Marisol : « Si la forêt amazonienne existe encore, c’est grâce à nous »

Chapô
Rare voix féminine de la lutte indigène au Pérou, Marisol Garcia Apaguenio se bat pour la préservation de la terre de ses ancêtres, convoitées aussi bien par les narcotrafiquants que les entreprises pétrolières. Un engagement qu’elle poursuit en dépit des menaces de mort. Elle témoigne.
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Texte
Marisol Garcia Apaguenio militante indigène péruvienne tient un mégaphone
Marisol Garcia Apaguenio, militante indigène, lors d'une cérémonie.

« J’ai été nommée en 2018 à la tête de la FEPIKECHA. C’est une fédération de communautés autochtones Kichwa, qui vivent dans la région du Bas-Huallagua, dans le nord du Pérou. Je suis la première femme à assumer cette fonction. C’est une fierté mais je souhaiterais voir plus de femmes impliquées dans la résistance indigène. Avec le soutien du Centre amazonien d’anthropologie (CAAAP), nous proposons des formations à la lutte collective à des groupes de femmes Kichwa. On les aide à s’organiser et à défendre ensemble leurs droits et leur terre.

Sur les quatorze communautés membres de la fédération, aucune n’a de titre foncier. Nos terres appartiennent officiellement à l’État péruvien. Nous faisons également face à des organisations criminelles. Des réseaux de trafic de bois tropical et de drogue continuent d’empiéter sur notre territoire ancestral. Les narcotrafiquants abattent une grande quantité d’arbres pour faire pousser à grande échelle la feuille de coca, qui sert de base à la préparation de la cocaïne. Une fois qu’ils sont là, ils sont difficiles à chasser. Ils sont très armés.

Pour vivre en sécurité et mettre vraiment fin à l’impunité des prédateurs, il faut d’abord garantir nos droits fonciers.

Comme de nombreux activistes amérindiens avant moi, je suis visée par des campagnes de dénigrement. Mes détracteurs disent que je m’enrichis grâce à la lutte indigène ce qui est totalement faux. Des menaces de mort me sont aussi directement adressées par les narcotrafiquants. Depuis 2021, je vis sous protection policière. Mais ce n'est en fait qu’un bout de papier. Pour vivre en sécurité et mettre vraiment fin à l’impunité des prédateurs, il faut d’abord garantir nos droits fonciers. Sans cela, nous n’avons aucun outil pour appuyer nos plaintes en cas d’agression ou d’intrusion. C’est pourquoi notre fédération plaide pour l’entrée en vigueur de l’accord d’Escazu. Il s’agit du premier traité environnemental d’Amérique latine et des Caraïbes. Il introduit des dispositions spécifiques visant à protéger les droits des défenseurs de l’environnement, à favoriser l’accès à l’information et à favoriser la participation des communautés autochtones dans les processus de décisions qui affectent leur vie et leur territoire.

Non au greenwashing !

Depuis quatre ans, nous menons une autre bataille. Total Énergies a conclu en 2021 un accord avec les autorités péruviennes pour acheter 85 millions de dollars de carbones stockés par les arbres du parc national Cordillera Azul. Le parc se trouve sur nos terres ancestrales. Bien sûr aucune des parties ne nous a consultés. Ils se sont mis d’accord sur notre dos. On n’accepte pas qu’ils accaparent nos terres et piétinent nos droits. Non au greenwashing ! Si la forêt amazonienne existe encore dans cette région du Pérou c’est parce nous en prenons soin depuis des siècles. On ne prélève que ce dont on a besoin pour se soigner ou se nourrir. En 2023, nous avons obtenu une victoire majeure : un tribunal a ordonné aux autorités péruviennes de nous octroyer des titres de propriété et de permettre aux communautés Kichwa de participer à la gestion du parc. Mais, quelques jours plus tard, la cour d’appel a annulé ce jugement. Peu importe ! On a décidé de nous tourner vers la cour interaméricaine des droits de l’Homme. On a présenté notre cas. On conteste à la fois la création du parc national et la vente de crédits carbone sur notre territoire ancestral. Parfois, se tourner vers la justice internationale peut faire avancer les luttes au niveau local. Je fais tout ça pour laisser quelques chose de vivant après moi et parce que je souhaite que mes enfants puissent se déterminer dans leur cosmovision. »

Retrouvez notre reportage auprès des gardiens de la forêt amazonienne

Crédits
Nom(s)
Djamila Ould Khettab
Fonction(s)
Journaliste
Nom(s)
Sébastien Le Clézio
Fonction(s)
Photographe
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