« Le plaidoyer est un outil pour agir sur les causes structurelles de la pauvreté, et ça marche ! »

Thématique(s)
Chapô
En parallèle de son action sur le terrain auprès des personnes en situation de pauvreté, le Secours Catholique interpelle régulièrement les élus et les institutions pour qu'ils agissent afin d'améliorer durablement la situation des plus précaires. En 2022, plusieurs de ses combats se sont avérés payants.
Paragraphes de contenu
Texte

Joséphine Dubois carré

Tour d'horizon avec Joséphine Dubois, rédactrice Plaidoyer au Secours Catholique, chargée des relations avec les parlementaires.

Texte

Y a-t-il eu des avancées politiques en 2022 auxquelles le Secours catholique a contribué ?

Joséphine Dubois : Oui. La première qui me vient à l’esprit est la reprise de l’idée de territoires Zéro Non-Recours, lancée il y a quelques années par le Secours Catholique, par le ministère des Solidarités. Quatre expériences existent déjà à Bastia, Lyon, Paris et en Ardèche. En 2022, le ministre des Solidarités, Jean-Christophe Combe, a annoncé qu'une dizaine de territoires Zéro Non-Recours (ou "Territoires 100% Accès aux Droits") supplémentaires seraient retenus début 2023 pour une nouvelle expérimentation appuyée par le ministère. 

Je pense également à la concrétisation en 2022 du futur dispositif public « Mon Accompagnateur Rénov’ », qui doit démarrer en ce début d’année. L’idée est de permettre, notamment aux propriétaires en situation de précarité, de bénéficier d’un accompagnement technique, financier et social adapté dans le cadre d’un projet de rénovation énergétique de leur habitat. Ce dispositif s’inspire officiellement du programme expérimental 1DigneToit, issu du partenariat entre le Secours Catholique et l’association Réseau Eco Habitat. Cependant, même si c’est une satisfaction, il faut encore s’assurer que ce nouveau dispositif réponde réellement aux besoins des plus précaires.

Dans le Maine-et-Loire et dans l’Ain, nous avons obtenu des tarifs de transport en commun différenciés pour les plus précaires.


Il faut aussi savoir reconnaître comme des victoires le fait d’éviter certains reculs. Le projet de loi de finances 2023 prévoyait ainsi la suppression de 14 000 places dans le dispositif d'hébergement d'urgence. Si celles-ci ont finalement été maintenues, c’est grâce à la mobilisation des associations, dont le Secours Catholique, et d’élus locaux. Le Secours Catholique a à la fois dialogué avec le ministre du Logement et la DIHAL (Délégation interministérielle à l'hébergement et l'accès au logement), sensibilisé les parlementaires et contribué à médiatiser le sujet.

Enfin, il a fallu aller jusqu’au contentieux pour défendre, avec succès, les droits des personnes migrantes contre certaines préfectures. Dans une décision rendue le 3 juin, le Conseil d’État, saisi par le Secours Catholique et ses partenaires, a ainsi estimé que le recours obligatoire au téléservice pour les étrangers souhaitant obtenir un titre de séjour ne saurait être imposé en l’absence d’une mesure d’accompagnement ou de solution de substitution.

Lire notre rapport  : Les oubliés du droite d'asile. Enquête sur les conditions de vie et l'accès aux droits des exilés fréquentant 5 structures d'accueil à Paris.

Nos actions de plaidoyer local concernent souvent l’accès aux droits. Et elles portent des fruits. Ainsi, dans le Maine-et-Loire et dans l’Ain, la mobilisation des équipes du Secours Catholique, à Angers et Oyonnax, parfois avec d’autres associations, a permis d’obtenir des tarifs de transport en commun différenciés pour les ménages les plus précaires.   


Le Secours Catholique agit aussi au niveau international en soutenant des acteurs locaux à l’étranger, ou en se mobilisant auprès d’institutions internationales. L’association a-t-elle, à ce titre, participé à des avancées politiques notables ? 

J. D. : Oui. Je pense principalement à la création d’un fonds d’indemnisation sur les pertes et dommages, lors de la COP 27 qui s’est tenue en novembre, en Egypte. Ce fonds, qui doit être largement abondé par les pays développés pour indemniser les communautés pauvres victimes du réchauffement climatique, était une demande phare de la société civile, dont le Secours Catholique, depuis 30 ans. Les modalités et le financement de ce fonds doivent encore être déterminés, mais c’est une vraie reconnaissance de ce problème réel et une belle étape de franchie.
 

