Mal-logement : faut-il encadrer les loyers ?

Thématique(s)
Chapô
La trêve hivernale débute ce vendredi 1er novembre. Jusqu’au 31 mars, les locataires en difficulté ne pourront pas être expulsés de leur logement, sauf exception. Toute l'année, les ménages sont nombreux à ne pas pouvoir payer leur loyer ou à vivre dans des conditions d'habitat indécentes. L’encadrement des loyers prévu par la loi Elan est, depuis juillet dernier, de nouveau en vigueur à Paris. Cette mesure pourra-elle répondre efficacement à la crise du logement ?

Paragraphes de contenu
Texte
Mal-logement : faut-il encadrer les loyers ?
Texte
La trêve hivernale débute ce vendredi 1er novembre. Jusqu’au 31 mars, les locataires en difficulté ne pourront pas être expulsés de leur logement, sauf exception. 
Toute l'année, les ménages sont nombreux à ne pas pouvoir payer leur loyer ou à vivre dans des conditions d'habitat indécentes.
Sur les quatre millions de personnes mal logées en France, un million de personnes vivent en région parisienne.
Après avoir été suspendu pendant près de deux ans dans la capitale, l’encadrement des loyers prévu par la loi Elan est, depuis juillet dernier, de nouveau en vigueur à Paris. Le dispositif pourrait ensuite s’étendre aux autres « zones tendues » volontaires.
Cette mesure pourra-elle répondre efficacement à la crise du logement ? 

 

JEAN-MARC TORROLION, PRÉSIDENT DE LA FÉDÉRATION NATIONALE DE L'IMMOBILIER (FNAIM)   FANNY PLAÇON, CHARGÉE DE PROJETS DE LA RUE AU LOGEMENT AU SECOURS CATHOLIQUE

Débat 

Jean-Marc TORROLION, président de la Fédération nationale de l'immobilier (FNAIM)

Fanny PLAÇON, chargée de projets de la rue au logement au Secours Catholique

Texte

Fanny Plançon : Au Secours Catholique, nous pensons que cette mesure va dans le bon sens au vu de la gravité de la crise du logement en France. Aujourd’hui, il y a 4 millions de mal-logés en France mais aussi 12 millions de personnes en fragilité par rapport au logement, selon le dernier rapport de la Fondation Abbé Pierre.

Désormais, ce ne sont plus seulement les personnes en précarité qui sont touchées mais aussi les jeunes actifs, les étudiants. Dans les zones tendues* comme Paris, la demande est énorme, l’offre insuffisante, avec une dynamique spéculative forte. Mécaniquement, cela fait augmenter les prix.

Selon notre dernier rapport statistique, en Île-de-France, plus de 56 % des personnes ne sont pas en mesure de payer les loyers du parc privé. Et, selon l’Insee, entre 1988 et 2013, la part des ressources des ménages les plus modestes consacrée au logement en Île-de-France est passée de 20 % à 41 %. Le marché ne se régule pas tout seul et les propriétaires demandent toujours plus de garanties aux locataires. Comment les ménages sont-ils censés supporter ce coût-là ?


Jean-Marc Torrollion : Je suis contre l’encadrement des loyers car il ne résout pas le problème majeur de la gentrification. L’échec d’une politique du logement ne peut pas se traduire par la confiscation du revenu de l’épargne de millions de Français car, en définitive, le propriétaire louera toujours au meilleur dossier.

C’est aussi pour cette raison que nous appliquons cette règle prudentielle de garanties, car nous ne souhaitons pas mettre un locataire dans une situation de surendettement par rapport au logement. La logique de ces bailleurs n’est pas spéculative, comme on l’entend souvent, elle s’inscrit globalement dans la durée, et heureusement.

Aujourd’hui, l’essentiel de la mobilité locative se joue dans le parc privé avec 1,2 million de logements qui tournent chaque année : des Français quittent ces logements et d’autres les intègrent.

Pour moi, la vraie question est la suivante : le parc privé doit-il jouer un rôle social en droit ou en fait ? Je pense qu’il n’a pas à jouer ce rôle en droit mais qu’il le joue déjà en fait. N’oublions pas qu’il loge un million de locataires qui relèvent du premier décile (10 % des revenus les plus modestes) et l’essentiel des étudiants.

