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Tous les mardis de Givors

Tous les mardis de Givors

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Rhône
Chapô
À Givors, une ville marquée par la désindustrialisation à vingt kilomètres au sud de Lyon, des personnes en situation d’isolement ou de précarité se retrouvent chaque semaine dans la « maison arc-en-ciel » du Secours Catholique pour un repas partagé. Des mardis rythmés par l’écoute, l’entraide et la fraternité.
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Un toit de tuiles rouges et quatre murs ceints par un jardin où, aux beaux jours, on cultive des légumes ; à l’intérieur, une cuisine, un salon et un vaste séjour : la « maison arc-en-ciel » du Secours Catholique de Givors ne paie pas de mine – à l’image du quartier grisâtre où elle est située – mais une atmosphère familière et une énergie s’en dégagent dès le seuil franchi.

« Je viens ici tous les mardis discuter, prendre un café, aider à préparer le repas, témoigne Hayat, un large sourire illuminant son visage.

Tout juste arrivée, elle embrasse avec effusion Danièle et Odette qui s’affairent déjà dans la cuisine, ouverte à tous et, de fait, très animée. Il est 10 heures. D’ordinaire, une bonne quinzaine de convives sont attendus pour le déjeuner. 
 

J’aide en cuisine, j’encourage au jardin, je prends des nouvelles des uns et des autres, j’accueille avec un café… 
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Hayat, Danièle et Odette
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« On rencontre des gens différents, poursuit Hayat. On fait aussi des sorties ensemble. » Algérienne, Hayat a 48 ans, ni mari ni enfant – « ce qui est mal vu là-bas » -, un DEA d’optique et de mécanique de précision mais pas d’emploi dans sa branche. Elle est arrivée en France récemment.

Ce mardi, elle ne fait que passer, car elle doit se rendre à Lyon pour une démarche administrative. « C’est Geneviève qui va me conduire en voiture jusqu’à un tram ». 

accompagner sans stigmatiser

« J’aide en cuisine, j’encourage au jardin, je prends des nouvelles des uns et des autres, j’accueille avec un café… », décrit pêle-mêle ladite Geneviève, sa doudoune bleu vif encore sur le dos, en pleine discussion entre deux portes.

C’est elle aussi qui organise les sorties culturelles au cirque, au musée, dans le centre-ville lyonnais, et les soirées films. « Je suis témoin de la grande fragilité des personnes, confie-t-elle. Elles sont en recherche de marques d’intérêt et d’affection ».

Beaucoup de personnes viennent nous voir parce qu'elles n'y arrivent plus.
 

Dans une autre pièce de la maison, à l’écart de l’agitation, Jean-Paul et Maguy reçoivent des personnes en tête à tête. Elles viennent chercher là une écoute et un accompagnement pour surmonter les difficultés du quotidien : soucis de santé, problème de mobilité, factures impayées, démarches pour obtenir des papiers...

« Nous recevons beaucoup de mères seules, constate le bénévole, ainsi que des personnes âgées qui viennent nous voir parce qu’elles n’y arrivent plus. »

fraternité

Originalité de la maison de Givors : il arrive que ces personnes, orientées par les travailleurs sociaux et qui se présentent avec un dossier sous le bras, se retrouvent finalement attablées dans la cuisine à éplucher des légumes, avant d’être invitées à rester pour le repas avec les habitués.

Une manière d’accompagner sans stigmatiser, en créant d’emblée un lien simple de fraternité. « Beaucoup reviennent car elles trouvent un accueil chaleureux autour de leur demande », confirme Jean-Paul.

Ce n’est pas toujours facile d’être seule… Ici, c’est animé, le temps passe plus vite.


Asime, Pauline et Arlette font partie de celles qui ne ratent pas un mardi. La première, Kosovar, se trouve dans une situation administrative complexe. De plus, son mari est très malade, ce qui la stresse beaucoup.

Pauline, Congolaise, vit avec sa fille dans une petite chambre, au sein d’un foyer d’hébergement pour familles en difficulté. « Venir ici me fait oublier mes soucis, témoigne-t-elle. J’aide à la vaisselle, j’arrose le jardin, je participe à des sorties ».

« Ce n’est pas toujours facile d’être seule…, complète Arlette. Ici, c’est animé, le temps passe plus vite » Elle, n'a plus d’enfant à charge, mais elle ne peut plus travailler (elle faisait des ménages) et s’ennuie chez elle. 

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Réunion
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Pendant qu’à la cuisine, on coupe des pommes pour confectionner le dessert, dans le séjour, deux mamans choisissent des vêtements de seconde main, épaulées par André-Marie.

