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Comment vaincre la précarité énergétique ?

Comment vaincre la précarité énergétique ?

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10 minutes
En finir avec les passoires énergétiques !
La précarité énergétique, une déclinaison de la pauvreté
Témoignage de Pélagie
Jérôme Vignon : « Pour lutter efficacement, ne pas stigmatiser »
Reportage chez Denis, reclus contre le froid
Chapô
La précarité énergétique en France touche un ménage sur cinq et a des conséquences financières, sanitaires et sociales. Le Secours Catholique tente de prévenir et d'enrayer ce phénomène croissant qui frappe d'abord les plus pauvres et milite pour que l’État s'engage en faveur de la rénovation des « passoires énergétiques ».
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Elle touche un ménage sur cinq. La précarité énergétique, en progression ces dernières années, recouvre des réalités diverses : il y a ceux qui cumulent les impayés, ceux qui habitent des « logements passoires », ceux qui doivent choisir entre se chauffer ou manger... Pour tous, les conséquences sont lourdes : financières, sanitaires et sociales. Car bien se chauffer, c'est être bien chez soi et bien avec les autres.

Le Secours Catholique se mobilise pour prévenir et enrayer cette précarité croissante qui frappe d'abord les plus pauvres. À l'approche des élections présidentielle et législative l'association se mobilise avec le collectif Rénovons ! pour inciter les futurs élus à investir dans la rénovation de ce que l'on appelle les passoires énergétiques.

7,5 millions : c'est le nombre de ces « passoires énergétiques », c'est-à-dire de logements ayant une étiquette F ou G, parmi les résidences principales du parc privé. Or, d'après l’étude réalisée dans le cadre de la campagne « Rénovons ! », un tiers de ces logements « passoires » sont occupés par des ménages modestes en situation de précarité énergétique, qui ne parviennent pas à se chauffer ou à payer leurs factures.

Une solution s'impose : la rénovation des logements mal isolés. C'est d'ailleurs l'ambition de la loi de transition énergétique de 2015 qui prévoit la rénovation énergétique de 500 000 logements chaque année, dont la moitié au bénéfice d’occupants aux revenus modestes.

Mais à ce jour il manque une volonté politique suffisante pour atteindre cet objectif. S’appuyant sur une feuille de route et une étude économique, le collectif appelle l'État à appliquer la loi.

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La France compte pas moins de 7,5 millions de logements très consommateurs d’énergie. Un collectif d'associations dont fait partie le Secours Catholique exhorte l'État à s'engager davantage dans la rénovation.

7,5 millions : c'est le nombre de « passoires énergétiques », c'est-à-dire de logements ayant une étiquette F ou G, parmi les résidences principales du parc privé. Or, d'après l’étude réalisée dans le cadre de la campagne “Rénovons !”, un tiers de ces logements “passoires” sont occupés par des ménages modestes en situation de précarité énergétique, qui ne parviennent pas à se chauffer ou à payer leurs factures.

De fait, aux yeux d'un collectif d'associations, parmi lesquelles le Secours Catholique, réunies au sein de la campagne « Rénovons ! », une solution s'impose : la rénovation des logements mal isolés. C'est d'ailleurs l'ambition de la loi de transition énergétique de 2015 qui prévoit la rénovation énergétique de 500 000 logements chaque année, dont la moitié au bénéfice d’occupants aux revenus modestes.

Mais à ce jour il manque une volonté politique suffisante pour atteindre cet objectif. S’appuyant sur une feuille de route et une étude économique, le collectif appelle l'État à appliquer la loi. « Nous voulons montrer que tout cela est faisable sur dix ans. Il est nécessaire dans notre pays de passer d'une logique curative à une logique préventive », affirme Danyel Dubreuil, coordinateur de la campagne « Rénovons ! ».

Un investissement d’avenir

Au-delà de cette solidarité envers les plus démunis (la rénovation permettant aux ménages d'économiser 500 euros par an), les bénéfices sont aussi économiques, sanitaires, environnementaux et sociaux. Les auteurs des rapports montrent en effet que la rénovation permettrait de créer 130 000 emplois d'ici 2025, de réaliser des économies annuelles de 758 millions d'euros dans le système de soins, et de réduire les émissions de gaz à effet de serre (6 millions de tonnes d'équivalent CO2 par an).

