Exilés : cessons ce déni de réalité et créons un véritable socle humanitaire

Chapô
Ce mercredi 3 mars, Véronique Fayet, présidente du Secours Catholique, et Monseigneur Leborgne, évêque d’Arras, se sont rendus à Calais, à la rencontre des exilés qui survivent dans des conditions extrêmement difficiles. Tous deux appellent les pouvoirs publics à prendre des mesures d'urgence pour répondre aux besoins fondamentaux des personnes migrantes.
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Exilés : cessons ce déni de réalité et créons un véritable socle humanitaire

Par Monseigneur Leborgne, évêque d’Arras

et Véronique Fayet, présidente du Secours Catholique Caritas France

 

On a fermé des campements, mais on a ouvert de l’innommable.


Cette phrase d’un élu lors de la récente mission de la Commission Nationale Consultative des Droits de l’Homme résume bien ce que nous ressentons.

Nous avons rencontré des personnes exilées et des acteurs associatifs présents sur le littoral de Calais ou de Grande-Synthe, et nous avons la conviction qu’il est plus que temps pour les pouvoirs publics de revoir en profondeur la façon dont sont traitées ces personnes sur le littoral franco-britannique.

Que nous disent les personnes exilées de leur quotidien ?

Faire la file dehors dans le froid ou la pluie pour manger,
Marcher trois kms pour aller aux toilettes ou pour se rendre au point de passage de la navette pour prendre une douche,
Cacher ses effets personnels dans un bosquet.
Garder, nuit et jour, sur soi ses papiers,
Poser sa tente dans la boue, s’y poser quelques heures pour dormir,
Protéger cette même tente et son sac de couchage contre une confiscation par les forces de l’ordre,
Courir, se cacher, dormir quelques heures en sachant que le lendemain comme l’avant-veille et comme toutes les 48h les jours précédents, la police viendra vous déloger…

Est-il concevable de faire vivre cela à des enfants, des femmes et des hommes, en France, en 2021 ?

Déjà, des alertes fortes ont été exprimées à plusieurs reprises par des institutions comme la Défenseure des Droits, la Commission nationale Consultative des Droits de l’Homme, ou des experts des Nations-Unies. Elles évoquent des atteintes graves aux droits fondamentaux, des pratiques de harcèlement, et bien d’autres qualifications encore.

A notre tour, au regard des principes républicains comme au regard de notre foi, de l’enseignement social de l’Eglise et des appels répétés du Pape François, nous prenons la parole fermement aujourd’hui pour dire que nous ne pouvons plus laisser ces personnes subir cela sans réagir  !

Nous n’ignorons pas la difficulté, pour les pouvoirs publics, à trouver le bon équilibre entre une politique de régulation des mouvements migratoires et la nécessaire protection des personnes, de toute personne et de ses besoins fondamentaux.

Mais on ne doit plus se voiler la face : cet équilibre entre mesures de contrôle et mesures de protection est manifestement rompu, au détriment de la dignité de la personne humaine.

Depuis le démantèlement de la “jungle” fin 2016, les autorités publiques ne cessent de renforcer chaque jour un peu plus une politique “zéro point de fixation” sur le littoral, qui se traduit par une succession de mesures destinées à rendre la vie impossible aux personnes exilées, en espérant qu’elles renonceront à venir sur ce littoral.

Force est de constater que cet objectif est un déni de la réalité !

Malgré tout ce qui a été mis en oeuvre, la réalité, c’est la permanence d’une présence continue de centaines de personnes à Calais et Grande Synthe, mais aussi à Ouistreham, Cherbourg, et dans d’autres bourgades le long des autoroutes ; La réalité, c’est la détermination de ces personnes à tenter de franchir la Manche pour se rendre en Grande Bretagne, quelles que soient les conditions d’accueil ou de non-accueil sur le littoral.
La réalité, c’est que les passages continuent - et qu’ils continueront tant que la Grande Bretagne sera à 30 Kms des côtes. Rendre la frontière “étanche” est un objectif tout simplement irréaliste.

Cette politique de dissuasion ressemble à un puits sans fond, qui construit une forme de maltraitance n’apportant que des souffrances aux personnes concernées tout en créant un désordre insécurisant pour toute la population.

Ce que vous faites au plus petit d’entre les miens, c’est à moi que vous le faites
Matthieu 25,40


Notre conviction est forte : rien ne justifie que ces personnes soient ainsi maltraitées, exclues de l’accès à des besoins essentiels, humiliées dans le plus profond de leur être.

