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Chantha, victime de mariage forcé en chine

Cambodge : Auprès des victimes de la traite

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12 minutes
Ecoutez le témoignage de Chantha, victime de la traite
Diaporama : L'accompagnement des victimes de la traite
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Des milliers de travailleurs cambodgiens, souhaitant migrer pour sortir de la pauvreté, se trouvent pris dans des réseaux de trafic d’êtres humains. Chaque année, 300 victimes de mariages forcés, d’exploitation par le travail ou de traite humaine sont prises en charge par Adhoc, association pour les Droits de l’homme et le développement au Cambodge, partenaire du Secours Catholique. Reportage.
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C’est une petite maison comportant une seule pièce, située au bord de la route, à Chun Latt Daï, un village de la province Takeo, dans le sud du Cambodge. Chantha*, qui est vendeuse ambulante de canne à sucre et de plats de pâtes, habite ici avec ses quatre enfants.

Âgée de 39 ans, elle raconte le calvaire qu’elle a enduré ces dernières années : « En 2020, un homme m’a proposé de partir travailler dans une usine de textiles en Chine, me promettant un salaire de 3 000 dollars par mois. J’ai donc laissé mes enfants chez leurs grands-parents et je suis partie en franchissant les frontières de manière illégale. Arrivée sur place, j’ai compris que j’avais été vendue à un Chinois qui voulait m’épouser. »

J'étais traitée comme une esclave.

S’ensuivent deux ans de captivité et de violences quotidiennes. Chantha était notamment forcée d’avoir des relations sexuelles avec les amis de son mari. Un jour, elle réussit à prévenir sa sœur restée au Cambodge. Cette dernière prend contact avec Adhoc, l’association pour les Droits de l’homme au Cambodge.

La partenaire du Secours Catholique appelle alors l’ambassade du Cambodge en Chine pour faciliter le rapatriement de Chantha. Adhoc encourage aussi la jeune femme à trouver de l’aide en Chine, ce qu’elle fait en s’échappant jusqu’à un poste de police. Elle est finalement rapatriée en juillet 2022. « Je suis tellement en colère que ces trafiquants fassent cela aux pauvres en leur promettant monts et merveilles ! La réalité est que j’étais traitée comme une esclave », se révolte-t-elle aujourd’hui.

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Chantha, victime de mariage forcé en Chine
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"Il faut dénoncer cette exploitation"
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Cette histoire n’est pas un cas unique. Chaque année, Adhoc est mise en relation avec 300 victimes de traite des êtres humains, et réussit à en rapatrier une cinquantaine au Cambodge.

« La plupart des personnes concernées sont pauvres et vivent dans des zones rurales reculées. Les trafiquants leur promettent un bon travail à l’étranger : en Chine, en Thaïlande, en Malaisie, voire en Arabie Saoudite. Alors elles prennent la route de l’émigration, sans papiers, et se retrouvent victimes d’exploitation par le travail (dans les industries, le bâtiment ou les travaux agricoles) ou de mariages forcés, principalement en Chine », explique Mao Map, directrice de la section “femmes et enfants”.

Nous nous assurons que les proches ne sont pas complices des trafiquants.

Pour se faire connaître, Adhoc a mis en place une ligne téléphonique joignable 24 h sur 24. L’ONG reçoit ainsi environ quatre appels par jour. Ce matin-là, Ron Strey Moch est de permanence. Elle répond à une jeune fille qui semble avoir été mariée de force en Chine : « Sens-toi libre de me parler, envoie-moi tous les documents que tu as et nous allons les traduire en chinois. Surtout, note mon numéro de téléphone dans un endroit sûr ! » lui recommande la salariée.

Il faut alors à l’ONG plusieurs mois de travail en collaboration avec les autorités pour réussir à rapatrier les victimes. Adhoc organise leur voyage de retour, puis les prend en charge au Cambodge : nourriture, hébergement, soins médicaux et aide psychosociale.

« Avant tout, notre but est de protéger les victimes », précise Saim Meas, directrice adjointe de la section “femmes et enfants”. « Aussi nous évaluons le cadre familial pour être certains que les proches ne sont pas complices des trafiquants. Car c’est souvent le cas. »

Obtenir justice

Après le retour au pays, un travailleur social accompagne chaque victime durant deux à trois ans. « On fait en sorte qu’elle réintègre la communauté. Je l’aide à trouver un travail. Nous avons par exemple soutenu Chantha en lui achetant sa machine pour la canne à sucre », explique Huch Yada, travailleur social à Adhoc. L’ONG propose aussi une aide juridique aux victimes qui souhaiteraient porter plainte.

Ce jour-là, l’un des trois avocats d’ADHOC (qui souhaite garder l’anonymat) reçoit Phum*, jeune fille de 38 ans. Son affaire remonte à 2013-2014 : elle pensait partir en Corée pour le travail, et s’est retrouvée, là aussi, mariée de force à un homme en Chine.

Enfermée dans une pièce, elle ne mangeait que du riz et était battue et violée. « Je me suis alors promise de porter plainte contre les trafiquants, les deux du Cambodge et les trois de Chine, dont deux étaient de nationalité cambodgienne. Car si je ne portais pas plainte, ils auraient continué leurs cruautés envers d’autres. » témoigne Phum* aujourd’hui.

