En Haute-Marne, décompresser en bord de lac

Le chant des oiseaux, le braiment des ânes, et le silence. Ce matin de juillet, vers 9 heures, le camping du lac de Villegusien (Haute-Marne) baigne dans un calme bucolique. Installée pour le petit-déjeuner, devant l’un des chalets posés sur la vaste pelouse, Maryline, 38 ans, s’est pourtant levée tôt. Les congés d’été viennent tout juste de commencer, c’est trop tôt pour dissiper les automatismes de l’année écoulée. Chez elle, à Chavanges, dans l’Aube, le réveil sonne en semaine à 5h45. Il faut bien ça pour préparer pour l’école ses cinq fils âgés de 4 à 17 ans. Les garçons, eux, ont pris le pli des vacances. Ils arrivent au compte-goutte à la table du petit-déjeuner. Maryline prépare les affaires de la journée : casquettes et gourdes en cinq exemplaires.

Pour la troisième année de suite, Maryline et ses enfants prennent leurs quartiers d’été à Villegusien-le-Lac. Cette année, trois familles se sont inscrites à ce séjour d’une semaine organisé par le Secours Catholique. « Avant, on n’était jamais partis en vacances, commente la mère célibataire, qui vit avec les minima sociaux. Pour les enfants, c’était le terrain de foot tout l’été. » L’Insee estime qu’en 2022, 24% des personnes vivaient dans un ménage qui ne pouvait partir en vacances une semaine par an pour des raisons financières. Parmi celles qui vivent sous le seuil de pauvreté monétaire, 55% se privent de vacances. Pour Maryline, un autre frein est de ne pas avoir le permis de conduire. Suivant les années, des bénévoles ou sa mère la véhiculent jusqu’au camping.

« Ici, on coupe. »
Cette parenthèse est devenue trop précieuse pour envisager d’y renoncer. « Dès que je remplis le dossier d’inscription, mes fils me demandent : “Tu as des nouvelles pour Villegusien ?” », assure Maryline. Le soleil joue à cache-cache avec les nuages et l’orage menace, mais il en faut plus pour décourager les enfants d’enfiler leur maillot. La piscine couverte est le centre névralgique du camping. Les fils de Maryline s’y installent dès le matin et ne la quittent qu’à la nuit tombée. Leur mère, elle, se repose et respire. Ces dernières années, Maryline a dû se battre en justice contre sa CAF qui lui réclamait indûment trois ans de trop-perçu. « J’ai passé des mois sans rien, ou avec 300 euros pour cinq enfants. Je ne pensais qu’à ça du matin au soir. Avec les enfants, j’étais énervée ou je faisais semblant que ça allait, mais ils voyaient bien que non. » Les vacances leur offrent un répit. « Eux aussi pensent enfin à autre chose que compter pour manger, aller chez l’avocat… Ici, on coupe. »

« Ça renforce nos liens »
« Pour maman comme pour moi, les problèmes sortent de la tête les jours de vacances », confirme Sébastien, 11 ans, le troisième fils de Maryline. La fratrie, déjà soudée, ressert ses liens à la faveur de l’été. « Dans l’année, mon grand-frère ne rentre que le week-end de l’internat, et avec les autres on ne se voit pas le mercredi car on fait des activités sportives, observe Romain, 16 ans. Là, on dort quasiment dans la même pièce, on mange ensemble, on joue ensemble. Ça renforce nos liens. »

Le séjour alterne entre temps libre et activités, auxquelles participent des bénévoles. Sébastien a aimé plus que tout l’accrobranche et la visite de la ville voisine de Langres. « C’était beau et ça nous a changé d’où on habite », se souvient-il. Cette après-midi-là, c’est pédalo face au camping. « À l’abordage ! » crient les enfants qui sautent à l’eau depuis les toboggans embarqués. « Je vais en entendre parler longtemps, du pédalo », sourit Muriel, 52 ans, une autre mère venue passer la semaine à Villegusien. Pour elle aussi, le pédalo était une première. « J’avais une appréhension de l’eau, mais ça s’est bien passé. On a rigolé avec les enfants. La prochaine fois, je saute dans le lac ! »

