Leticia et Jimmy, jeunes précaires :  « On n’arrive plus du tout à se projeter. »

Thématique(s)
Gironde, Nièvre, Pas-de-Calais, Rhône
Chapô
Ils sont jeunes et ont entre 18 et 25 ans. Leticia et Jimmy ont pour point commun de connaître ou d'avoir connu des situations de grande pauvreté. Ils racontent leurs parcours sinueux souvent ponctués par un échec scolaire, parfois une rupture familiale. En creux de leurs récits, se dessinent à la fois les failles de notre système de protection et d'insertion des jeunes, et les améliorations possibles.
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Texte

LETICIA, 24 ANS - ÉPINAL (VOSGES)

 « J’ai grandi dans le cadre de l'Aide sociale à l'enfance (Ase), si bien qu'à 18 ans, j'ai pu signer un Contrat jeune majeur (CJM). C'est un contrat renouvelable jusqu'à l'âge de 21 ans. J'étais financée à hauteur de 480 euros par mois (pour le reste à charge de loyer, l’assurance logement, le téléphone, la vie courante). En contrepartie, je devais avoir un projet professionnel.

J’ai voulu aller à la fac de sport, mais je n’ai tenu que deux mois. Puis j’étais seule, isolée en appartement, j’avais un peu peur de l’inconnu. Je n’osais pas me rendre là où la conseillère me disait d’aller. Il aurait fallu qu’elle m’accompagne physiquement au moins pour la première rencontre. Mais je n’ai jamais osé lui demander. Et, elle, ne m’a jamais demandé pourquoi je n’y allais pas, ni cherché à savoir dans quel contexte je vivais.  J'ai fini par complètement baisser les bras.

Quand j’ai eu 21 ans, en octobre 2018, ils ont mis fin au contrat car je sortais du dispositif de l’Ase. À ce moment là, ils ont tout lâché, il n'y a pas eu de transition vers autre chose. Je n’avais plus aucun suivi ni revenu. 

C'est ma marraine - la seule personne qui me rendait parfois visite - qui, réalisant au bout de quelques mois ma situation (je ne lui en parlais pas), a pris rendez-vous pour moi avec une assistante sociale. Celle-ci m'a orientée vers la mission locale - dont je n'avais jamais entendu parler - qui m'a trouvé une place aux ateliers d'insertion du Secours Catholique d'Épinal.

Mon projet principal, à ce moment là, était de resociabiliser et de reprendre confiance en moi. Quand on a été autant isolé et en situation d'échec, on a l’impression qu’on ne sait plus rien faire. On n’arrive plus du tout à se projeter. Déjà, penser à la journée du lendemain est très difficile. Alors imaginer un projet, c’est impossible. Aux ateliers du Secours Catholique, les bénévoles ont été compréhensifs et bienveillants. Ils ne m'ont pas brusquée, mais laissé le temps, étape par étape.  »

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Leticia travaille dans la boutique solidaire des Ateliers d'insertion du Secours catholique d'Épinal.

 

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JIMMY, 20 ANS - CASTILLON-LA-BATAILLE (GIRONDE)

« Au niveau de l'école, j'ai décroché dès la sixième. J'étais l'élève qui dormait la tête posée sur les bras croisés, au fond de la classe. J'ai arrêté ma scolarité à 16 ans, sans aucun diplôme. 

Depuis, c’est simple, je n’ai rien fait à part des petits boulots au black dans la restauration, la vigne, le bâtiment et le jardinage. Pendant quelques mois, j'ai fait des missions intérim comme agent d’accueil au stade. Aujourd'hui, je suis prêt à prendre n'importe quel boulot, mais dans le coin, sans permis, ni scooter, c'est compliqué de trouver quelque chose. J'ai fait une demande d'aide pour financer mon permis de conduire. J'attends la réponse. 

Je suis intéressé et motivé pour m'engager dans un Contrat d'engagement jeune (CEJ). Ça me permettrait de me former et de trouver un vrai boulot. Je voudrais travailler dans les espaces verts. Je ne peux pas rester enfermé, j'aime être dehors.

Avec 500 euros par mois, je me trouverais un studio dans un endroit où il y a du travail. J'avoue que l'allocation de 500 euros que je pourrais toucher tous les mois dans le cadre du CEJ m'aiderait énormément. Sans cela je risque de me retrouver à la rue dans trois mois.

Aujourd'hui, je vis avec mon ex-petite amie. Nous sommes séparés depuis sept mois et la cohabitation est de moins en moins supportable. Mais je ne peux pas partir, car je n'ai aucune ressource et je dépends d'elle qui touche le RSA. Mon père, qui est peintre en bâtiment à la retraite, m’aide aussi un peu, même s’il gagne moins de 1 000 euros par mois. Je n'ai plus trop de contacts avec ma mère qui a des problèmes d'addiction à l'alcool. 

Si j'avais accès à un revenu type RSA, je ne resterais pas jouer à la console. Avec 500 euros par mois, je me trouverais un studio - pour avoir mon intimité -, dans un endroit où il y a du travail. À Bordeaux, par exemple, où on peut trouver du boulot dans la restauration, chez Mc Donald's, dans le ménage...»

Texte
Jimmy, dans le bureau de Stéphanie Doussot, conseillère à la mission locale de Castillon-la-Bataille.

 

Crédits
Nom(s)
Benjamin Sèze
Fonction(s)
Journaliste
Nom(s)
Xavier Schwebel et Sébastien Le Clézio
Fonction(s)
Photographes
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