Le manifeste de Véronique Fayet pour une « révolution fraternelle »

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Célèbres pour avoir été à l'origine du phénomène mondial Indignez vous ! de Stéphane Hessel, les éditions Indigène publient, jeudi 7 mars, Révolution fraternelle, le cri des pauvres, sous la plume de Véronique Fayet. À travers ce manifeste de 36 pages, conçu pour être « un livre d'espérance », la présidente du Secours Catholique invite à donner la parole aux plus précaires, afin d'y puiser les solutions pour construire une société plus juste.
Paragraphes de contenu
Texte

Véronique FayetEntretien avec Véronique Fayet, présidente du Secours Catholique
et auteure du livre Révolution fraternelle, le cri des pauvres.

 

 

 

Secours Catholique : Pourquoi ce livre, aujourd'hui ?

Véronique Fayet : Les éditions Indigène voulaient faire, depuis un moment déjà, un livre sur la pauvreté. Et ils ont pensé à moi, notamment parce qu'ils avaient repéré que le Secours Catholique avait une parole forte dans l'espace public.

Il se trouve que ce livre arrive au bon moment parce qu'on y parle du "cri des pauvres", et au delà, du "cri de la planète" et du "cri de la démocratie". Ce qui lie cet ouvrage à l'actualité du mouvement des "gilets jaunes" et du lancement du grand débat national, c'est l'idée qu'il faut donner la parole aux personnes qui ont des vies très difficiles, les plus fragiles, et qu'il faut reconstruire la société à partir d'eux. Ce que l'on n'a jamais fait finalement, on a toujours pensé et décidé à leur place.

Aujourd'hui, il y a peut-être une occasion unique d'envisager de reconstruire une société qui va "dans le bon sens" - plus juste, avec moins d'inégalités, moins d'exclusion - à partir de leur cri de souffrance et de colère et de leurs propositions.
 

Lire aussi notre article : Grand débat avec les plus précaires : « Tout ce qui se dit là, il faut que ça remonte ! »
 

S.C : Vous abordez les questions de l'inclusion bancaire, de l'accès à l'emploi, de la migration... Qu'est-ce qui a guidé le choix de ces thèmes ?

Véronique Fayet : L'enjeu était de prendre des exemples significatifs dans la vie des gens et de donner une espérance. Car ce livre est un livre d'espérance. Il montre que, de fait, la révolution fraternelle est déjà là :  beaucoup de choses se font, et se font bien.

Je cite, dans ses pages, l'exemple des Territoires zéro chômeur de longue durée (TZCLD) qui sont une belle expérimentation, porteuse de beaucoup de promesses et qu'il faut poursuivre et développer.

 

Lire aussi notre reportage dans la Nièvre : Territoires zéro chômeur : « Je peux me projeter à nouveau »

 

S.C : À qui est destiné ce livre ? Et dans quel but ?

V.F : Ce que je trouvais intéressant dans ce projet, c'était de concevoir un petit document simple à lire, accessible à tous. Il s'adresse à des personnes qui sont loin de la question de la pauvreté et encore plus loin du Secours Catholique.

L'idée est de permettre aux lecteurs de comprendre ce qu'est la pauvreté, qu'elle ne se limite pas aux personnes qui vivent en dessous du "seuil de pauvreté", mais qu'elle touche aussi des personnes qui se sentent pauvres, notamment parce qu'elles ont du mal à joindre les deux bouts. Ce sont d'ailleurs ces personnes que l'on retrouve en grande partie dans le mouvement des "gilets jaunes".

On voulait aussi expliquer, par des exemples concrets et non pas de grandes théories, comment on peut répondre à ce problème de la pauvreté, que les solutions s'ancrent dans les territoires, à l'échelle locale, et dans l'expérience et le savoir-faire des personnes fragiles.

 

Révolution fraternelleRévolution fraternelle, le cri des pauvres
(éditions Indigène, 36 p., 4€)
est disponible en librairie
à partir de jeudi 7 mars.
Les droits d'auteur seront reversés
au Secours Catholique.

Texte

« Reconstruire notre société à partir des plus pauvres »


« Se reconstruire, reconstruire notre société – qui est au bord de l’explosion – à partir des plus pauvres, voilà notre ambition : redonner du pouvoir d’agir aux personnes qui ont   l’expérience de la pauvreté ou de l’exclusion afin de repenser et de bâtir avec elles un monde juste et fraternel (...) Par expérience, nous savons que croiser leurs savoirs de vie avec les savoirs académiques des experts et les savoirs de nos salariés et bénévoles est d’une grande fécondité.

Les personnes qui subissent quotidiennement la pauvreté sont en effet souvent plus audacieuses que nous. Elles savent ce qui doit changer et vite. Elles nous bousculent et nous apprennent à rêver, mais ensemble nous « rêvons logique », c’est-à-dire avec rigueur et méthode pour transformer concrètement nos vies. Car paradoxalement, la parole d’espérance est souvent chez les plus menacés.

Paradoxalement, la parole d’espérance est souvent chez les plus menacés.


