Jolie. L’électricité, c’est intéressant mais c’est limité. J’ai envie de faire un métier qui me fasse un peu plus travailler le cerveau », conclut-il dans un éclat de rire.

La Corrèze, c'est maintenant mon pays.
Elfate, Soudanais


Pendant le repas, le téléphone d’Ayman sonne. Au bout du fil, Elfate, un des dix migrants. Ayman me propose de lui parler. Autre Soudanais qui ne connaissait pas un mot de français il y a six ans et qui aujourd’hui s’exprime sans difficulté. « Allo ? Oui, je téléphone de Lille, oui, je suis des cours à l’université de Lille. Des cours spécialement conçus pour les étudiants étrangers. Je suis diplômé en management au Soudan et je fais des équivalences ici. J’ai terminé mais il me fallait faire un stage en entreprise qui a été retardé à cause du Covid. »

Arrivé comme Ayman à 25 ans, les deux compatriotes se sont rencontrés dans le bus qui les amenait de Calais à Ussel. Depuis, ils sont plus qu’amis, ils se disent frères.

« Dès que j’ai fini mes stages, je rentre en Corrèze. Je crois qu’il n’y aura pas d’opportunités à Ussel pour mon travail mais sans doute à Brive où je devrai faire une formation en transport logistique. Brive, c’est quand même la Corrèze et la Corrèze, c’est maintenant mon pays. »

Crédits
Nom(s)
© Sébastien Le Clézio/Secours Catholique-Caritas France
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