Covid-19 : « il faut que les vaccins deviennent des biens publics mondiaux »
Aurélien Babo, chargé de plaidoyer international pour l'accès aux vaccins et aux soins
Secours Catholique : L’arrivée d’Omicron, un nouveau variant, a révélé que tant que les pays du Sud ne sont peu ou pas vaccinés, il est difficile de sortir de la pandémie…
Aurélien Babo : Oui, comme l’a dit lui-même le directeur général de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), « aucun de nous ne sera en sécurité tant que le monde ne l’est pas ». La faible couverture vaccinale est un terreau pour l’émergence de nouveaux variants. L'OMS rappelle que le virus continuera à se transmettre et à muter tant que la population mondiale ne sera pas vaccinée.
Comme le monde est interconnecté et interdépendant, tant que l’immunité collective n’est pas atteinte, le virus continuera de se développer. Alors que nous entrons dans la troisième année de cette pandémie, les dernières analyses de The Economist estiment actuellement le nombre de décès à une vingtaine de millions. Et cette crise est loin d’être surmontée quand on sait que trois milliards de personnes sont toujours en attente de leur première dose.
S.C. : Comment expliquer une telle fracture vaccinale mondiale ? Dix pays concentrent à eux seuls 78 % des doses délivrées…
A.B. : Malheureusement la production mondiale de vaccins est limitée, et leur répartition mal assurée. Seuls quelques laboratoires de production sont en situation de monopole du fait de leurs brevets. C’est le principe du marché qui prédomine : les laboratoires vendent aux pays les plus riches et laissent à l’abandon les pays qui ne peuvent pas payer les doses.
En janvier 2022, 10 % des 1,3 milliards d’Africains avaient reçu deux doses, contre 70 % de la population de l’Union européenne.
Le mécanisme de solidarité internationale COVAX est par ailleurs insuffisant. En janvier 2022, 10 % des 1,3 milliards d’Africains avaient reçu deux doses, contre 70 % de la population de l’Union européenne. Ce déséquilibre est énorme. Par exemple, en République Démocratique du Congo (RDC), 0,2 % de la population est vaccinée, ce qui est dérisoire au vu de la taille du pays.
Si le rythme actuel de vaccination se poursuit, il faudra attendre août 2024 pour que l’Afrique vaccine 70% de sa population ! C’est une catastrophe d’un point de vue de la santé publique car tant que le monde entier n’est pas vacciné, on risque de devoir adapter les vaccins aux nouveaux variants. On ferait mieux de mieux répartir les vaccins dans le monde.
S.C. : Pourquoi faire de ce combat pour l’accès aux vaccins pour tous un outil pour lutter contre la pauvreté ? Les plus pauvres sont-ils les plus touchés par le coronavirus ?
A.B. : Pour le Secours Catholique, l’accès universel aux soins est un impératif moral et la santé est par ailleurs un droit. C’est au nom de la lutte contre les inégalités que nous prônons l'accès universel aux vaccins, alors que le virus touche de façon disproportionnée les plus vulnérables. Aujourd’hui les personnes les plus fragiles n’ont pas accès à la santé alors que les vaccins existent depuis plus d’un an.
C’est un enjeu de justice et de solidarité fort que de rendre accessible les vaccins aux plus vulnérables du monde entier.
Et depuis le début, nos partenaires du monde entier nous le disent : l’impact est aussi économique. La pandémie a provoqué une perte importante d’emplois et de revenus dans des pays qui dépendent beaucoup du système informel, souvent sans filets de protection sociale. Pour des millions d’habitants des pays du Sud, la survie quotidienne passe avant le virus. C’est donc un enjeu de justice et de solidarité fort que de rendre accessible les vaccins aux plus vulnérables du monde entier.
S.C. : Selon vous, il faudrait donc garantir les vaccins pour tous en tant que biens publics ?
A.B. : Le pape l’a dit lui-même : « les vaccins nous donnent l’espoir d’en finir avec la pandémie, mais seulement s’ils sont accessibles à tous ». Il faut pour cela faire entrer les vaccins dans le domaine public et donc lever temporairement les brevets les entourant pour augmenter la production mondiale de doses et leur diffusion. Il faut que les vaccins soient accessibles à tous et non plus privatisés par une poignée de laboratoires.
2021 a été l’année du nationalisme vaccinal, on espère que 2022 sera l’année de la redistribution universelle.
Et ce, d’autant plus que ces vaccins ont bénéficié de milliards de fonds publics pour leur développement ; n’oublions pas que les laboratoires ont bénéficié de larges précommandes des États. Compte-tenu de cet investissement public considérable, on voit bien que les vaccins doivent devenir des biens publics mondiaux, car il sont la clé pour sortir de la pandémie.
2021 a été l’année du nationalisme vaccinal, on espère que 2022 sera l’année de la redistribution universelle. Il y a actuellement des négociations en cours à l’Organisation mondiale du commerce (OMC). L’Union européenne est l'un des principaux acteurs s’opposant à cette action impérative et urgente, défendant le principe de licences commerciales. Il faut maintenant passer des paroles aux actes et faire en sorte que les vaccins deviennent des biens publics mondiaux en levant temporairement les brevets.
S.C. : Lever les brevets suffirait à rendre l’accès aux vaccins universel ?
A.B. : La levée des brevets est le premier pas essentiel, mais l’effet ne sera pas automatique, la « recette » du vaccin ne suffisant pas à elle seule. Il faut aussi transférer les technologies et le savoir-faire et renforcer les capacités locales de production pour que les vaccins soient sûrs, efficaces et abordables.
Ceci permettra aux pays disposant de capacités mobilisables de protéger leurs populations et de participer aux efforts mondiaux. Une enquête de Médecins Sans Frontières (MSF) a montré que 120 sites de production en Afrique, en Asie et en Amérique latine ne sont pas exploités alors qu’ils ont des standards techniques et de qualité pour contribuer à la production des vaccins.
Pour permettre l’accès aux vaccins aux pays à faibles revenus, il faut aussi renforcer la solidarité internationale pour répondre à l’urgence, via des dons de doses notamment. La technicité de la réponse à la Covid ne doit pas faire oublier le fait qu’il faille appliquer le droit à la santé.
S.C. : Comment le Secours Catholique porte-t-il son plaidoyer ?
A.B. : Nous agissons avec la confédération Caritas Internationalis et la société civile française. Il faut interpeller le gouvernement français, qui a actuellement la présidence de l’Union européenne, et qui a fait de la santé l’une de ses priorités.
Un autre levier est le recours aux médias, pour rendre publiques les actions des décideurs et appeler à leur responsabilité. Nous voulons également influencer, avec la société civile mondiale, les négociations de l’OMC et les sommets internationaux à venir.
Nous allons enfin veiller à porter la parole de nos partenaires de terrain afin de faire entendre la voix des plus vulnérables.