« Quand la mer est loin, on va la chercher jusqu’au bout. » affirme Jade, huit ans, le regard pétillant de fierté. C’est l’heure de la plage et de la baignade pour la famille Sabre. « Ici, il y a beaucoup de place, c’est mieux qu’à la maison. » renchérit le petit frère Noah, six ans. « C’est vrai qu’on est oppressé de vivre toujours dans notre logement social. » approuve Cindy, la maman. « Le train-train quotidien sature. La mer, ça nous change d’horizon, et ça permet aux enfants de se défouler. »
Après la plage, Cindy emmène ses enfants au musée de la mer à Grand – Fort – Philippe. Noah est très impressionné par les maquettes de bateau. « Ce sont des souvenirs qui marquent. Si plus tard, mes enfants n’ont rien à raconter, c’est dommage. » confie la maman. Habitants La Gorgue, entre Lille et Hazebrouck, les Sabre ne se rendent jamais sur la côte. Sans permis, ils dépendent de la voiture de leurs propres parents. Giovanni, le papa, enchaîne les CDD dans la sécurité ou les espaces verts. Cindy a un CDI d’agent d’entretien six heures par semaine.
Sitôt rentrés dans leur mobile home au camping, les Sabre reçoivent comme tous les jours la visite de bénévoles du Secours Catholique, qui viennent prendre des nouvelles et proposer de faire des courses. « C’est rassurant et on s’attache aux bénévoles. » confie Cindy. « C’est une sécurité pour ces familles qui n’ont pas l’habitude de partir. Elles ont nos numéros et peuvent nous appeler en cas de problème. » explique Christian, bénévole. « Ces vacances leur permettent de s’évader un peu alors que toute l’année, elles sont confinées dans leurs histoires. »
Giovanni, le papa, n’était pas présent cette semaine-là, étant donné qu’il commençait un nouveau contrat. Exceptionnellement, il retrouve sa famille, le temps du repas : « On décompresse réellement en vacances, ça me change de voir les enfants comme ça : ils s’entendent bien et sont heureux, tout simplement.» « Maman râle moins ici. » renchérit Noah. « À la maison souvent, les familles se voient peu, ici, elles se retrouvent. » analyse Françoise, bénévole au Secours Catholique.
Les 10 familles parties avec le Secours Catholique se rencontrent aussi au hasard des allées du camping. Pour créer du lien entre elles, l’association organise dans la semaine des temps collectifs, comme une soirée pizza ou encore une visite à l’aquarium de Boulogne. Ainsi, Cindy a sympathisé avec Corinne, mère de deux enfants, habitant aussi à La Gorgue. « Comme ça, les enfants se sont faits des copains.» note-t-elle. « On se sent moins seul. » poursuit Samia, de Tourcoing, « et on se comprend dans les mêmes difficultés que l’on vit au quotidien. »
De retour dans le mobile home, les enfants improvisent un jeu de société. C’est bientôt l’heure d’aller au lit. « J’aimerais partir tous les ans comme ça. » glisse Noah. Les vacances organisées par le Secours Catholique sont un tremplin pour permettre aux familles d’y prendre goût et, à terme, de partir seules. Cette année, l’association accompagne donc les Sabre pour monter un dossier CAF et un dossier ANCV et partir en toute autonomie. Et devinez où les enfants veulent passer leurs vacances ? À Petit-Fort-Philippe !
Tout le monde a le droit de partir en vacances, y compris les plus pauvres, sauf que pour eux c’est encore plus difficile. Au Secours Catholique, nous pensons que c’est à la société de se mobiliser pour permettre à ces personnes de partir pour souffler et se ressourcer. Car pour les familles en précarité, le quotidien est au moins aussi difficile que pour les autres. Elles courent tout le temps pour chercher un emploi, un logement, elles ont le stress de ne pas finir le mois. Sortir de leur quotidien temporel – cette vie de tous les jours – et spatial – aller dans un autre lieu, se déplacer – est indispensable. Et puis, les vacances sont un marqueur social fort : voir chaque été les bouchons sur les autoroutes à la télévision donne l’impression aux personnes en précarité qu’elles ne sont pas comme tout le monde, elles se sentent exclues de la société. 70 % des 3000 personnes qui partent chaque année avec nous en séjours familiaux ne sont jamais parties ou pas parties depuis des années. Du coup, elles ont même intériorisé que les vacances, « ça n’est pas pour elles ». Nos bénévoles ont de fait un rôle d’accompagnement important pour lever les freins – parfois une peur de partir – et monter un vrai projet de vacances selon les envies des personnes. Cela va même au-delà des vacances : on voit qu’au retour, la personne se sent renforcée du fait de la réussite de ce projet, elle qui connaît les échecs. Les vacances lui donnent de la force dans son quotidien. On remarque aussi souvent que les relations familiales sont moins tendues et que les enfants voient leurs parents différemment.
