À La Réunion, accompagner les plus fragiles
Le samedi matin, à Saint-Denis, la sacristie de la cathédrale bourdonne du bruit des préparatifs du « café de rue » organisé sur le parvis par les bénévoles du Secours Catholique. Les plateaux se garnissent de parts de gâteau, de sandwichs saucisse-fromage, de tartines à la pâte d’arachide, de raisins, de dattes et d’ananas coupés. « Manger des fruits frais, étant donné l’inflation, c’est un luxe, dit Luce, qui compose les gobelets colorés. J’estime qu’ils y ont autant droit que moi ».
Ils, ce sont les femmes et les hommes, entre 40 et 100 selon les semaines, qui fréquentent le café de rue dionysien. Certains dorment dehors, d’autres sont hébergés en foyer ou chez un tiers, ou bien ont un logement à eux mais de faibles ressources. Selon la Fondation pour le logement des défavorisés, La Réunion compte 143 000 personnes non ou mal-logées (données 2024), dont 3 000 sans-abris, quand le taux de pauvreté s’élève à 36 %.
Je reviens voir les anciens, discuter.
« Le café est prêt ? Alors on peut déballer ! », lance Pascaline, cheffe d’orchestre de la matinée. Des tables sont dépliées et garnies autour de la fontaine qui orne la place. Henri fait la queue pour un café. « J’ai été à la rue comme eux. Je reviens voir les anciens, discuter. Je n’aime pas rester chez moi », témoigne ce Dunkerquois qui fut brancardier à Paris avant de s’installer à La Réunion la retraite venue, puis de sombrer dans la dépression.
Jean-Hugues, ambulancier dans un hôpital parisien, a lui aussi rejoint son île de naissance une fois retraité. « J’ai vécu sept ans en logement avant d’être expulsé, raconte-t-il. Je ne payais plus mon loyer à cause du bruit, me croyant dans mes droits. J’ai accumulé 14 000 euros de dettes. » L’homme au regard bleu dort depuis un an sur le parvis de l’hôtel de ville. « Tous les samedis je viens là, je suis quelqu’un d’un peu à la marge, reconnaît-il. Malgré mes 1 450 euros de pension, je suis mieux avec mes amis dans la rue que dans un appartement ».
Pascaline passe auprès des petits groupes. « On leur apporte de la bonne humeur, indique la quinquagénaire, en reconversion professionnelle dans le social. Ils nous parlent un peu de leurs galères mais ne se plaignent pas. » Parmi les femmes présentes, Edmée met deux sandwichs de côté pour son déjeuner. Cette octogénaire confie en créole qu’elle a travaillé toute sa vie comme femme de ménage, qu’elle ne peut pas « rester enfermée toute la journée » et que venir ici la « distrait ».
Hélène, elle, est propriétaire de son appartement et perçoit 2 400 euros de pension après une carrière dans les finances publiques. « Je n’ai pas préparé ma retraite, je me suis retrouvée coupée du monde, sans vie sociale, témoigne-t-elle, mentionnant le suicide de son mari et des problèmes d’addiction. Ça fait trois ans que je viens ici : on rencontre des gens, et puis financièrement, j’ai un peu de mal ». Entre autres symptômes de la « vie chère » ultramarine, se nourrir coûte 37 % de plus à La Réunion qu’en métropole.
Notre objectif est de partager un moment avec eux, pour essayer de les aider dans leurs démarches d’accès à leurs droits.
Pour être présent auprès des sans-abris et mal-logés, le Secours Catholique anime en différents points de l’île six cafés de rue, des repas fraternels et trois accueils de jour, énumère Tidiane Cissoko, animateur salarié. « Pour aller plus loin dans notre accompagnement, précise-t-il, nous nouons des partenariats avec d’autres structures, comme la Fondation pour le logement, Médecins du monde, la Croix Rouge, la Protection civile et les Centres communaux d’action sociale (CCAS). »
À Saint-Leu, sur la côte ouest abritée et touristique, le café de rue s’installe le lundi dans la lumière dorée du couchant, sur le front de mer entre cocotiers et port de plaisance. « On dénombre une quarantaine de sans-abris dans la commune, indique Rico, responsable de l’équipe bénévole et représentant au CCAS. À cause du chômage [qui atteint 15 % à La Réunion], de l’isolement, des addictions. Notre objectif est de partager un moment avec eux, pour essayer de les aider dans leurs démarches d’accès à leurs droits sociaux, à un logement ou à des soins. »
Teddy, 43 ans, dort sur la plage depuis un mois. Séparé de sa compagne il y a dix ans, il survit avec le RSA. « Mon but est d’obtenir un logement social, de trouver du travail et d’avoir une vie normale, pour revoir mes enfants », déclare-t-il. « Je suis alcoolique chronique », précise d’emblée Benoît, 37 ans. « Mais j’ai envie de changer de vie », dit-il encore, confiant avoir basculé dans une dépression sévère après une rupture sentimentale.
Une fois par mois, une association spécialiste des addictions se joint au café tandis que chaque semaine, Médecin du monde profite du point de rencontre pour approcher les personnes à la rue. « La santé n’est pas leur priorité, explique Anne-Laure Charrier, coordinatrice de programme pour l’ONG. Le café de rue est un endroit où les personnes se posent, créant un contexte favorable pour tisser un lien de confiance et recueillir leurs besoins sur le plan psycho-social. »
Pour Christine et Nicaise, toutes deux bénévoles au café de rue, c’est avant tout « la rencontre » qui compte : « On connaît leurs visages, ils nous donnent envie de revenir. Ce sont nos nouveaux amis. »