Avec le théâtre, rideau sur les préjugés

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Dans le Var, c’est en jouant la comédie qu’un groupe du Secours Catholique s’attaque aux préjugés contre la pauvreté. Quand le théâtre dénonce, sensibilise, ouvre le débat et parfois transforme les personnes… Reportage lors d’une répétition.
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 « Quand on est malheureux à notre époque, c’est qu’on le veut bien ! » lance Nicole, alias Pascaline, affectant le dédain. « M’étonnerait pas que ça ait un grand écran plat chez soi, avec toutes les aides que ça touche ! » renchérit Christine, alias Carole, singeant l’aigreur. « Faire du bénévolat pour aider ces profiteurs ? Tu plaisantes ! Moi je bosse tous les jours pour que mes impôts nourrissent ces gens-là ! » feint de s’agacer Basile, dans la peau de Bob, derrière la table qui figure son comptoir. Bienvenue au “bar des Potins”. Un café qui n’existe pas (quoique…), mais auquel les répliques cinglantes d’une poignée d’acteurs amateurs donnent furieusement vie.

Ce jeudi-là, le groupe est en répétition au local du Secours Catholique de Garéoult, un bourg rural situé à 40 kilomètres au nord de Toulon. Nicole, Christine, Danièle, Jean, Basile et Stéphane sont les acteurs du jour, sous la houlette de Véronique, fondatrice de Kaïré, association toulonnaise qui agit pour l’accès à la culture et propose, entre autres activités artistiques, du théâtre forum.

Pour nourrir ses sketches, le groupe d’acteurs, composé de bénévoles et de personnes en difficultés, s’est inspiré d’un atelier organisé au Secours Catholique de Carcès, un autre village de ce coin de la Provence verte. « Nous avons discuté des problématiques qui nous touchent quand on vit avec les minima sociaux », se souvient Christine, qui a participé à la réflexion. « À côté des questions de mobilité, d’emploi ou de logement, une préoccupation revenait sans cesse : les préjugés. Nous sommes partis d’expériences réellement vécues pour écrire des saynètes. »

Un sketch dénonce ainsi la stigmatisation subie dans certaines paroisses où les personnes en précarité sont mal accueillies, jugées sur leur apparence, soupçonnées d’être infréquentables.

J’ai vu certaines personnes se reconnaître et changer peu à peu de comportement.
 


Au “bar des Potins”, le groupe se remémore après la pause estivale les clichés sur la pauvreté, qu’ils martèlent façon “café du Commerce”. Des habitués du zinc enchaînent les a priori sur une nouvelle venue au village et raillent leur ami retraité qui souhaite s’engager comme bénévole. « Mais qu’est-ce que tu es naïf ! » lui assène Nicole, plus vraie que nature dans son rôle de médisante. « Nous tendons un miroir aux gens, explique la bénévole. Nous les mettons en face des idées reçues qu’ils relayent. C’est une caricature, mais en fait, on n’exagère pas tant que ça. J’ai vu certaines personnes se reconnaître et changer peu à peu de comportement. Ça peut faire boule de neige. »

À la fin du sketch, comme le veut le théâtre forum, le public est invité à intervenir pour changer la donne. Gérald se lance : « Les voleurs ne représentent pas la majorité des gens qu’on aide », déclare-t-il. « On pourrait demander aux porteurs de préjugés s’ils n’ont pas eux aussi traversé des moments difficiles dans leur vie… », avance une bénévole venue assister à la répétition. Les “spect’acteurs” rejouent la saynète à leur façon. « C’est un théâtre vivant, souligne Véronique, l’intervenante. On réfléchit ensemble. »

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Répétition
Avant la répétition, exercices sur les expressions et émotions.
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Interprétée à plusieurs reprises devant les équipes du Secours Catholique, les passants sur la place d’Armes en plein cœur de Toulon et les élèves infirmiers de la Croix-Rouge, la saynète vise à faire prendre conscience des dégâts provoqués par les préjugés sur ceux qui en sont la cible. « C’est difficile de ne pas gagner sa vie par le travail », témoigne Stéphane, qui souffre d’une maladie psychique et ne trouve pas d’emploi. « Je le cache, sinon je suis traité de parasite. » « Les préjugés, ça m’écrasait, ça me bouffait et me maintenait dans un cercle négatif », confie Christine, qui en grimace encore. « Parce que j’étais une maman seule et au RSA, on est allé dire à mon propriétaire que je ne paierais pas mes loyers. On disait aussi que je ne savais pas éduquer mes enfants. Ça fait très mal. »

Au “bar des Potins”, Christine endosse le rôle de l’oppresseur qui enfile les préjugés comme les perles. Une revanche libératrice. « En jouant, j’ai pris conscience de la violence des propos. Sur scène, j’ai pleuré. C’était si fort de se retrouver actrice. J’avais réussi quelque chose. » L’émotion afflue à nouveau. « Aujourd’hui, je commence à ne plus me considérer comme précaire, reprend-elle. Je suis toujours au RSA, toujours maman seule, mais je ne me définis plus comme cela. Je sais que je suis capable de faire quelque chose. »

Crédits
Nom(s)
Clarisse Briot
Fonction(s)
Journaliste rédactrice
Nom(s)
Xavier Schwebel
Fonction(s)
Photographe
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