Mais, encore une fois, ce parc privé n’est pas la cause du mal-logement, au sens où il accaparerait des ressources. Quant au phénomène d’exclusion parisien, il est très particulier : c’est une ville musée avec une forte demande internationale, on ne peut pas construire en surélévation, il y a la concurrence des bureaux et, depuis 2014, celle d’Airbnb. 


Fanny Plançon : L’encadrement des loyers ne résoudra pas à lui seul la crise du logement, c’est certain. Mais, selon le rapport du Haut Comité du logement pour les personnes défavorisées (HCLPD), les effets observés entre 2015 et 2017, sur les deux années d’expérimentation à Paris, sont positifs.

L’encadrement a permis de stabiliser les loyers dans les nouveaux logements mis sur le marché. On peut regretter que la loi Elan n’ait pas conservé le caractère contraignant de l’application de l’encadrement des loyers sur l’ensemble des zones tendues du territoire.

À Paris, en tout cas, son application ne semble pas avoir créé un retrait conséquent de biens du marché. Et, finalement, avec la taxe vacance** qui s’applique, les charges et les risques de dégradation du bien immobilier si personne n’y réside, cela coûte plus cher à un propriétaire de laisser son logement vacant que de le louer, même à un prix encadré.

L’encadrement a permis de stabiliser les loyers dans les nouveaux logements mis sur le marché.
Fanny Plançon, Secours Catholique.
 

Jean-Marc Torrollion : Je suis d’accord et le « rapport Nogal » semble le confirmer. Je ne crois pas, à ce stade, que l’encadrement des loyers ait eu un effet de rétention de biens. Ce qu’il peut y avoir, en revanche, c’est un effet de désinvestissement et c’est ce que je souhaite mesurer. Et je crois que nous n’avons aucun intérêt aujourd’hui à avoir du désinvestissement dans le parc privé locatif.


Fanny Plançon : Malgré l’encadrement des loyers, l’investissement immobilier reste et restera très avantageux à Paris. Nous pouvons également regarder chez nos voisins. Ce dispositif s’applique avec succès en Allemagne, notamment à Berlin.

Jean-Marc Torrollion : Je peux vous citer des exemples étrangers où l’encadrement des loyers n’a pas fonctionné : à Stockholm, par exemple, cela a créé un marché noir et, à San Francisco, il n’a pas empêché la gentrification. Quant à l’Allemagne, il y a un traitement fiscal plus intéressant car il n’y a pas, comme chez nous, d’impôt sur la fortune immobilière (IFI) et il y a beaucoup moins de propriétaires qu’en France.Chez nous, la propriété privée est ancrée. Les Grecs nous ont amené la démocratie, les Romains la propriété privée. C’est une liberté publique forte qui signifie que vous laissez l’État à la porte. Je veux bien que cela engendre une responsabilité et que l’expression de cette liberté ne doive pas devenir l’exploitation d’une situation.

Mais l’exploitation, ce serait louer des taudis, être marchand de sommeil, ne pas respecter la loi. Doit-on parler d’exploitation face à des loyers manifestement déconnectés d’une réalité économique ? Je ne sais pas si nous en sommes à ce point-là, même si on a du mal à se loger à Paris.

L’exploitation, ce serait louer des taudis, être marchand de sommeil, ne pas respecter la loi. Doit-on parler d’exploitation face à des loyers manifestement déconnectés d’une réalité économique ?
Jean-Marc Torrolion, Fnaim
 

Fanny Plançon : Au Secours Catholique, nous pensons que le parc privé ne peut pas uniquement réclamer une sécurité de l’investissement. Le pape nous dit que la propriété privée n’est pas uniquement de l’investissement et rappelle la nécessité d’« un toit pour chaque famille ».

C’est pourquoi nous souhaitons nous placer du point de vue des propriétaires et non du parc. Nous rencontrons beaucoup de propriétaires qui sont partants pour lutter contre le mal-logement ; qui sont prêts à mettre leurs biens immobiliers à disposition des personnes en difficultés, tout en étant accompagnés. Des aides et des dispositifs fiscaux importants existent, notamment le conventionnement***.