Deux trafiquants ont été condamnés à 8 ans de prison, mais la jeune fille poursuit son combat contre les autres. Le procès n’est pas terminé car « au Cambodge, la justice ne vient pas à nous, nous devons nous battre pour l’obtenir. » selon l’avocat d’ADHOC.

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Chantha victime de traite et sa soeur
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Chantha (à gauche) et sa sœur Chan Thi Da. Au bout de deux années de mariage forcé en Chine, Chantha a réussi à joindre sa sœur restée au pays, via Facebook. Elle lui a avoué qu'elle était battue par son mari et lui a demandé de se mettre en relation avec ADHOC au Cambodge. C'est grâce à elle que Chantha a ensuite pu être rapatriée.
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Elodie Perriot
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Ron Strey Moch répond au téléphone d'ADHOC
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ADHOC a mis en place une ligne téléphonique disponible 24heures sur 24, pour répondre aux demandes des victimes. Ce jour-là, Ron Strey Moch rassure une jeune fille qui semble être mariée de force en Chine. Elle lui demande de lui envoyer ses documents qu'elle va faire traduire en chinois. Puis ADHOC va prendre contact avec les autorités chinoises et cambodgiennes.
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adhoc accompagne les victimes de traite
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ADHOC aide les victimes de la traite à revenir au Cambodge, puis les accompagne sur la durée. Un travailleur social les suit ainsi durant 2 à 3 ans, et les aide par exemple à retrouver un travail, à avoir accès à des soins et à se réintégrer dans la société. Ici, Saim Meas d'ADHOC discute avec Chantha devant la maison de cette dernière.
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mains de femmes victimes
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ADHOC propose aussi une aide juridique aux victimes, une fois qu'elles sont de retour au pays. Trois avocats travaillent avec l'association. L'un d'entre eux accompagne Phum, qui se bat pour obtenir justice depuis plusieurs années. Deux trafiquants ont déjà été condamnés. "Si je ne portais pas plainte, ils auraient continué leurs cruautés envers d’autres." dit-elle.
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sensibilisation d'adhoc
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Pour prévenir l'émigration illégale et les risques de traite, ADHOC sensibilise les populations des zones rurales aux dangers de la migration sans papiers. Ici dans le village de Trapeang Pring.
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Elodie Perriot
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une animatrice d'adhoc sensibilise les communautés
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"Ne faites confiance à personne, pas même à vos proches" prévient l'animatrice d'ADHOC. Car les trafiquants peuvent parfois être des membres de la famille. Elle montre un passeport pour expliquer ce qu'est l'émigration légale et rappelle qu'il faut un visa et un permis de travail dans le pays d'accueil.
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Un homme victime de traite en malaisie
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ADHOC veille à faire participer le public aux séances de sensibilisation. Un homme prend la parole et avoue qu'il est parti travailler en Malaisie, où il pensait gagner beaucoup d'argent, avant de réaliser qu'il a été victime d'exploitation, sans salaire. "Avant j'étais fort, maintenant je suis affaibli" avoue-t-il.
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Elodie Perriot
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victime de la traite et ses parents
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Une victime de la traite entourée de ses deux parents dans le village de Kok Angkonh au Cambodge. Victime d'un mariage forcé, elle est restée prisonnière 4 années en Chine, avant de réussir à s'enfuir avec le soutien d'ADHOC, mais a dû abandonner sur place sa fille, née d'un viol. C'est pour cela qu'ADHOC nomment les victimes "les survivants" : ils/elles doivent aussi se remettre de leurs souffrances.
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Elodie Perriot
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Cap sur le village de Trapeang Pring, dans la province de Kampong Cham. Ce matin-là, Adhoc organise une séance de sensibilisation aux risques de l’émigration illégale pour informer les communautés. « Ne faites confiance à aucune personne qui essaie de vous faire partir à l’étranger, pas même à vos proches », met en garde l’animatrice, qui fait participer le public.

Un homme prend la parole : « J’ai cru que j’aurais un bon salaire en Malaisie, mais j’ai été exploité pendant quatre mois. Avant j’étais un homme fort, maintenant je suis faible. Si j’avais su cela avant, je ne serais pas parti. » La séance se clôt par la consigne donnée aux villageois de toujours garder avec eux le numéro de téléphone de l’ONG et celui de l’ambassade du Cambodge dans le pays où ils comptent se rendre.

La force d’Adhoc est d’avoir une vingtaine de bureaux un peu partout sur le territoire cambodgien, pour être au plus près des communautés rurales. L’ONG espère ainsi combattre le fléau à sa racine pour réduire le nombre de victimes qu'elle qualifie, en langue khmer et en anglais, de “survivants” ou “rescapés”. Car elles doivent se remettre de leurs souffrances avant de commencer une nouvelle vie.

Rencontrez Thun Saray, le fondateur d'ADHOC dans notre magazine Résolutions (page 28)

Crédits
Nom(s)
Cécile Leclerc-Laurent
Fonction(s)
Journaliste
Nom(s)
Elodie Perriot
Fonction(s)
Photographe
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