Pascal Canfin : « Pour être soutenable, la transition écologique doit être juste »

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Quelles politiques publiques faut-il mettre en œuvre pour aller vers une transition écologique juste ? Comment renforcer l’accessibilité des mesures aux plus précaires ? Faut-il passer par la contrainte ? Et quid des financements ? Entretien avec Pascal Canfin, président de la commission Environnement du Parlement Européen.
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Propos recueillis par Cécile Leclerc-Laurent, journaliste, et Claire Brunel, accompagnée par le Secours Catholique.

Photos : Christophe Hargoues.

Parcours

pascal canfinpascal canfin 

  • 1974 : naissance
  • 2012-2014 : ministre délégué au Développement (en tant que membre
    d’Europe Écologie-Les Verts)
  • 2016-2019 : directeur général de WWF
  • 2019-2024 : eurodéputé pour la République en marche (devenue
    Renaissance) et président de la commission de l’Environnement, de la
    santé publique et de la sécurité alimentaire au Parlement européen.
     

     

secours catholiqueClaire brunel

  • 1967 : naissance
  • 2019 : sa vie bascule après un AVC, et en raison d’impayés dans ses cotisations sociales (en tant qu’infirmière libérale), elle tombe dans la précarité.
  • 2020 : rencontre le Secours Catholique via des paniers solidaires et s’investit dans le “développement du pouvoir d’agir” des plus précaires.
Texte

Claire Brunel : J’utilise beaucoup ma vieille voiture, je vois bien que je pollue, mais je n’ai pas le choix ! Acheter une voiture électrique m’est impossible, c’est hors budget avec mon RSA. Même pour un vélo électrique, il me resterait à charge 70 euros par mois durant trois ans. Les aides existent, mais elles sont inaccessibles aux plus précaires. Ne faudrait-il pas réduire encore le reste à charge ?

Pascal Canfin : Il faut mettre à la fois l’enjeu écologique et l’enjeu social sur la table. C’est notre responsabilité à nous, producteurs de politiques publiques, de construire des solutions en vue de diminuer les prix des alternatives plus écologiques pour les plus précaires. Dans le même ordre d’idées, nous travaillons avec les industriels de l’automobile pour qu’il y ait des voitures électriques au même prix à l’achat que les voitures diesel ou essence. Néanmoins, qu’elles soient thermiques ou électriques, les voitures neuves sont pour l’instant inaccessibles à l’achat pour les plus modestes. Par conséquent, il faut encourager le déploiement d’un marché de l’occasion des voitures électriques à prix abordable. Nous mettons cela en place actuellement, en insistant sur le fait qu’il faut équiper les véhicules de batteries performantes avec des durées de vie longues.

Nous travaillons également à faciliter le leasing social pour le rendre accessible exclusivement aux plus modestes et faire en sorte que les ménages puissent, pour le même prix que leur budget mensuel d’essence ou de diesel, passer à du zéro émission avec un véhicule neuf. La France est le premier pays à mettre en place ce dispositif dans l’Union européenne. En quelques jours, il y a eu 80 000 demandes sur le site du ministère. C’est un succès ! Mais nous voulons que ce leasing vise à acheter des voitures produites en Europe. C’est une tension de la transition écologique qu’il faut absolument prendre en main : protéger la planète mais en faire aussi bénéficier nos industries et la création d’emplois.

Cécile Leclerc-Laurent : Prenons les aides à la rénovation énergétique : même si, en 2024, le reste à charge n’est plus que de 10 % pour les plus modestes, il s’élève encore à 5 000 voire 10 000 euros, ce qui est trop pour leur budget. Ne faudrait-il pas aussi mettre en place une avance de frais ?

P.C. : Tout d’abord, en ce qui concerne les locataires, il faut des dispositifs qui obligent les propriétaires à rénover. Cela permet de faire baisser les factures d’énergie de leurs locataires de plusieurs milliers d’euros par an. Accélérer la rénovation des passoires thermiques est donc une politique sociale. Quant aux propriétaires modestes, la réforme de Ma Prime Renov’ se concentre désormais sur les ménages qui vivent sous le revenu médian, soit la moitié la moins aisée des Français.

