Sophie Rigard : « Notre société doit donner un travail adapté à la situation de chacun »

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Ce mardi 3 juin, les députées examinent la proposition de loi prévoyant la suite du projet Territoires zéro chômeur de longue durée (TZCLD). Expérimenté depuis bientôt dix ans, ce dispositif vise à permettre localement l'accès à l'emploi aux personnes qui en sont privées. Le Secours catholique soutient cette démarche. Sophie Rigard, en charge de la question de l'Accès digne aux revenus, au Secours Catholique, nous explique pourquoi.
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Sophie Rigard

 

Sophie Rigard, Chargée de projet Accès Digne aux Revenus au Secours Catholique.


 

 

 

Secours Catholique : Le dispositif Territoires zéro chômeur de longue durée (TZCLD), imaginé par ATD Quart Monde et soutenu par le Secours Catholique, est expérimenté en France depuis bientôt dix ans. En quoi consiste-t-il ?

Sophie Rigard : Le principe est de créer de l’activité localement pour fournir du travail à ceux qui en ont besoin. Pour cela, on monte une structure qui doit développer des services nécessaires au territoire mais qui sont jusqu'ici non couverts. Ses employés sont embauchés sur deux critères : résider sur le territoire depuis au moins 6 mois et être au chômage depuis au moins un an. Ils sont payés au Smic. Leur salaire est financé en partie par les prestations sociales qu’ils auraient dû toucher et qui sont réaffectées au budget de l’entreprise, et en partie par les recettes que leur activité génère. 

Par-delà, cet aspect pratique, c’est toute la logique d’accès à l’emploi, basée sur l’offre et la demande, qui est inversée. Les emplois disponibles dans les secteurs en tension ne sont, pour la plupart, pas adaptés à des personnes ayant été privées durablement d’emploi, souvent âgées et aux trajectoires de vie cabossées. Alors on change d’approche : on part des compétences et des aspirations des personnes pour créer des postes adaptés à leurs capacités. Elle s’appuie sur des méthodes innovantes d’identification et de mobilisation des personnes (« aller vers »), et de leur participation proactive à la démarche de projet (« faire avec »).


S.C. : La première loi d’expérimentation de 2016, a été suivie par une deuxième qui a consistée notamment à élargir l’expérience à de nouveaux territoires. Une troisième proposition de loi est actuellement examinée à l’Assemblée nationale. Que vise-t-elle ?

S. R. : Cette proposition de loi vise tout d’abord à pérenniser ce dispositif, en inscrivant définitivement TZCLD comme un outil complémentaire, en plus de l’insertion par l’activité économique (IAE) et du secteur du travail protégé et adapté (STPA), dont disposeraient les Départements pour lutter contre la privation d’emploi. Elle a ensuite pour but de favoriser l’étendue de ce type de dispositifs à de nouveaux territoires. Enfin, bien qu’on ne soit plus au stade de l’expérimentation, les auteurs de cette proposition préconisent de poursuivre l’évaluation des dispositifs locaux, qui reste importante pour améliorer cet outil, et surtout d’étendre ses critères. 

Le retour à l’emploi de personnes qui en étaient durablement privées, a un effet positif sur de multiples aspects de leur vie.

En effet, se focaliser sur des indicateurs quantitatifs restreints – principalement les taux de retour dans le marché du travail et l’analyse coûts-bénéfices des investissements mobilisés – ne permet pas de comprendre le véritable impact sociétal de ce dispositif. Le retour à l’emploi de personnes qui en étaient durablement privées, par-delà le bénéfice économique que cela représente pour elles, pour le territoire et pour la société, a un effet positif sur de multiples aspects de leur vie. Cela peut être l’amélioration du bien-être psychologique, le renforcement de l’estime de soi, la stabilisation des parcours de soins ou encore la consolidation des liens sociaux. Ce sont des externalités positives qui méritent d’être considérées.

 

S. C. : Pourquoi le Secours catholique soutient cette démarche ?

S. R. : Parce qu’elle apporte une solution à de nombreux constats que nous faisons en accompagnant, au quotidien, des milliers de ménages en situation de précarité. Au Secours Catholique, nous sommes notamment témoins de la détermination qu’ont ces personnes et des efforts qu’elles fournissent pour retrouver un emploi, des difficultés qu’ils et elles rencontrent pour cela (les discriminations parce que trop vieux, trop jeunes, pas assez formés, trop formés, trop abîmés, etc.), et enfin de la pression toujours plus forte exercée sur ces personnes visant à ce qu’elles acceptent des emplois non choisis et précaires qui, souvent, ne suffisent pas à les extraire de la pauvreté.

Pour nous, proposer des emplois en CDI est indispensable parce que les personnes ont besoin avant tout de stabilité pour pouvoir se projeter. Nous soutenons également le principe du temps choisi par le salarié, car il est nécessaire de prendre en compte les séquelles du chômage de longue durée et de respecter le rythme et les contraintes de la personne (parents solo, problèmes de santé, handicap…). La participation des salariés à l’élaboration du projet est aussi importante pour que l’emploi soit adapté à leurs besoins et contraintes mais aussi à leurs envies. C’est un gage de confiance et donc d’investissement dans le projet. Au Secours catholique nous croyons que chacun est actif et contribue à la société, dans ou en dehors de l’emploi, et que, dans leur ensemble, les personnes sont désireuses de travailler et de contribuer à la société.

L’accès à l’emploi n’est souvent pas suffisant pour permettre aux personnes de sortir de leurs difficultés.

Enfin, dans le contexte politique actuel, où la loi pour plein emploi laisse penser qu’il y aurait assez d’emplois pour tous et que le meilleur moyen de baisser le taux de chômage serait de renforcer la pression sur les demandeurs d’emploi, TZCLD vient opposer un autre message qui correspond davantage à la réalité : certains territoires sont dépourvus d’emplois et connaissent des taux de pauvreté dépassant parfois les 50% de la population. Face à cette réalité, aux aspirations des personnes privées d’emploi, à leurs besoins et leurs contraintes, nous pensons que plutôt que de renforcer les exigences en contrepartie du RSA (15 heures d’activité hebdomadaires obligatoires), notre société doit donner un travail à chacun, stable (CDI), avec un revenu décent (smic), adapté à sa situation (temps choisi) et, autant que faire se peut, correspondant à ses envies.

Il y a un point de vigilance que nous tenons néanmoins à souligner : l’accès à l’emploi n’est souvent pas suffisant pour permettre aux personnes de sortir de leurs difficultés. Il y a également besoin d’un accompagnement qualitatif et donc de moyens pour cela. Attention, donc, à ne pas déshabiller l’accompagnement social des Départements pour financer TZCLD.
 

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