Jean-Marc Torrollion :  Le conventionnement ne marche pas. Le décalage est trop fort entre le prix du marché et le conventionnement. Je respecte le propriétaire militant. Mais peut-on tirer une ligne générale qui pourrait faire que, demain, on conçoive un profil unique de propriétaire ? Je ne crois pas.

Le secteur privé reste et restera un secteur d’épargnants qui ont fait le choix d’investir dans l’immobilier pour toucher un revenu, souvent en prévision de leur retraite, qui doit être le plus sécurisé possible pour eux, à un niveau dit de marché. Il faut absolument construire pour créer de l’offre globale et pas seulement sociale, tout en garantissant l’équilibre des territoires.

Les avantages par zones ont contribué à surtendre certains territoires au détriment d’autres. Je pense que le logement social a aussi un rôle à jouer. Ce secteur réalise 22 milliards d’euros de chiffre d’affaires avec un taux de TVA à 10 %, pas d’impôt sur les sociétés, pas de taxe foncière.

En revanche, je pense qu’on peut créer un secteur libre de loyers intermédiaires situés entre 20 % et 25 % en dessous du prix du marché, entre le social et le privé, avec des contreparties fiscales plus avantageuses pour les propriétaires.


Fanny Plançon : Nous sommes d’accord sur la nécessité de développer ce parc intermédiaire qui, selon nous, existe déjà, notamment grâce au conventionnement. Et nous faisons l’hypothèse que l’encadrement des loyers pourra, à terme, faire baisser les coûts à l’achat et ainsi permettre une plus forte accession à la propriété.

Nous suivrons avec attention les effets de cette mesure à Paris et espérons que de nombreuses villes se porteront volontaires pour l’appliquer à leur tour. Il y a très peu de communication de l’État sur ce sujet, pourtant il faut que ce dispositif soit connu et compris. Il est important que les locataires puissent faire respecter leurs droits et que le rapport de force entre eux et les propriétaires soit un peu plus équilibré.

Nous continuerons également d’interpeller très fortement le gouvernement sur la nécessité de créer des logements sociaux abordables, notamment du PLAI****. Car la politique gouvernementale en matière de lutte contre le mal-logement reste aujourd’hui insuffisante.

* Zone tendue : zones d’urbanisation continue de plus de 50 000 habitants dans lesquelles il existe un déséquilibre marqué entre l’offre et la demande de logements. Vingt-huit agglomérations en France sont aujourd’hui classées comme « zone tendue ».
** Taxe vacance : dans certaines zones tendues, le propriétaire doit payer une taxe sur le logement vacant si celui-ci est inoccupé depuis au moins un an.
*** Conventionnement : il permet à un propriétaire de bénéficier d’aides financières pour réaliser des travaux et obtenir une déduction fiscale sur leurs revenus fonciers bruts. En contrepartie, il s’engage à proposer son bien à un loyer abordable à des locataires aux ressources modestes.
**** PLAI : prêt locatif aidé d’intégration, réservé aux personnes en situation de grande précarité.

 

En dates

  • Mars 2014 : adoption de la loi Alur qui prévoit l’encadrement des loyers dans les zones tendues.
  • 2015 : l’encadrement des loyers entre en vigueur à Paris, puis à Lille.
  • Novembre 2017 : la Cour administrative retoque l’encadrement des loyers à Lille puis à Paris, au motif qu’il ne concerne pas l’ensemble de l’agglomération.
  •  Septembre 2018 : adoption de la loi Elan par les parlementaires. L’article 40 prévoit de nouveau d’introduire l’encadrement des loyers dans les zones tendues.
  • Juillet 2019 : l’encadrement des loyers est de nouveau effectif à Paris.
Texte

Ce que dit la loi : L’encadrement des loyers concerne les appartements nouvellement mis en location (y compris ceux renouvelés). Le prix du loyer ne peut dépasser 20 % ni être inférieur à 30 % du loyer de référence défini chaque année par arrêté préfectoral. Son application devient optionnelle dans les villes de plus de 50 000 habitants et revient à la décision des communes.

Crédits
Nom(s)
PROPOS RECUEILLIS PAR LOUISE S. VIGNAUD
Nom(s)
Crédits photos : ©Steven Wassenaar / Secours Catholique
Pour rester informé(e)
je m'abonne à la newsletter