Néanmoins, je pense qu’il faut aller jusqu’au zéro reste à charge pour les propriétaires modestes qu’on aura ciblés. Car même s’il ne reste que 10 % de la dépense à leur charge, les volumes financiers dont on parle sont tels qu’il est impossible pour eux d’y faire face. Cela implique à mon avis une obligation, même si elle n’est pas populaire, et un accompagnement financier pour que cette obligation soit acceptable. Il faut les deux piliers : si vous accompagnez sans obliger, vous ne tenez pas les objectifs de réduction des émissions. Et si vous obligez sans accompagner, ça bloque en termes d’acceptation.

En matière de rénovation énergétique, il faut aller vers le zéro reste à charge pour les  propriétaires que nous aurons ciblés.

C.L.-L. : Mais certaines mesures coercitives impactent directement les plus précaires, par exemple les ZFE-m, les zones à faibles émissions-mobilité. À terme, on risque aussi d’aller vers l’interdiction des chaudières à gaz. Comment limiter la casse pour les plus précaires qui n’ont pas toujours d’alternative ?

P.C. : Le coût d’entrée pour changer sa chaudière et aller vers une pompe à chaleur est de plusieurs milliers d’euros. On passe ainsi du gaz qui émet du CO2 à de l’électricité qui est, en France, soit nucléaire soit renouvelable, donc zéro émission. En revanche, le coût d’entrée de la rénovation globale d’un logement est de plusieurs dizaines de milliers d’euros : c’est donc difficile pour une personne d’isoler sa maison pour un budget de 30 000 euros alors que son bien en vaut 100 000 !

Mais nous pouvons subventionner le passage d’une chaudière à gaz vers une pompe à chaleur électrique, voire aller vers l’obligation de ce changement. On peut là aussi, pour ce passage, cibler les ménages les plus précaires avec zéro reste à charge. Faisons-le : même si on ne peut pas tout faire pour le moment en termes de rénovation globale, toutes les avancées sont bonnes à prendre pour le climat et pour le pouvoir d’achat.

C.L.-L. : Concernant les ZFE-m, ne faudrait-il pas mieux accompagner au changement de mobilité avant de contraindre ?

P.C. : Tout le monde a voté pour les ZFE-m, mais maintenant qu’il s’agit de les mettre en pratique, tout l’échiquier politique constate que cette politique peut être contre-productive d’un point de vue social. Je ne suis pas un défenseur des ZFE-m parce que le concept même est inégalitaire et me pose un problème. Cela dit, il est louable et absolument nécessaire de mener des politiques de réduction de la pollution de l’air : c’est un enjeu de santé publique mais aussi de justice sociale, puisque la pollution touche les populations les plus précaires et les plus fragiles. Il faut donc accompagner systématiquement les personnes aux revenus inférieurs, mais aussi celles qui ont la nécessité de prendre la voiture et qui sont vulnérables.

Mais si vous faites le choix individuel de la voiture, alors qu’il y a le métro ou le RER, donc qu’une alternative existe, pourquoi la puissance publique devrait-elle vous subventionner alors qu’elle paie déjà le RER ? Si, à l’inverse, il n’existe pas d’alternative, pourquoi la puissance publique vous taperait-elle sur les doigts alors que vous n’avez pas le choix ? Il faut croiser ces deux critères – revenu et vulnérabilité – pour que le système soit à la fois efficace et juste.

C.B. : Concernant les mobilités, je pense aussi qu’il faudrait aller vers des alternatives à la voiture. Personnellement, j’aimerais prendre le bus mais à 6 heures du matin, il n’y en a pas. Ne faudrait-il pas développer les transports en commun ?

P.C. : Je ne pense pas que la réponse soit de massifier les transports en commun sur tout le territoire. Il n’y aura jamais de bus pour tout le monde à toutes les heures dans les zones rurales. Cela nous coûterait collectivement une fortune ! L’enjeu, c’est plutôt de vous accompagner d’un point de vue individuel : est-ce avec un chèque transports ? L’accessibilité à la voiture électrique en leasing ? Un transport collectif à la demande ? Tout dépend de votre situation personnelle.

Mais la difficulté, en France, réside dans le fait que nos administrations sont segmentées et qu’il y a un millefeuille territorial. Je suis pour un guichet unique, c’est-à-dire une interface avec des personnes dont la seule fonction serait de trouver la meilleure solution mobilité à un coût raisonnable selon votre besoin. Il faut individualiser au maximum les solutions, et ce n’est pas aux citoyens de gérer la complexité des administrations.

