Baisse de l'aide internationale : « C’est aussi la démocratie qu’on affaiblit »

Entretien avec Benoît-Xavier Loridon, directeur de l'action et du plaidoyer international au Secours Catholique.
Secours Catholique : En février, Caritas internationalis et Coordination Sud, deux réseaux dont le Secours Catholique est membre, alertaient sur la baisse drastique de l’aide internationale. En quoi cela est-il inquiétant ?
Benoît-Xavier Loridon : Le gel des financements de l’aide américaine qui représente près de 40% de l’aide internationale, se cumule avec la baisse des budgets dédiés à l’aide publique au développement (APD) des grands États donateurs européens. Les Britanniques, la France, l’Allemagne et les pays nordiques ont ainsi réduit leurs budgets de 30 à 40%, afin de renforcer celui de la défense. Or la majeure partie des associations et des organisations internationales dépendent de ces financements.
S. C. : En France, comment se traduit concrètement cette baisse budgétaire ?
B.-X. L. : Il existe en France deux guichets principaux de l’aide internationale. Le centre de crise et de soutien (CDCS), qui dépend directement du cabinet du ministre des Affaires Étrangères et qui s’occupe de l’aide humanitaire, et l’Agence française de développement (AFD) qui gère à la fois les prêts envers les États, mais aussi un budget d’environ 250 millions d'euros pour les organisations de la société civile française qui financent des actions de développement à l’étranger via des partenaires locaux.
Pour 2025, le CDCS passe d’un budget de 280 millions d’euros à 180 millions. Or, c’est le principal guichet des ONG humanitaires, avec le service de la Commission européenne (Echo) et l’agence états-unienne (Usaid). Concernant l’AFD, les chiffres officiels ne sont pas encore sortis mais le pourcentage de réduction de leur budget devrait être entre 30 et 40%. Or, c’est le principal guichet des organisations de développement.
S. C. : Quelles sont les conséquences sur le terrain du gel des financements d’Usaid et des baisses budgétaires de l’ADP des autres États donateurs, dont la France ?
B.-X. L. : Les conséquences sont désastreuses dans beaucoup de pays où les crises sévissent quand l’aide cesse brutalement. Pour donner un exemple, l’association française Première urgence internationale et l’ONG américaine International rescue committee (IRC) géraient ensemble l’hôpital de Kaboul. Suite au désistement d’IRC (lié au gel des financements d’Usaid), Première urgence, n’ayant plus les moyens d’assurer sa mission, a dû également se retirer, laissant plus de 8 000 consultations journalières à la charge des autorités médicales afghanes qui n’ont ni les moyens de gérer un hôpital ni de payer les salaires du personnel. C’est un exemple parmi d'autres qui se comptent par centaines à ce jour.
Quand l'aide internationale cesse brutalement, les conséquences sont désastreuses dans les pays où sévissent des crises.
D’une manière générale, cela met en difficultés de nombreuses ONG à travers le monde qui doivent licencier parfois jusqu’à 50% de leur personnel et se retrouvent avec de grosses difficultés de trésorerie. Avec évidemment un gros impact sur les actions menées sur le terrain ou qui devaient l’être. Plusieurs partenaires du Secours Catholique, comme les caritas du Myanmar ou du Bangladesh, ont dû abandonner des projets et licencier du personnel. En affaiblissant ainsi les acteurs locaux de l’aide d’urgence ou du développement, c’est aussi la démocratie qu’on affaiblit dans des pays où les associations et ONG, parties prenantes de la société civile, ont souvent un rôle de contre-pouvoir.
S. C. : Quelles sont les répercussions sur les projets soutenus par le Secours Catholique ?
B.-X. L. : Au niveau du Secours Catholique, nous n’avons pas de projet financé en direct ou en consortium par Usaid. Le seul impact, et non des moindre, concerne le soutien de l’AFD. D’abord, dans le cadre du programme "Communautés résilientes", avec une baisse de 30% : nous ne recevrons que 8 millions d’euros au lieu des 12 initialement convenus. Ensuite, dans le cadre du programme “Vamos, ensemble pour la paix” (en Colombie) dont la dernière tranche de financement a été à ce jour repoussée à 2026.