Asie : « Nous allons vers une crise humanitaire de grande ampleur »

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Alors que l’épidémie du Covid-19 frappe toute la planète, Jacqueline de Bourgoing, responsable du pôle Asie au Secours Catholique, alerte sur les conséquences économiques et sociales de la crise sur le continent asiatique.
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JACQUELINE DE BOURGOINGEntretien avec Jacqueline de Bourgoing, responsable du pôle Asie au Secours Catholique.

 

Secours Catholique : Assiste-t-on à une crise sanitaire importante en Asie, notamment à cause de la densité de la population ?

Jacqueline de Bourgoing : On ne sait pas encore quelle ampleur la crise sanitaire va prendre. Dans des pays comme le Vietnam, l’impact est minime car très tôt les frontières ont été fermées et les vols interdits. C’est plus inquiétant en Inde ou au Bangladesh où l’épidémie se déploie en raison des systèmes de santé défaillants et de la densité des populations qui y vivent, car celle-ci accroît de fait le risque de la flambée du coronavirus.

Pour l’instant nous n’assistons pas à une épidémie comme en Europe ou au Brésil, mais il faut aussi faire attention aux chiffres probablement sous-estimés car les personnes pauvres malades ne vont pas à l’hôpital. Cela dit, on le saurait s’il y avait des forts taux de mortalité. Donc, je dirais que pour l’instant la crise sanitaire est limitée même si, récemment, elle semble s’aggraver en Inde.


S.C : L’économie que ce soit celle du textile au Bangladesh et au Cambodge ou du tourisme en Thaïlande a beaucoup souffert. Les conséquences économiques sont-elles dramatiques pour les populations ?

J.B : Le confinement a eu un effet négatif pour, d’une part, les migrants qui ont dû être rapatriés des pays du Golfe vers l’Inde le Bangladesh ou l’Indonésie, et, d’autre part, pour les travailleurs de l’économie informelle. Ceux-ci représentent plus de la moitié des travailleurs de l’économie de ces pays. Beaucoup ont désormais des difficultés pour survivre. Les travailleurs journaliers se sont retrouvés sans travail du jour au lendemain, les travailleurs domestiques aussi se voient privés de salaire.

S’ajoute le chômage de dizaines de milliers d’ouvriers du textile au Bangladesh ou du tourisme au Cambodge ou en Thaïlande. Avec l’arrêt des exportations vers les pays occidentaux, tout s’est stoppé ! Les paysans souffrent aussi dans les campagnes car les circuits de commercialisation de leurs produits dysfonctionnent et ils n’ont plus de revenus tirés de la vente de leurs produits. Les conséquences sont dramatiques : les populations ne peuvent plus nourrir leurs familles, on risque de voir revenir des problèmes de sous-alimentation. Des études ont montré qu’en Inde, la disponibilité alimentaire,  c'est-à-dire d'aliments en quantité suffisante et d'une qualité appropriée, a diminué de 70% pour les travailleurs de l’économie informelle. On va vers une crise humanitaire de grande ampleur.


S.C : Les États asiatiques en ont-ils profité pour renforcer des dérives autoritaires ?

J.B : Oui le phénomène est généralisé dans tous les États. En Inde et au Bangladesh, le gouvernement a utilisé l’armée et l’état d’urgence pour limiter les libertés publiques. Au Cambodge, la presse est censurée et les militants des droits de l’homme sont menacés. La junte birmane a renforcé son autorité. En Inde encore le droit du travail a reculé avec l’extension de la journée de travail, portée à 12 heures par jour, 6 jours sur 7 en Uttar Pradesh. Le coronavirus a fourni des opportunités aux régimes pour renforcer leurs dérives autoritaires et c’est inquiétant.

Crédits
Nom(s)
CÉCILE LECLERC-LAURENT.
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Crédits photos : ©Élodie Perriot / Secours Catholique
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