C.B. : L’alimentation bio est trop chère pour moi. Avec les paniers solidaires au Secours Catholique, j’ai pris conscience aussi de la précarité des producteurs agricoles, et du fait que notre système agroalimentaire est problématique. N’y a-t-il pas urgence à le changer ? Comment faire pour avoir une politique agricole commune (PAC) plus soucieuse de l’environnement ?

P.C. : Nous avons réformé la PAC en 2020 pour y introduire une conditionnalité environnementale systématique. Pour que les agriculteurs aient 100 % de leurs aides, ils doivent choisir dans un panier d’actions favorables à l’environnement : réduire les pesticides, passer au bio, stocker du carbone dans les sols, etc. Sinon ils peuvent perdre jusqu’à 20 % de leurs aides. C’est un premier pas important.

Par ailleurs, il existe un problème dans le système de la distribution. Regardons de près un produit bio, par exemple une tomate : lorsqu’elle sort de la ferme, elle est un peu plus chère qu’une tomate non bio, mais pas beaucoup plus. Or, au final, son prix de vente en magasin est nettement plus élevé car le mécanisme de transmission des prix de chaque acteur économique lors de la chaîne de distribution repose sur une logique de pourcentage et de marge cumulée. Je pense donc qu’il faut réformer ce système et revenir à une logique de valeur absolue. Il n’y a aucune raison qu’une grande surface gagne plus d’argent lorsqu’elle vend une tomate bio, par rapport à une tomate conventionnelle. C’est inégalitaire et inflationniste pour les bons produits. Et l’agriculteur ne touche pas un centime de plus !

Il faut individualiser au maximum les solutions et mettre en place un guichet unique.

C.L.-L. : N’a-t-on pas l’obligation de faire de la lutte contre la pauvreté une condition de la transition écologique ?

P.C. : Si la transition n’est pas juste, elle n’est pas acceptable et se heurtera au fait qu’elle ne sera plus soutenue. C’est pour cela que des mesures symboliques sont importantes. Par exemple, obliger les jets privés à avoir des vols zéro émission de CO2. Cela coûtera plus cher à l’usager, mais c’est un public qui a les moyens de payer et cela accélère l’innovation pour tous ensuite. Si celui qui a les moyens de payer plus est soumis à cette contrainte spécifique supplémentaire, le reste devient plus acceptable. Je regrette qu’on ne l’ait pas fait jusque-là. Regardez : le dispositif Covid a globalement été bien accepté parce que tout le monde y était soumis, sans exception. Le fait que la transition écologique soit juste est la clé de son déploiement à grande échelle.

C.L.-L. : Venons-en au financement : ne faudrait-il pas taxer les plus aisés pour financer cette transition écologique ? Faut-il une taxation carbone ?

P.C. : La transition doit être juste à la fois dans les solutions apportées et dans son mode de financement. La taxation carbone a été mise en place pour les industries, les armateurs, l’aviation. Aujourd’hui, dans l’UE, les entreprises payent le CO2. Mais je ne suis pas favorable à l’instauration d’une taxe carbone pour les ménages, car « par construction », c’est injuste, un peu comme les ZFE-m. Ce n’est pas le bon outil. Je pense qu’il faudrait plutôt une fiscalité exceptionnelle sur le patrimoine, le revenu ou le capital des plus aisés. C’est la proposition de Pisani-Ferry. Avec cette fiscalité, vous renforcez la capacité d’acceptabilité parce que tout le monde est mis à contribution et en particulier les plus aisés.

Je pense pour ma part qu’il faut le faire à l’échelle européenne, pour éviter que les plus riches partent dans les pays voisins avec leurs patrimoines. Dans l’UE, une telle fiscalité exceptionnelle rapporterait plusieurs dizaines de milliards d’euros et pourrait financer des mesures concrètes de la transition écologique. Et si ce n’est pas possible, testons-la au niveau national en France.

Crédits
Nom(s)
Cécile Leclerc Laurent
Fonction(s)
Journaliste
Nom(s)
Christophe Hargoues
Fonction(s)
Photographe
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