Par ailleurs, cette politique entraînerait d'autres bénéfices sociaux difficilement quantifiables comme le renforcement de l'estime de soi, une meilleure réussite scolaire et la productivité au travail. Au total, rénover progressivement ces 7,5 millions de logements d’ici 2025 coûterait 4,7 milliards d'euros par an à l'État.

« Mais si on cumule tous les bénéfices économiques, ce plan s'autofinance vingt-trois ans après le début de sa mise en place, soit en 2040. Le jeu en vaut la chandelle », explique Danyel Dubreuil. Pour ce faire, les deux rapports recommandent de mieux cibler les populations les plus vulnérables, d'augmenter les montants de prise en charge des travaux et d’élargir un programme déjà existant : « Habiter mieux ».

Ce dispositif national permet de prendre en charge 35 à 50 % des travaux des ménages modestes ou très modestes. De fait, Vincent Perrault, responsable du programme Habiter mieux à l’Anah (Agence nationale de l'habitat), reconnaît qu'il faudrait entreprendre une politique nationale d'envergure : « Depuis notre création en 2011, nous avons accru le nombre de logements rénovés de 7 000 en 2011 à 50 000 en 2015.

Mais pour poursuivre, il faut que les collectivités restent mobilisées sur la rénovation énergétique et que nous disposions d’un budget sur plusieurs années pour pouvoir pérenniser nos aides. » Encore faut-il que les politiques se saisissent du dossier. Pour l'instant, celui-ci fait figure de grand absent de la campagne présidentielle.

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La précarité énergétique, une déclinaison de la pauvreté

La précarité énergétique frappe d’abord les plus pauvres, qui n’ont pas les moyens de régler des factures dont le montant ne cesse de croître. Le Secours Catholique s’efforce d’identifier et accompagner les personnes concernées, et d’interpeller les pouvoirs publics.

 « La précarité énergétique constitue une dimension de la pauvreté et une manière contemporaine d’en saisir les manifestations », analyse Johanna Lees, socio-anthropologue, dans une thèse consacrée au sujet.

Selon elle, le phénomène « touche avec plus de force et d’intensité les populations modestes et très modestes » et représente « une nouvelle figure de la relégation sociale ».

Pas étonnant que le Secours Catholique soit en première ligne face à cette réalité qui gagne du terrain. « L’énergie est devenue, après l’alimentation, le deuxième poste d’aides du Secours Catholique », souligne François Boulot, chargé de mission pour l’association.

« En dix ans, ces aides à l’énergie ont quasiment doublé. » Financières (endettement), sociales (repli sur soi) et même sanitaires (maladies respiratoires), les conséquences de la précarité énergétique font apparaître une spirale.
 

Payer 130 euros de chauffage par mois, c’est impossible quand on vit sous le seuil de pauvreté. 
François Boulot
 

« Face aux impayés, les gens se débrouillent », témoigne Guy Nécaille, référent au Secours Catholique dans l’Aisne. « Ils abandonnent la chaudière pour des convecteurs électriques ou le poêle à pétrole, bouchent les aérations... Ce système D ne fait qu’augmenter leur précarité. » Sans oublier ceux qui renoncent tout simplement à se chauffer.

« L’enjeu principal est d’aider les gens en grande pauvreté à régler leurs factures, déclare François Boulot. Payer 130 euros de chauffage par mois, c’est impossible quand on vit sous le seuil de pauvreté. » Car si la précarité énergétique se situe au croisement de plusieurs facteurs (prix de l’énergie, qualité du logement, comportements...), l’insuffisance des ressources est déterminante.

Le Secours Catholique plaide donc pour une révision des tarifs sociaux – dont il a contribué à rendre l’application automatique en 2012 –, une augmentation du chèque énergie qui les remplacera en 2018 et une hausse des aides sociales spécifiques (Fonds solidarité énergie, Fonds solidarité logement...), trop limitées et inégales selon les territoires.