En 2018, lors de sa venue à Calais, le Président de la République avait semblé entendre cela et avait proposé que soit défini un « socle humanitaire » pour garantir l’accès à ces besoins essentiels. Des efforts et quelques dispositifs ont suivi.

Mais manifestement, aujourd’hui, le compte n’y est pas !

C’est pourquoi nous appelons aujourd’hui les pouvoirs publics, quelles que soient leurs responsabilités sur ces territoires, à un réexamen de l’ensemble des dispositifs et des mesures concernant les personnes migrantes sur le littoral. Le récent avis de la CNCDH contient nombre d’analyses et de recommandations concrètes. Nous les partageons comme nous faisons nôtre l’esprit général de cet avis.


Mais sans attendre, nous appelons les pouvoirs publics à répondre à des besoins urgents :

  • décréter un moratoire immédiat sur les expulsions de lieux de vie (campements, bidonvilles, squats),
  • ouvrir des lieux couverts d’accès aux services de base (alimentation , hygiène, recharge électrique, information sur les droits). Ces lieux, adaptés au nombre de personnes présentes, peuvent être répartis sur plusieurs endroits du littoral, 
  • ouvrir immédiatement des dispositifs de mise à l’abri.

La situation durable de présence de personnes exilées sur le littoral appelle une politique et des dispositifs d’ensemble qu’il convient de construire dans la durée. A cette fin, des échanges et la participation de tous les acteurs sont indispensables.

C’est pourquoi, au-delà des mesures d’urgence attendues, nous attendons des pouvoirs publics l’ouverture d’un large espace de dialogue qui, en écoutant les personnes exilées et en s’appuyant sur les initiatives de solidarité, pourra trouver avec tous les acteurs concernés les voies de solutions acceptables par tous.

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« JE DOIS LE DIRE : ON LES TRAITE PIRE QUE DES CHIENS »

 

Monseigneur Olivier leborgne, évêque d'arras

Trois questions à Monseigneur Olivier leborgne, évêque d'arras

 

Secours Catholique : Que vous inspire la situation des exilés à Calais et sur le littoral ? 

Monseigneur Olivier Leborgne : D'abord, les exilés ne sont jamais là par plaisir ou par malice, contrairement aux projections que l'on peut avoir. Quand on discute avec eux, on comprend qu'ils ont des motivations au départ qui sont profondes. On peut fustiger l'incurie des politiques internationales qui ne jouent pas le jeu de la solidarité avec les pays en voie de développement, mais on a devant soi des hommes, des femmes, des enfants dont la dignité est sacrée. Ce ne sont pas des objets. Or, on les traite pire que des chiens. Je dois le dire. 

Par ailleurs, on ne peut pas aider les personnes migrantes à trouver des solutions si elles sont maintenues dans une situation de survie. Il faut au contraire leur permettre de prendre du recul pour examiner leur projet, leur itinéraire. Ce n'est pas en les harcelant qu'on peut les aider. 

Enfin, on ne peut pas demander aux Calaisiens - qui, par ailleurs, font preuve de solidarité - de porter cela. Il faut une volonté politique à l'échelle internationale. Et en attendant, nous devons appeler à ce que la dignité humaine de toute personne soit respectée. 


S.C. : Pourquoi l'Église s'engage-t-elle sur ce sujet, aux côtés du Secours Catholique ?

O.L. : La plénitude du culte catholique, c'est la charité. Il ne faut pas se tromper. Si je ne reconnais pas le Christ - venu pour sauver l'Homme - dans le plus démuni de mes frères, alors je ne suis pas cohérent dans ma foi. Et le Secours Catholique est service de l'Église catholique. Il faut être clair là-dessus. 

Aussi, lors de mon bref séjour dans le Pas-de-Calais, j'ai été impressionné par le travail réalisé par les équipes de bénévoles. Je n'ai pas hésité longtemps à rejoindre cet appel, quand on m'a sollicité.

S.C. : Par cet appel commun, quel message souhaitez-vous adresser aux pouvoirs publics ?

O.L. : Celui selon lequel le pays des Lumières et des droits de l'Homme ne peut pas bafouer la dignité humaine. La dignité se trouve à la source de l'Évangile mais elle est aussi un bien commun de notre communauté nationale.

Nous devons donc nous donner les moyens d'accompagner les personnes exilées dans la dignité. À cet égard, la politique du harcèlement continu et du "zéro point de fixation" n'est pas une solution, la réalité le démontre.

Lire notre enquête : Entre démantèlements et expulsions, des exilés en quête de répit

Crédits
Nom(s)
© Xavier Schwebel / Secours Catholique
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