Hélène Ceccato : « L’apprentissage du français ne peut se faire sans la rencontre humaine »
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Hélène Ceccato, Chargée de mission nationale Apprentissage du Français au Secours Catholique.
Depuis le 1er septembre, une grande partie de l’offre de cours de français prescrits par l’Office français de l’immigration et de l’intégration (Ofii) est dématérialisée. Concrètement, que cela signifie-t-il ?
Hélène Ceccato : Les personnes qui viennent d’obtenir un titre de séjour d’un an et désirent s’établir durablement sur le territoire français ne peuvent plus bénéficier d’une formation linguistique dispensée en classe par un enseignant comme c’était le cas jusqu’à présent. Ces personnes, qui sont débutantes en français, doivent désormais passer par une nouvelle plateforme numérique.
Face à la dégradation du service public d’apprentissage du français, nous engageons plusieurs moyens d’actions. Le 29 août dernier, le Secours Catholique, aux côtés de la Cimade et de la Fédération des Centres sociaux et Socioculturels, a saisi le tribunal administratif de Paris pour contester le choix de l’Ofii de dématérialiser la quasi-totalité de l’offre de formation linguistique proposée aux personnes étrangères en situation régulière. Nous demandons de suspendre en urgence l’exécution des marchés publics passés par l’Ofii.
Une intelligence artificielle ne peut pas remplacer un formateur professionnel.
Par ailleurs, le collectif « Le français pour tous et toutes », auquel participe le Secours Catholique, lance une mobilisation le 8 septembre, qui est la journée internationale de l’alphabétisation. Dans une trentaine de villes, des équipes locales du Secours Catholique coorganiseront des rencontres avec des élus locaux, des débats, des manifestations.
Pourquoi ce virage numérique pose un problème ? Que redoutez-vous ?
H.C. : Que les personnes se retrouvent totalement perdues face à leur écran. On parle de personnes qui ne savent ni lire ni écrire en français. Parmi elles, certaines ne sont pas à l’aise avec les outils numériques.
Une formation linguistique suppose un programme qui s’adapte au rythme d’apprentissage des personnes avec un accompagnement par un professionnel qui explique, corrige et propose des exercices adaptés. Sur la plateforme, les contenus sont standardisés et les exercices sont corrigés par une intelligence artificielle sans explication.
L’espace de la classe est aussi l’occasion de créer des liens.
Par ailleurs, les solutions d’application en autonomie font beaucoup travailler les compétences de compréhension ou d’expression écrite. En revanche, une intelligence artificielle ne peut pas remplacer un formateur professionnel pour apprendre à participer à une conversation, à suivre un dialogue…
Le contact humain est donc précieux…
H.C. : Tout à fait ! L’apprentissage du français ne peut se faire sans la rencontre humaine. L’espace de la classe est aussi l’occasion de créer des liens sociaux avec les formateurs ou avec les autres stagiaires. Des visites culturelles et des sorties dans les administrations étaient jusque-là organisées dans le cadre de la formation linguistique prescrite par l’Ofii. Ce ne sera plus le cas. Cela prive les personnes étrangères d’occasions de pratiquer la langue française, de rencontrer des personnes, de nouer des relations sociales. Et risque ainsi de générer davantage d’exclusion.
La dématérialisation de l’offre d’apprentissage du français est même antithétique à la politique d’immigration promue par l’État qui contraint les étrangers à prouver leur intégration notamment par leur capacité à s’être créé un réseau social. Ce que propose les pouvoirs publics aujourd’hui est de s’intégrer avec un robot.
Avec cette nouvelle modalité d’apprentissage, nous redoutons aussi que les personnes étrangères ne progressent pas et, en conséquence, n’arrivent pas à se conformer aux nouvelles exigences linguistiques, requises pour obtenir un titre de séjour pluriannuel et la nationalité française, qui vont entrer en vigueur à partir du 1er janvier 2026. Des étrangers risquent de perdre leur titre de séjour et de se retrouver dans une situation de grande précarité. C’est pourquoi nous demandons également à renoncer à conditionner l’obtention d’un titre de séjour à la maîtrise d’un certain niveau de français.
Aller plus loin : Rencontre avec un groupe apprenant le français à Paris