« On est en train de manquer le rendez-vous de la rénovation énergétique »
Danyel Dubreuil est le responsable de l’Initiative Renovons ! (Secours Catholique, Fondation Abbé Pierre, SOLIHA - Solidaires pour l’Habitat, CLER-Réseau pour la transition énergétique, Réseau Action Climat, groupe Effy…), à l’origine d’une étude publiée en mai dernier sur les coûts et bénéfices d’un vaste plan de rénovation des passoires énergétiques.
Franck Billeau, directeur de Réseau Eco Habitat, membre du réseau Caritas France, accompagne en région Hauts-de-France les familles vulnérables dans la rénovation de leurs logements dégradés.
Secours Catholique : Quels sont les impacts sociaux et environnementaux des passoires énergétiques ?
Danyel Dubreuil : Les passoires énergétiques sont des logements qui se situent tout en bas de l’échelle de performance énergétique (classification F ou G sur l’échelle DEP). Ils consomment excessivement de l’énergie, ce qui entraîne des factures astronomiques pour les ménages. Nous savons aujourd’hui que ce sont les ménages les plus pauvres qui habitent dans les logements les plus dégradés, avec des conséquences très importantes en terme d’économie, de santé et de vie sociale.
Franck Billeau : La facture moyenne de chauffage d’un ménage français est de 1 700 euros pour un pavillon de 100 m2. Les publics les plus vulnérables que nous accompagnons et qui vivent dans ces passoires énergétiques ont une consommation moyenne de 2 000 à 2 500 euros de facture de chauffage à l’année. Beaucoup finissent pas entrer en privation de chauffage. Ils vont subir des températures hivernales de 10 à 15 degrés dans leur logement. Les conséquences sur la vie sociale sont alors très importantes : on ne reçoit plus personne, les enfants ont froid et sont davantage malades, il y a de l’humidité et des moisissures. Pour d’autres, cela peut aller jusqu’à la perte d’emploi, la rupture familiale… C’est toute une vie sociale qui se dégrade.
Danyel Dubreuil : Sur l’aspect environnemental, il faut noter qu’en France, le secteur du bâtiment représente 25% des émissions de gaz à effet de serre, dont 12,5% rien que pour le le résidentiel. On a un levier d’action fondamental à avoir des logements moins énergivores, moins polluant, avec des factures d’énergie les plus basses possibles.
S.C. : Quels sont les freins à une rénovation soutenue et massive, notamment des passoires énergétiques ?
F.B. : Aujourd’hui, pour faire une rénovation performante d’un logement, il faut compter entre 40 000 et 50 000 euros de travaux. Si l’on vit dans une passoire énergétique, avec ces montants, on n’atteint que le niveau D. Ce qui veut dire que l’on va diviser la facture d’énergie par trois, au lieu de cinq si l’on arrivait au stade d’un logement performant (B ou C). C’est inimaginable pour ces familles d’aller chercher seules de tels financements, d’identifier les acteurs, les programmes, les artisans, pour essayer de soulager au maximum leur reste à charge. Familles, artisans, administrations, personne ne parle le même langage. Pour toute une partie de la population, ces démarches sont inaccessibles. Aujourd’hui, en région Hauts-de-France, ce sont les bénévoles du Secours Catholique qui embarquent les familles les plus précaires dans le parcours de rénovation de leur logement.
D.D. : Effectivement, le principal frein aujourd’hui, c’est le manque d’interlocuteurs pour les ménages. Réseau Eco Habitat, qui accompagne aujourd’hui les familles les plus en difficulté dans les Hauts-de-France, est un dispositif unique en France. Nous avons appelé de nos vœux la création d’un service public de la rénovation énergétique de l’habitat. Il faut un service à 360 °, afin d’accompagner tout type de propriétaire dans la rénovation de son logement. Pour les ménages les plus modestes, nous pensons qu’il faut que l’État prenne en charge la totalité de la rénovation d’un logement. Il faut des investissements massifs des secteurs public et privé.
S.C. : Le plan de relance présenté la semaine dernière par le gouvernement Castex prévoit 20 milliards d’euros pour la transition écologique, dont 5 milliards dédiés à la rénovation énergétique des bâtiments. Selon vous, est-ce suffisant ?
