Entretien avec Jean-François Caron, maire de Loos-en-Gohelle

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Depuis 2001, Jean-François Caron, sportif de haut niveau, kiné de métier, fin psychologue, maire écolo et atypique, est réélu avec plus de 80% des voix par ses administrés avec lesquels il a fait de Loos-en-Gohelle (Pas-de-Calais) une ville pilote du développement durable et un creuset d'intelligence collective.
Paragraphes de contenu
Texte

Propos recueillis par Jacques Duffaut, journaliste, et Cyril Bredèche de l'Apostrophe
Photos : Christophe Hargoues

PARCOURS

Jean François Caron

JEAN-FRANÇOIS CARON

  • 1957: Naissance à Loos-en-Gohelle
  • 1992 : Élu conseiller régional du Nord-Pas-de-Calais
  • 1995 : Élu conseiller municipal de Loos-en-Gohelle
  • 2001 :Élu maire (écologiste) de Loos-en-Gohelle

Cyril Bredèche

CYRIL BREDÈCHE

  • 1972 : Naissance à Nantes
  • 2013 :Rencontre les “Fous d’art solidaire” du Secours Catholique à Créteil.
  • 2015 Participe à la rédaction du journal Messages du Secours Catholique, puis intègre le comité éditorial de la revue L’Apostrophe.
  • 2019 Devient vice-président du Secours Catholique de Créteil.
Texte

Cyril Bredèche : La ville de Loos-en-Gohelle dont vous êtes maire est un exemple en matière de participation citoyenne. Quels sont les avantages d’une telle participation et quel intérêt les habitants trouvent-ils à s’impliquer dans la construction de la ville ?

Jean-François Caron : Il y a cinq effets à une participation que je qualifie d’“impliquante”.

Le premier est un effet de reconnaissance au sens sociologique. Si je vous parle, c’est que vous existez. Or il y a des gens invisibles auxquels personne ne parle. Même à Loos-en-Gohelle. Essayer d’être en contact avec tout le monde, écouter les gens, les regarder, c’est déjà dire qu’ils existent.

Le deuxième effet, c’est l’intelligence collective. Tout le monde autour de la table va apporter un point de vue différent. C’est de la richesse, un apport d’expertise d’usage. Chacun a, d’où il est, un regard personnel, un point de vue à faire connaître. Produits collectivement, les projets sont mieux pensés et plus créatifs.

Troisième bénéfice. Quand les habitants s’associent à la construction d’un projet, ils en font leur affaire.

Quatrièmement, la construction collective permet de comprendre que l’action publique est difficile. Les habitants ont souvent une attitude de consommateurs d’action publique : « Je paie mes impôts, donc j’y ai droit. » La participation réarticule intelligemment la dimension démocratie participative/démocratie représentative.

Le dernier effet est le plus impalpable et le plus important : les habitants qui participent aux actions communes changent. Ils arrivent comme des consommateurs et en ressortent comme des citoyens constructeurs d’un intérêt général.

La participation transforme les habitants. C’est un élément fondamental à une période comme aujourd’hui où les solitudes se côtoient, dans ce modèle capitalo-consumériste où les gens créent leur propre isolement.

Loos-en-Gohelle est aujourd’hui riche de liens, de vivre-ensemble. En devenant maire en 2001, j’ai découvert l’intérêt de travailler avec des acteurs différents qui, quand ils contribuent à faire émerger quelque chose, en sont comptables et s’investissent ensuite dans sa mise en œuvre.

Très vite, je me suis intéressé à la manière de trouver du pouvoir d’agir. Comment créer de l’intelligence collective, c’est-à-dire comment faire que : 1 + 1 + 1 + 1 + 1 = beaucoup plus que la somme du tout ? C’est la façon de participer qui déclenche l’envie d’entreprendre.

 

Jacques Duffaut : Justement, comment parvenez-vous à faire participer les personnes ?

J-FC : Il suffit de partir des problèmes particuliers des habitants. Si je leur dis de venir discuter du réchauffement climatique, il n’y aura que mes deux copains monomaniaques du sujet et moi dans la salle.

