Les plats concoctés et les langues parlées sont à l’image des familles : issus des cinq continents. L’une des règles de la maison, outre la bienveillance et le non-jugement, est de s’exprimer le plus possible en français. Nerxhivane, Kosovare, cueille des pommes dans le pommier planté au fond du jardin. Elle en garnira la tarte du dessert. Pour cette mère de deux enfants qui recourt régulièrement au 115 afin de trouver un endroit où dormir, l’espace est un luxe. La maison bien aménagée, sa pelouse et son carré potager lui permettent de respirer et de décompresser.
Fatoumata aussi est contente de quitter pour la journée la chambre exigüe du foyer où elle vit avec son petit garçon, Ibrahima, qui fait ses premiers pas. « Ici, au moins, je ne m’ennuie pas. Je rencontre d’autres personnes, on rigole ! » apprécie la Guinéenne. Arrivée seule à Annecy il y a huit mois, elle a été orientée vers la maison par la PMI (Protection maternelle infantile). Depuis, la jeune femme, qui n’avait pas pédalé depuis quinze ans, a participé à une sortie vélo. Autre première : deux jours de marche en montagne durant l’été. Cocon au sein duquel les mères trouvent du réconfort, la maison a aussi pour rôle d’élargir leur horizon quotidien.
« Quels projets souhaiteriez-vous mener ? » interroge Camille Mejat, salariée, lors du “conseil de maison”, un espace d’expression et de codécision. « Chacun apporte un peu de soi pour construire ensemble », témoigne Daisy, volontaire pour rédiger le compte rendu. C’est un lieu où l’on s’émancipe : on nous fait confiance, on vient avec ses envies (une sortie, une séance bien-être…), on les partage et on les concrétise. »
Les mercredis sont animés : les enfants plus grands, n’ayant pas école, investissent la maison. Ils s’amusent loin des écrans, sous l’œil d’Agnès, stagiaire, et de Marine, en service civique. Pendant ce temps, les adultes se réunissent entre eux pour un temps d’échange éducatif, au cours duquel ils partagent leur expérience et leurs façons de voir autour de préoccupations liées à leur rôle parental. « Ça donne des idées pour régler certains problèmes que l’on rencontre avec les enfants, chez nous ou à l’école », souligne Khabir, l’un des rares pères fréquentant la maison.
Le goûter, pris sur la terrasse, clôt la journée. Depuis le matin, la porte n’a cessé de s’ouvrir : des mères sont simplement venues prendre le café, avant de repartir. D’autres sont restées plusieurs heures, et reviendront dès le lendemain. En 2018, plus de 110 familles ont ainsi été accueillies, dont la moitié plus de trois fois. Fidéliser des habitués et intégrer de nouveaux parents est le double enjeu de la maison, afin d’en faire continuer et grandir l’esprit.
En 2013, quand un responsable local des Apprentis d’Auteuil a interpellé le Secours Catholique pour monter une Maison des familles, on a répondu « Banco ! ». Le concept rejoignait nos préoccupations. D’abord, accompagner les familles en situation de précarité. En Haute-Savoie, le coût de la vie est élevé, il ne fait pas bon être pauvre. Ensuite, proposer un lieu de parole, d’écoute, à l’accueil inconditionnel et sans jugement, et un soutien à la parentalité. Enfin, renforcer le pouvoir d’agir des personnes, et en premier lieu dans la vie de cette maison. Trois ans de travail ont été nécessaires pour trouver du financement public et un local avec jardin, bien situé et accessible en transports en commun, avant l’ouverture en 2016.
Les familles viennent ici non pas faire des choses mais vivre quelque chose. C’est un lieu d’expérimentation qui leur appartient. Elles y sont considérées sous un angle différent de celui d’un guichet social : non pas par leurs manques, mais par leurs talents. Plus on est en difficulté, plus ces talents sont enfouis. Ici, peu à peu, les personnes se révèlent et disent : « Je suis capable, pour moi, et vis-à-vis de mes enfants. » Cette reprise de confiance est essentielle.
Notre force est d’avoir tissé des liens étroits avec les travailleurs sociaux et associations du territoire qui guident les familles jusqu’à nous, et inversement. Nous avons également la chance de faire partie d’un réseau national des Maisons des familles, au sein duquel nous échangeons sur nos pratiques et nos défis, tels que la place des pères et l’implication des familles dans la durée.