D.D. : On est en train de manquer le rendez-vous de la rénovation énergétique. Ce montant sera principalement fléché vers la rénovation des écoles et des Ehpad. Ce qui est certain, c’est qu’il ne restera pas grand chose pour le logement privé et les passoires énergétiques. Dans les mois qui viennent, les effets de la crise sanitaire seront visibles. Les gens vont de moins en moins se chauffer. On va se retrouver avec des phénomènes de surendettement criants pour tous les ménages qui sont aujourd’hui au bord de la précarité énergétique. Cela représente entre 8 à 12 millions de personnes. L’État ne fait rien, alors qu’il s’agit d’1/5 de la population.
F.B. : On l’a vu avec la période de confinement, les ménages que l’on accompagne ont grignoté une partie des financements qu’ils avaient pour débuter les travaux pour des raisons alimentaires, de factures d’énergie. Certains ont déjà perdu leur emploi.
On ne peut pas être contre la rénovation des écoles et des Ehpad. Par contre, si c’est pour dilapider l’argent sur des petits bouts de travaux alors que l’on sait que ça ne sert à rien, ce serait vraiment dommage.
S.C. : Vous avez mené cette année une étude de grande envergure, l'Initiative Rénovons 2020, qui chiffre les coûts et les bénéfices d’un plan de rénovation de l’ensemble des passoires énergétiques à l’horizon 2040. Il semble que l’on a tout intérêt à flécher les investissements de rénovation vers ces logements dégradés.
D.D. ; Pour en finir avec ce problème des passoires énergétiques, nous avons chiffré qu’il faudrait un investissement public initial de 80 milliards d’euros sur 20 ans. Cela représente le double de ce qui est prévu aujourd’hui par le gouvernement. L’étude montre que cet investissement public serait remboursé en 30 ans : que ce soit par l’activité économique générée par la rénovation avec la création d’emplois, l’économie sur la facture d’importation énergétique, l’économie liée aux soins de santé.
Les ménages concernés économiseront en moyenne 1 700 euros par an sur leurs factures d’énergie. Cela permettrait une baisse de 20% des émissions de gaz à effet de serre du secteur résidentiel et tertiaire. En réglant ce problème, on créera un appel d’air avec des artisans formés, des habitudes commerciales, des reflexes d’investissement pris par les ménages.
Cette catastrophe qu’est le Covid devrait être une opportunité d’investissement ciblé sur les passoires énergétiques habitées par les ménages les plus modestes. Il est temps de lancer la machine, car c’est 100 % du parc qu’il faut rénover d’ici 2050. C’est une question de responsabilité des pouvoirs publics en général. Il faut agir face à la pression et aux appétits des acteurs du logement neuf. Il faut leur dire : notre priorité c’est la rénovation et nous avons les moyens de vous aider à intervenir. Ce sujet est de plus en plus plébiscité démocratiquement. Preuve en est l’importance prise par la rénovation énergétique dans la convention citoyenne pour le climat.
S.C. : Vous pointez également du doigt l’impact d’un vaste plan de rénovation sur l’emploi.
D.D : Pour rénover la totalité des passoires énergétiques en dix ans, ce sont 100 000 emplois à plein temps qui pourraient être créés dans le secteur de la rénovation énergétique.
F.B. : Et rien que sur la question du repérage, de l’accompagnement des familles, de la sensibilisation aux éco-gestes, sur la finition des travaux, ce sont autant d’emplois supplémentaires qui pourraient voir le jour. Se posera aussi la question du recyclage de certains matériaux, des matériaux biosourcés. Il y a des tas de choses à inventer si l’on choisit de mettre le fer de lance sur la rénovation. Notamment dans les territoires zéro chômeurs de longue durée, où de nombreux chantiers d’insertion permettent la formation et le retour vers l’emploi de personnes en difficultés. Rappelons aussi que parmi les ménages que nous accompagnons dans la rénovation de leur logement, la moitié des personnes au chômage ont retrouvé un emploi à l’issue des travaux.