Pourquoi le Secours Catholique fait-il du plaidoyer auprès des décideurs politiques ?

J. D. : Agir sur les causes structurelles de la pauvreté et des inégalités est une des trois missions du Secours Catholique. Le plaidoyer en est l’outil central. Dans nos accueils, nous avons rencontré près d’un million de personnes en 2021. Nous les accompagnons et leur donnons des coups de pouce pour améliorer ponctuellement ou durablement leur situation, selon leurs besoins et les capacités de l'association.

Il faut traiter le problème de la pauvreté à la racine.


Mais cela est insuffisant devant l’ampleur des situations de précarité. C’est pourquoi, nous considérons qu’il faut traiter le problème à la racine, ce qui passe par des décisions politiques. Nous demandons donc aux collectivités territoriales, à l’État et même à des institutions européennes ou internationales de jouer leur rôle pour combattre les causes de la pauvreté, des inégalités et de l’exclusion.
 

Comment le Secours Catholique agit-il pour influer sur les décisions politiques ? 

J. D. : Au Secours Catholique, nous privilégions le dialogue, car il suffit, parfois, de donner à voir aux décideurs une réalité qui leur était jusque-là peu connue, pour qu’ils prennent conscience de la gravité de la situation et des leviers qu'ils ont pour agir. Ce qui ne nous empêche pas d’aller plus loin si nous ne nous sentons pas entendus. Nous cherchons alors à interpeller les décideurs et les citoyens par divers moyens. Et il faut parfois taper du poing sur la table. Nous utilisons aussi le contentieux lorsque la loi n’est pas respectée.

Nous travaillons à partir d’exemples concrets liés à nos actions de terrain, et à partir de la parole de personnes qui ont l’expérience de la précarité, car elles sont les mieux placées pour expliquer leur situation et proposer des solutions. 

Quand le plaidoyer fonctionne, l’ampleur du changement pour les personnes concernées dépasse de loin notre capacité d’action.


Parfois, ça peut aller très vite, et parfois, ça ne marche pas du premier coup. Il faut s’y mettre à plusieurs, s’organiser, et on peut mettre des années avant de faire bouger les lignes. Nous agissons toujours collectivement avec d’autres organisations : associations, syndicats, administrations, instituts de recherche, etc. Car ensemble, on a plus de poids pour être écoutés. 

Quand le plaidoyer fonctionne, l’ampleur du changement pour les personnes concernées dépasse de loin notre capacité d’action. C’est pourquoi nous nous réjouissons et célébrons les avancées, même si elles peuvent paraître insuffisantes au regard des changements sociaux que nous visons et de la détresse des personnes que nous rencontrons. 
 

Pourquoi les politiques sont intéressés par l’expertise du Secours Catholique ?

J. D. : La réalité de la pauvreté est complexe et personne n’a toutes les réponses. Les politiques nous écoutent car nous avons une réelle connaissance du terrain grâce à la rencontre quotidienne des plus pauvres par nos 60 000 bénévoles dans tous les départements français, y compris Outre-mer, et par nos partenaires dans 50 pays à l’international.

Nous avons une réelle connaissance et expertise du terrain.


Cette rencontre et l’accompagnement fraternel nous permettent de connaître des situations et de vivre des échanges, avec les personnes en situation de précarité, inaccessibles à d’autres acteurs.

L’analyse qui en est faite et l’expertise développée par les salariés sur les grands enjeux de pauvreté assoient aussi notre crédibilité. Ainsi, notre rapport annuel sur l’état de la pauvreté en France donne des chiffres complémentaires à ceux de l’Insee, et est très attendu par les décideurs.

Au niveau local aussi, notre expertise est sollicitée par des institutions politiques.  1500 bénévoles sont ainsi membres de conseils d’administration de Centres communaux d’action sociale.

Lire le témoignage de Claire, mandatée dans un ccas

Crédits
Nom(s)
Benjamin Sèze
Fonction(s)
Journaliste
Nom(s)
Elodie Perriot
Fonction(s)
Photographe
Pour rester informé(e)
je m'abonne à la newsletter