L’association se prononce aussi en faveur de la rénovation des “passoires énergétiques”, ces logements énergivores dans lesquels vivent souvent les plus fragiles. Elle appelle les pouvoirs publics à contraindre les propriétaires à rénover, ou à aider, via un accompagnement social, les propriétaires modestes à le faire.

« Mais même si on rénove et que l’on réduit au maximum les factures, rappelle François Boulot, il faudra continuer à aider les plus pauvres car les montants resteront incompatibles avec de faibles revenus. »

Partenariat avec EDF

Pour épauler les ménages exposés aux impayés, le Secours Catholique s’implique, à travers la convention nationale renouvelée depuis sept ans avec EDF. Elle permet aux bénévoles, formés par l’électricien, d’intervenir en urgence quand une famille est menacée de coupure et de négocier un échéancier pour étaler le remboursement des dettes.

Certaines délégations, comme celles de l’Hérault et de l’Ariège-Garonne, qui ont également signé une convention locale avec Engie, ont créé un service spécial. « Nous essayons de voir un peu plus loin que l’aide ponctuelle à la facture, pour ne pas nous contenter de reporter le problème de quelques mois », explique Geneviève Silberstein, qui chapeaute l’accueil énergie de Montpellier.

« En misant sur la pédagogie et l’accompagnement. » Un atelier “éco-gestes” a ainsi été mis en place, préalable obligatoire à toute demande d’aide financière. 40 ateliers ont été organisés en 2015, auprès de 250 personnes.
 

Derrière des impayés, on découvre de la solitude
M-H. Le Prioux
 

En Haute-Garonne, les dossiers, adressés par les travailleurs sociaux, affluent : 768 en 2015, contre 218 en 2011. Ils sont traités techniquement puis “redescendent” dans les équipes locales.

Des bénévoles se déplacent alors au domicile des personnes. « Derrière des impayés d’énergie, on découvre souvent de la solitude, un mal-être familial, une difficulté à gérer un budget... », observe Marie-Hélène Le Prioux du Secours Catholique. « Il nous arrive de ne pas prendre en charge la facture, mais d’aider autrement : en orientant vers l’épicerie solidaire, par exemple. Le but n’est pas de donner à fonds perdus. »

La rencontre à domicile permet aussi de détecter, chez les propriétaires modestes, si des travaux de rénovation pourraient alléger la facture, via le programme national “Habiter mieux”. « Je vis seule avec mon fils, dans une ancienne maison de village, témoigne Sylvie, 45 ans. Serge, le bénévole qui est venu chez moi, a remarqué des défauts d’isolation. Il m’a parlé du programme. J’ai monté un dossier, et les travaux ont commencé. »

Ce travail de repérage et d’accompagnement de proximité, très demandeur en bénévoles sensibilisés, représente un défi important. D’autant que les situations les plus critiques sont aussi, souvent, les moins visibles.  

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La réalité de la précarité énergétique
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Pélagie, 39 ans, de Toulouse

« Tout simplement être bien chez nous »
 

 « Avec mon conjoint, nous avons acheté un appartement dans un immeuble vieillissant à Toulouse. Le premier hiver, une grosse facture de gaz est arrivée : 500 euros, que nous avons eu du mal à régler car nos salaires sont peu élevés.

Le logement se situe en rez-de-chaussée, avec plusieurs fenêtres en simple vitrage et un cellier comportant une bouche d’aération qui laisse s’échapper toute la chaleur malgré nos efforts pour colmater. Du coup, nous essayons de ne pas trop chauffer et nous empilons les couvertures et les épaisseurs de vêtements.

Quand nos enfants de 12 et 7 ans ont trop froid, j’allume les radiateurs un moment puis je les éteins. Par ailleurs bénévole au Secours Catholique, je me suis renseignée auprès du service précarité énergétique. Avec le soutien d’une bénévole, nous sommes en train de monter un dossier pour faire poser des doubles-vitrages, installer des thermostats et créer une fenêtre dans le cellier.