En revanche, les habitants viennent si on les invite à parler de leurs problèmes, de ce qui les touche, et c’est légitime.

C’est l’exemple de la sécurité routière. Ils viennent dire que la vitesse est excessive dans leur rue. D’autres vont leur répondre : « Oui, mais toi, quand tu roules dans ma rue, tu vas à 100 à l’heure. »

Chacun dit ce qu’il a à dire sur le sujet et puis chacun propose une solution. « On met un dos d’âne ? Où ? Pas devant chez moi. » Quelqu’un propose une chicane.

Et progressivement les habitants trouvent des solutions et changent d’attitude. Ils se transforment. Leur problème particulier les amène à percevoir l’intérêt général.

Même exemple avec les parents qui veulent tous déposer leur enfant devant l’école en voiture. Je leur dis : « Venez à pied. » Ils répondent : « Mon enfant va se faire écraser par les autres voitures. »

Si nous en discutons tous ensemble, nous arrivons à envisager des pistes cyclables ou des voies vertes protégées pour que les enfants viennent à l’école à pied ou à vélo. Et les gens finissent par aborder les questions de développement durable et d’écologie par un autre biais.

Ce sont les problèmes des gens qui les amènent à rechercher ensemble des solutions. Ils pensaient que leurs problèmes étaient particuliers ; en fin de compte, ils se rendent compte qu’ils les partagent avec d’autres. Problèmes de sécurité routière, de stationnement, d’horaires de la halte-garderie, d’usage de la salle de sport, d’accès aux écoles, etc.

Et puis, il y a la participation “impliquante” que j’appelle “fifty-fifty”. C’est le plus haut niveau d’implication des Loossois, puisqu’ils rentrent dans des contrats où ils vont faire des choses pour la ville. C’est-à-dire qu’on reconnaît le droit à l’initiative des habitants sur les projets qui concernent leur quartier.

Tout ne vient pas des élus. Les habitants prennent des initiatives et la municipalité leur dit comment on peut faire telle ou telle chose. Par exemple, la ville fournit des jardinières et plante des fleurs en mars. Les habitants les arrosent et désherbent le reste de l’année. Ça, c’était le premier “fifty-fifty” que nous avons fait. Depuis, on en a eu une cinquantaine. Autre exemple : les agriculteurs, en labourant leurs parcelles, démolissaient les chemins. Depuis que nous refaisons les chemins avec eux, ils ne les labourent plus. C’est marrant, non ?

 

Ce sont les problèmes des gens qui les amènent à rechercher ensemble des solutions.

 

CB : Comment rencontrez-vous les habitants de votre ville ? Et comment dialoguez-vous avec eux ?

J-FC : Lors de mon premier mandat, j’ai organisé pas moins de 200 réunions publiques. Mais je rencontre aussi les habitants de Loos lors des projets, des œuvres culturelles communes. Toutefois les réunions publiques restent un moment de rendez-vous privilégié, un moment d’écoute et d’échanges important où il faut savoir écouter, reformuler, être capable d’accueillir la controverse sans se sentir agressé. Cela fait bouger les élus. Cela fait bouger les citoyens.

Lors de ces réunions, nous passons la première demi-heure à évoquer tous les sujets, à exprimer tout ce qui a besoin d’être exprimé, à tout noter. Quand tout a été dit, nous passons à l’étape suivante qui consiste à faire des propositions. Progressivement, les participants trouvent eux-mêmes des solutions et changent d’attitude.

Dans les quinze jours qui suivent les réunions publiques, un compte rendu est diffusé, avec relevé de décisions. C’est une manière d’établir la confiance. La participation doit mener à l’action, sinon ça s’effondre vite. Et pour qu’il y ait de l’action, il faut qu’il y ait de la décision. Si on a des processus collectifs, il faut rapidement qu’on voie ce que ça produit. On peut se tromper. Si la décision était mauvaise, on la corrige.