« Ça faisait dix ans que je n’étais pas partie »
Muriel vit à Chaumont, à 45 minutes de là, avec ses deux fils qu’elle élève seule. C’est sa deuxième année à Villegusien. « Avant ça, ça faisait dix ans que je n’étais pas partie en vacances », retrace-t-elle, hormis en région parisienne, pour rendre visite à l’une de ses filles aînées. « J’ai longtemps vécu là-bas, mais y retourner est stressant et associé à une étape de ma vie que je veux laisser derrière. » Son premier séjour l’a ressourcée. « Quand je suis rentrée, j’étais bien. J’en ai parlé à tout le monde. Même mes grands enfants m’ont dit : “Ça se voit que ça t’a fait du bien.” » Elle qui confesse sa « peur de l’inconnu » a été rassurée de retrouver Maryline et ses enfants, rencontrés l’an dernier.

« On se dit qu’on n’est pas seuls. »
Muriel et Maryline sont devenues amies à l’issue de leurs premières vacances ensemble. La première trouve chez la seconde une oreille attentive, avec qui partager son quotidien de mère célibataire. « Ma plus belle rencontre, c’est Maryline, affirme Muriel. Dès qu’on se voit, on rigole, on parle de tout et de rien, on se donne des conseils, on se comprend rien qu’en souriant. C’est un plaisir de passer du temps ensemble. » Maryline apprécie de même les liens qui se créent lors du séjour, elle qui vit le reste de l’année dans un village. « A Chavanges, je ne fréquente personne, note-t-elle. Ici, je rencontre des gens qui ont d’autres problèmes. Même si on n’en parle pas beaucoup, de nos problèmes, ça aide à relativiser. On se dit qu’on n’est pas seuls. »

La trentenaire s’enrichit aussi des liens créés avec les bénévoles, dont certains reviennent d’une année sur l’autre, et observe des bienfaits sur ses enfants. « En temps normal, on a tendance à rester tous les six. Parce qu’on a vécu des choses difficiles, ils me protègent beaucoup et ont du mal à se lier à d’autres. Ici, je les vois échanger avec d’autres personnes, aller vers les gens, ça leur fait du bien. »

Piscine, foot… Les enfants de Muriel et de Maryline passent leur journée ensemble. « On a le même caractère », se félicite Kinsley, 12 ans, le fils de la première. Après leur rencontre l’été dernier, ils sont devenus amis, restant en contact via les réseaux sociaux. « Parler aux gens, ce n’est pas trop mon truc, estime Quentin, 17 ans, l’aîné de Maryline, mais les vacances m’ont permis d’être un peu plus sociable. »

« Je suis contente de les voir comme ça »
Ce soir-là, chez Muriel, c’est Kinsley qui cuisine des steaks pour le dîner de la famille. Les vacances aident les enfants à grandir. « Mes garçons se soucient beaucoup de moi, ils sont très protecteurs, glisse Muriel. Pour eux, maman est tout. Mais les voir devenir autonomes, c’est important pour moi. Quand on est arrivés, j’étais fatiguée et ils ne m’ont pas trop sollicitée. L’autre jour, ils sont partis à la piscine sans me réveiller et m’ont laissé un mot. Je suis contente de les voir comme ça. »

« Se remémorer tous les bons moments »
Chaque année, à l’heure de quitter Villegusien, les enfants pleurent. De retour chez lui, Quentin s’accroche à ses souvenirs. « Je me rappelle par exemple les premières fois où mes frères ont su nager, illustre-t-il. Ce genre d’événements peuvent paraître anodins, mais moi je les garde en tête. Ce temps de vacances, c’est de l’amusement pur. On en ressort avec des souvenirs, et même si les bienfaits s’estompent, ça devient un sujet de discussion de se remémorer tous les bons moments. »