Quand on rencontre une personne pauvre, on n’est plus dans la statistique, mais bien dans un « cœur à cœur ». Toucher la chair du pauvre, c’est très physique, très charnel : on rencontre une personne qui nous ressemble, parce que c’est une femme comme moi, qu’elle a des enfants comme moi et que donc elle a des soucis, comme moi, de mère de famille, d’épouse, de femme…

Cette rencontre, si on la vit en vérité, change tout, car alors il se produit une bascule des deux côtés. Et nous nous disons : et si c’était un nouveau départ, une façon nouvelle de vivre ensemble que de se reconstruire à partir des plus pauvres ? Si leur cri nous menait sur la voie d’une révolution fraternelle ? »

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« Lutter contre les préjugés »

« Mettre les personnes pauvres au cœur de nos instances ne va pas de soi. Que de résistances ! Que de préjugés ! « Quand on entre dans une administration ou une association, les préjugés sont énormes. On nous colle une étiquette “cassoss” ou “RSA”. Le manque de confiance envers nous, c’est dur », dit Séverine.

Il n’y a pas si longtemps, on plaignait les pauvres. Aujourd’hui, on les stigmatise : « Les pauvres sont coupables. Ils ne veulent pas s’intégrer à la société. La pauvreté est une maladie héréditaire. Les gens qui vivent dans la rue l’ont choisi. Faire la manche, ça rapporte. Les pauvres font des gosses pour toucher des aides. On peut gagner plus avec le RSA (revenu de solidarité active) qu’avec le SMIC. Les pauvres ont des écrans plats et des téléphones portables… »

C’est un discours largement répandu : il met uniquement en avant la responsabilité des individus, rarement celles de la société. « Quand on dit aux gens que c’est une question de volonté, de courage, on leur fait comprendre que s’ils en sont là, c’est leur faute. Ça alimente le fantasme du mérite… C’est commode, au fond. Ça déculpabilise ceux qui s’en sortent le mieux. On justifie le fait qu’il y ait des inégalités par le recours à l’explication du mérite. »

On justifie le fait qu’il y ait des inégalités par le recours à l’explication du mérite.


Des milliers d’emplois restent vacants, entend-on. Vrai ! Les pauvres ne veulent pas travailler, ils s’en sortent mieux grâce aux aides cumulées de notre système social… Faux ! Selon l’ONPES (Observatoire national de la pauvreté et de l’exclusion sociale), « les personnes en situation de pauvreté espèrent majoritairement trouver un emploi et améliorer leur niveau de vie tout en devenant autonomes ; toutefois, beaucoup d’entre elles rencontrent des obstacles pour y parvenir : formation insuffisante, problèmes de santé ou de mobilité, d’enfants à charge – enfin et surtout, absence d’emplois accessibles localement, sans parler des attitudes discriminatoires de certains employeurs par rapport à l’origine ethnique des candidats. » Si 76 % des Français pensent qu’on peut gagner plus avec le RSA qu’avec le SMIC, là encore, c’est faux dans 95 % des cas.

Ces préjugés se répandent partout, gagnent nos responsables, nos députés, et même nos plus hauts dirigeants politiques. On se souvient de ces mots malheureux : « les sans-dents » d’un de nos présidents, et plus récemment la réponse d’un autre à ce jeune chômeur de 25 ans qui lui confiait ses difficultés : « Je traverse la rue et je vous en trouve [du travail] ! » 64 % des Français pensent comme lui ! Le problème, c’est qu’aucun gouvernement ne veut prendre le risque d’avoir une action forte en direction des pauvres, parce que l’opinion publique ne suit pas. En finir avec ces idées fausses est pour nous un combat permanent. »

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« Réinventer la protection sociale »


« Notre protection sociale doit relever de nouveaux défis : un chômage endémique, un état de santé qui se dégrade au moins pour une partie de la population, un système hospitalier débordé, une concurrence accrue entre populations précaires, des phénomènes d’enclavement et de ségrégation. Depuis deux ans, nous réfléchis- sons avec des personnes de toutes conditions à l’avenir de notre système de protection sociale (...)

Ce qui se joue, c’est bien le pacte commun qui nous unit, l’avenir de la démocratie, car pauvreté et démocratie vont de pair. Le matelas démocratique s’amincit quand le « halo » de la pauvreté grandit, déborde, aspire jusqu’aux classes moyennes et que les vraies, les grandes questions demeurent sans réponses. Alors, oui, la tentation des extrêmes surgit (...)

Nous ne sommes pas appelés à avoir tous la même place, le même rôle dans la société. Mais il est indispensable d’en avoir un.
Alain.
 

Un autre scénario est possible : celui d’une protection sociale solidaire qui se donne les moyens de protéger les personnes confrontées aux « morsures de la vie », capable de soutenir leur pouvoir d’agir dans chaque situation et de réaffirmer le caractère inaliénable et sacré des droits fondamentaux. Ces droits fondamentaux sont menacés.

Écoutons Alain, sorti récemment de la rue, nous dire : « Finalement, c’est ça qui vous fout par terre : quand plus personne n’a besoin de vous. Trouver sa place dans la société, c’est être reconnu comme citoyen à part entière, ayant son mot à dire et un rôle, une contribution réelle. Plus que de place, c’est peut-être de rôle qu’il faudrait parler. Un rôle social, une utilité. Chacun apporte (ou pourrait apporter s’il n’en était empêché) sa pierre à l’édifice. Nous ne sommes pas appelés à avoir tous la même place, le même rôle dans la société. Mais il est indispensable d’en avoir un, sinon on finit par croire qu’on ne vaut rien, qu’on n’a rien à apporter… Et au bout d’un certain temps, on laisse tomber. »

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Nom(s)
Crédits photos: Élodie Perriot / Secours Catholique
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