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Jean François Caron interviewé

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CB : Est-ce que la participation a un impact sur les personnes en précarité ?

J-FC : Une des grandes difficultés des gens en précarité, c’est qu’ils s’excluent d’eux-mêmes d’un certain nombre de processus. On n’emploie pas avec eux les mêmes méthodes. On utilise de simples dispositifs d’écoute, de dialogue, de respect, en espérant qu’ils puissent trouver leur place dans un certain nombre de nos actions. À Loos, beaucoup sont à la limite de la rupture financièrement, en précarité énergétique. Quand nous parvenons à les faire participer à nos actions collectives, ils retrouvent un sentiment de dignité.

 

JD : Si les communes autour de Lens et de Liévin (qui se touchent) n’en formaient plus qu’une, la participation pourrait-elle être la même que dans une ville de 7 000 habitants telle que Loos-en-Gohelle ?

J-FC : Les villes très innovantes en matière de participation, en France, sont presque toujours des villes de la taille de Loos. Cependant, pour mettre en place une dynamique participative, il ne faut pas que la commune soit trop petite. De fait, avec 300 habitants, on ne peut pas constituer d’équipe. À l’opposé, les agglomérations de plus de 100 000 habitants sont contraintes par toute une série de mécanismes qui brident les initiatives innovantes. Je ne dis pas que c’est impossible, je dis qu’il est plus facile d’innover dans une éprouvette qu’à grande échelle.

À grande échelle, les principes fondamentaux restent les mêmes. Les principes d’écoute et de co-construction également. On change tout simplement d’échelle. Quand on refait la route départementale à Loos-en-Gohelle, vous invitez toute la commune. Si vous le faites dans une plus grande ville, vous invitez tout le quartier. Même à Paris, il y a des effets de quartier où des habitants se connaissent et ont les mêmes repères. Certains collectifs sont déjà en place.

 

CB : Avez-vous recours au référendum ?

J-FC : Non. Il est de ma fonction de faire apparaître les enjeux que les gens ne voient pas forcément. Il est de ma responsabilité de regarder l’impact des décisions à Loos. Une de mes fonctions de maire est l’arbitrage. Sur ce point, je me distingue de ceux qui parlent de participation. J’assume de ne pas être dans un processus de décision collective. Je me suis présenté avec des propositions, un système de valeurs, une méthode de travail. Pendant ces mandats, mon équipe et moi avons été investis et sommes responsables de l’argent public. Donc la décision, je l’assume. Cela peut paraître contradictoire, cependant le principe est  que les Loossois participent au processus du positionnement de la décision mais la décision in fine a des conséquences juridiques que je me dois d'assumer en tant que maire.

La participation joue sur la société, sur les habitants. Elle les transforme.
 

JD : Avec les habitants de Loos-en-Gohelle, vous vous êtes battu pour faire inscrire les terrils au patrimoine mondial de l’Unesco. Sur ces terrils, vous avez multiplié les manifestations artistiques et sportives et vous avez développé ce que vous appelez “la démocratie narrative”. Qu’entendez-vous par là ?

J-FC : Faire la ville comme nous la faisons à Loos appartient aux nouveaux processus d’éducation populaire. La ville donne de l’engagement. C’est notre territoire, il nous donne envie d’agir, de s’engager, de se mettre en action, de se mettre en mode projet et de faire un récit de nos engagements. C’est la raison pour laquelle nous avons travaillé la mémoire collective du bassin minier. Parce qu’on ne peut pas se transformer si l’on se renie. Donc, à travers nos manifestations sportives et artistiques, nous nous racontons, nous disons qui nous sommes, nous disons notre fierté. La démocratie narrative est une méthode de communication, un puissant “storytelling” inclusif.

Nos terrils sont aujourd’hui classés parmi les grands sites néo-naturels de France. Ils parlent des compétences collectives qui nous ont permis de faire face à de nombreuses difficultés comme de réaliser de nombreux rêves.

La participation joue sur la société, sur les habitants. Elle les transforme. Elle agit comme une grande toile dans laquelle personne ne se sent seul.

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