Nous n’avons pas hésité, quitte à contracter un petit prêt pour financer le reste à charge : c’est indispensable pour ne plus avoir de factures astronomiques et tout simplement pour être bien chez nous. »  

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« Pour lutter efficacement, ne pas stigmatiser »

Les ménages les plus concernés par la précarité énergétique sont ceux qui ont le plus de difficulté à connaître les dispositifs actuels. L’une des clés réside dans l’idée de solidarité active entre personnes vulnérables et moins vulnérables pour trouver des solutions communes.

Jerôme Vignon

Entretien avec Jérôme Vignon, vice-président de l’Observatoire national de la précarité énergétique (ONPE)

 

Quel est l’impact de la précarité énergétique sur la situation de pauvreté des ménages ?

Ce n’est pas tant un impact qu’une interaction entre les différentes formes de précarité. On remarque dans les accueils sociaux que les difficultés pour payer son chauffage ou son électricité sont celles qui se manifestent les premières. Et souvent, elles traduisent ou annoncent un état de précarité plus général.


Pourquoi se manifestent-elles les premières ?

Parce que la tolérance par rapport à un non-paiement de facture d’énergie est relativement grande, comparée au non-paiement d’un loyer ou d’un abonnement Internet, par exemple. Et on accumule les retards jusqu’à ce que ce ne soit plus possible et qu’on doive se faire aider. Ainsi, la précarité énergétique est souvent la forme de précarité qui est la plus visible. Et elle continue à croître malgré les mesures prises.


Pourquoi les mesures actuelles ne suffisent-elles pas ?

Des outils comme le « chèque énergie » ou les aides de l’Agence nationale de l’habitat (Anah) ont du mal à toucher les foyers les plus en difficulté. On a un noyau de ménages en grande précarité énergétique, locataires ou propriétaires de « passoires énergétiques », et, autour, un halo assez vaste - qui va jusqu’au 2e décile de revenu - de personnes qui ont froid dans leur logement, ou payent trop cher leurs énergies.

Jusqu’à présent, nos outils touchent le halo sans réussir à atteindre ou soulager vraiment le noyau.


Comment expliquer cette difficulté à atteindre le noyau ?

On retrouve les mêmes problèmes que pour la question du non-recours aux prestations sociales, et en particulier au RSA activité. Il y a la complexité des démarches et la crainte de la stigmatisation, d’être repéré comme gérant mal ses ressources ou infligeant de mauvaises conditions de vie à ses enfants.

Certaines expériences sont menées pour éviter la stigmatisation. L’une des pistes explorées est celle de la solidarité active entre personnes précaires, non précaires, vulnérables et moins vulnérables, à partir de l’identification d’un problème commun et de la définition de solutions.


La prise de conscience de la précarité énergétique est récente...

En effet. On a eu pendant quelques années le bénéfice d’une espèce de stabilité réelle du prix de l’énergie qui a pu masquer le problème de fond. Et aussi car cette forme de précarité a longtemps été considérée simplement comme un aspect parmi d’autres de la grande pauvreté.

Aujourd’hui, on se rend compte que c’est un problème à part entière. Et que s’y attaquer spécifiquement peut même être bénéfique dans la lutte contre la précarité en général.


Pourquoi ?

Parce que c’est un domaine où il est facile de solliciter les capacités des personnes et donc de les rendre actrices de la solution. Par exemple, une fois que les travaux d’isolation sont achevés, on peut former les familles et leur confier la gestion de leur consommation d’énergie.

Une fois que les personnes sont dans un processus d’implication personnelle, de reprise de confiance en elles, cela peut faciliter la lutte contre les autres formes de précarité, telles que l’absence d’emploi, de solution de mobilité ou de lien social.

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Rencontre : Denis, reclus contre le froid 

Reportage chez Denis, reclus contre le froid
Crédits
Nom(s)
Crédits photos : ©Lionel Charrier-Myop/Secours Catholique - ©Steven Wassenaar/Secours Catholique
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