« Je suis accueillie ici comme dans une deuxième famille, apprécie Dina qui élève seule son fils de 10 mois. J’oublie tout, même que je suis à Givors ! ». La jeune femme n’attend qu’une chose : pouvoir se construire un avenir dans une ville plus dynamique.

À Givors, l'industrie locale qui faisait vivre le bassin d'emplois a périclité. En 2015, le taux de chômage avoisinait les 20% et le taux de pauvreté les 28%.

contrats très partiels

Cheffe de famille solo également, Tavitha s’équipe en habits chauds pour l’hiver. À 46 ans, elle a six enfants, dont quatre encore à la maison.

Elle confie parfois la garde du petit dernier à Arlette : elles sont voisines. Tavitha travaille comme éducatrice en prévention santé, dans le cadre de deux contrats à temps très partiels, l’un à Roanne, l’autre à Saint-Etienne.

À ce rythme-là, je vais arriver à la retraite en rampant !


« Financièrement, je ne m’en sors pas ! », reconnaît-elle. Pleine de ressources, elle a pour projet de se mettre à son compte, mais pas avant de s’être constituée un réseau solide.

Elle fait mine de s’amuser : « À ce rythme-là, je vais arriver à la retraite en rampant ! ». Avant de lancer à Odette, qui commence à dresser le couvert, un chaleureux « Bonne journée ma chérie ! ». 

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A Givors
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Depuis le milieu de la matinée, Odette s’active, dans une bonne humeur communicative. La sexagénaire a l’accent chantant de la région.

Avec Danièle, à l’abord plus abrupte, elles s’entendent bien. « J’aime l’aider en cuisine, avoir sa confiance, explique Odette. C’est important d’avoir la confiance de quelqu’unDans mon usine, j’avais celle des laborantines … » 

tous les mois à découvert

Givordine depuis 1966, habitante du quartier populaire des Vernes, Odette a travaillé pendant 25 ans dans l’industrie chimique. Elle en est fière – « C’était pas de la rigolade ! » - même si elle ne touche qu’une maigre retraite, qui la laisse tous les mois à découvert.

Car Odette, divorcée, a encore un fils de 23 ans à la maison, qui ne trouve pas d’emploi.

C’est important d’avoir la confiance de quelqu’un. Dans mon usine, j’avais celle des laborantines … 


« Je suis allée à Pôle emploi pour voir si moi-même je pouvais me trouver un petit boulot, en complément de ma retraite. Mais on m’a répondu que vu mon âge, ça n’était pas la peine… D’entendre ça, ça m’a fait quelque chose… », raconte-t-elle, la gorge serrée.

Les mardi, aux côtés de Danièle, Odette apprend. « Elle me donne des idées de plats que je peux faire à la maison. Mon budget est très serré, alors ça n’est pas facile de cuisiner autre chose que des macaronis ou des pommes de terre… ».

Ce midi-là, c’est un gratin d’endives au jambon accompagné d'une salade verte que les deux cuisinières amatrices ont concocté.

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A table
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Autour de la table, les compliments sur le menu vont droit au cœur de Danièle, même si cette dernière n’en laisse rien paraître. À 74 ans, elle a le regard déterminé.

Malgré son état de santé fragile, elle épaule ses deux fils qui travaillent dans la restauration, et trouve chaque mardi l’énergie de faire des courses et de préparer le repas commun de la « maison arc-en-ciel ».

J’ai mauvais caractère, je suis dure… je suis faite comme ça... Alors ici, j’ai appris la tolérance, à ne pas juger, à avoir davantage d’empathie.


« Si je continue depuis quatre ans maintenant, c’est que m’y retrouve, reconnaît la bénévole du bout des lèvres. Puis, plus fermement : « J’ai mauvais caractère, je suis dure… je suis faite comme ça... Alors ici, j’ai appris la tolérance, à ne pas juger, à avoir davantage d’empathie. Je trouve un équilibre grâce à cette meilleure compréhension des autres. »

nouveaux visages

Le repas terminé, Odette fait reluire à l’éponge la table du séjour, comme elle astiquait – à l’époque – les paillasses de laboratoire.

L’atelier couture va se mettre en route. De nouveaux visages vont arriver. Arlette ne coud pas, mais elle va rester, pour continuer à être entourée. Au printemps, certains se rendront au jardin. Et il en ira ainsi de tous les mardis de Givors.

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Crédit photos : © Élodie Perriot / Secours Catholique-Caritas France
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