« L’activité hors emploi doit être reconnue »

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Mercredi 13 septembre, le Secours Catholique et l'association AequitaZ publient "Un boulot de dingue !". Dans ce rapport, fruit d'un travail d'enquête et de réflexion mené depuis plusieurs années avec des personnes en précarité, ils démontent l'idée selon laquelle les personnes exclues de l'emploi seraient inactives. Au contraire, observent les deux associations, celles-ci sont souvent très engagées auprès de leurs proches, dans leur quartier, dans leur ville. Un travail gratuit qui n'est aujourd'hui pas reconnu par la société, car réalisé "hors emploi".
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Sophie Rigard

Sophie Rigard, Chargée de projet Accès Digne aux Revenus AU Secours Catholique.

 

 


Sur la base de quels constats est née l’idée de ce rapport ?
Sophie Rigard : Depuis plusieurs années le Secours Catholique et l’association AequitaZ ont la volonté d’explorer, avec les citoyens, le système de protection sociale, d’en comprendre les mécanismes et les fondements. Car ce système, aussi précieux que complexe, est attaqué un peu de toute part. Il est donc nécessaire de mieux le comprendre pour pouvoir mieux le défendre, en impliquant directement les personnes qui en ont le plus besoin. Mieux le comprendre peut aussi permettre d’imaginer comment faire évoluer son périmètre vers plus de droits. 

En interrogeant notre modèle de protection sociale, il nous est apparu de manière évidente à quel point le travail effectué dans le cadre d’un emploi en est le pilier central. Être en emploi donne accès à la protection sociale (on cotise), à un statut, à une reconnaissance sociale et à une rémunération. 

Or beaucoup des femmes et d’hommes que nous rencontrons et accompagnons sont aujourd’hui privé(e)s d’emploi du fait d’un manque d’activité économique sur leur territoire, de discriminations à l’embauche qu’elles et ils subissent, d’offres d’emplois inadaptées à leur état de santé physique et/ou psychologique ou à leurs contraintes de vie. On demande aux personnes de s’adapter à l’emploi mais l’emploi, lui, ne s’adapte pas aux personnes.

mettre au jour cette injustice.


Pour autant, ces personnes sont loin d’être inactives. Elles réalisent des choses qui comptent pour elles et pour les autres. Dans l’invisibilité totale, elles contribuent à la société. Or, cet investissement gratuit n’est pas reconnu et ces personnes vivent souvent dans une insécurité, à la fois matérielle et sociale, très forte. Pourtant, si elles réalisaient les mêmes choses dans le cadre d’un emploi, elles auraient une protection sociale, un revenu et une reconnaissance. Avec ce rapport, nous avions envie de creuser cette question et de mettre au jour cette injustice.
 

Quelles activités réalisent ces personnes ? 
S. R. : Nous parlons de personnes qui, par exemple, cuisinent pour leur voisine en situation de handicap, aident un proche à remplir des papiers administratifs, produisent des légumes dans un jardin partagé ou transportent un proche pour l’emmener à un rendez-vous médical. Des actions d’entraide, de solidarité à l’échelle d’une famille, d’un immeuble, d’un quartier, d’une ville. On peut aussi inclure le fait d’élever ses enfants. Ce sont des activités invisibles car gratuites, qui génèrent d’ailleurs souvent des frais et qui sont en grande partie réalisées par des femmes.


Pourquoi est-ce important de publier ce rapport maintenant ? 
S. R. : Parce que le contexte politique et sociétal est alarmant. Le Projet de loi pour le plein emploi, qui doit être examiné ce mois de septembre à l’Assemblée nationale, pousse à l’extrême la logique d’activation des personnes présumées inactives. Les auteurs du projet de loi souhaitent contraindre les allocataires du RSA à réaliser des heures d’activité, au risque de voir leur allocation supprimée ou réduite.

Ces mesures sont vécues par les personnes comme humiliantes, infantilisantes. La stigmatisation passe encore une fois par le fait de faire reposer la responsabilité du chômage sur les personnes elles-mêmes. Si elles sont appliquées, ces mesures vont accroître l’insécurité des personnes dans leurs conditions d’existence, aggraver leur état de pauvreté et accentuer leur souffrance psychologique. Les allocataires du RSA ressentent déjà de la honte et du stress. Ils ont l’impression de devoir se justifier en permanence et de devoir mendier pour des aides auxquelles ils ont pourtant droit! Ils vivent par ailleurs dans la peur du lendemain car le montant du RSA ne permet pas de vivre dignement. 

Il nous paraît donc important de contribuer à faire entendre la voix de ceux que l’on n’entend jamais car, parfois, ils ne se sentent pas légitimes pour parler, ils n’osent pas prendre la parole. Ils sont écrasés par la honte et par le regard que la société porte sur eux. Ce rapport permet de les entendre et les encourage à relever la tête dans ce contexte politique où ils sont stigmatisés. 


Quels sont les objectifs de ce rapport ?
S. R. : À très court terme, l’objectif de ce rapport est de convaincre les décideurs politiques, tant au niveau national que local, de ne pas s’engager dans la logique de conditionnement du RSA contre des heures d’activités.

Plus largement, nous poursuivons notre plaidoyer pour  un revenu minimum garanti, c’est-à-dire un revenu socle inconditionnel et insaisissable. Nous avions déjà, avec AequitaZ, documenté le caractère inhumain et inefficace des politiques de sanctions à l’encontre des allocataires du RSA dans le rapport “Sans Contreparties” publié en 2021.

Cette idée n’est pas utopique, elle s’appuie sur des cas existants.


Enfin, nous appelons à poursuivre et élargir cette réflexion sur la reconnaissance des activités réalisées hors emploi, tant symboliquement, à travers des moments de célébration de l’engagement, qu’en termes de création de nouveaux droits, en permettant par exemple d’acquérir des « trimestres retraite ».

Cette idée n’est pas utopique, elle s’appuie sur des cas existants, comme celui des pompiers volontaires, des élus locaux (à qui les frais de garde d’enfants sont remboursés) ou des aidants familiaux qui, seulement s’ils sont par ailleurs en emploi, ont droit à des congés spécifiques. Dans ces cas-là, l’engagement pour la société ou le caractère essentiel de leurs activités sont reconnus et donnent accès à des droits. C’est donc possible ! De même, lorsque vous êtes bénévole, vous pouvez bénéficier d’une déduction fiscale pour des frais engagés dans ce cadre. À ce titre, des personnes en situation de précarité, qui ne sont pas imposables, pourraient bénéficier d’un crédit d’impôt lorsqu’elles sont engagées bénévolement. Là encore, on ne part pas de rien car les syndicats ont obtenu que les personnes syndiquées précaires, qui ne payent pas d’impôt, aient droit à un crédit d’impôt. Il n’y a plus qu’à ! 

Crédits
Nom(s)
Propos recueillis par Benjamin Sèze
Fonction(s)
Journaliste
Nom(s)
Élodie Perriot
Fonction(s)
Photographe
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