À Marseille, le plaisir de partager la même table
Il est un peu moins de 18h, la cuisine s’anime. Sur l’îlot central, Ben et David découpent des oignons et des poivrons en petits dés. « Au menu ce soir, c’est chakchouka et merguez », lance Angèle, la dynamique cheffe d’équipe, qui a récupéré les ingrédients offerts par des commerçants du coin un peu plus tôt dans l’après-midi. Ils sont rejoints par Enzo. Le jeune homme à la peau bronzée, qui dort sur un matelas, posé sur le trottoir face à l’entrée du local, se porte volontaire pour laver la vaisselle. Dans la salle principale, Karim dresse les couverts. L’intermittent du spectacle aux cheveux grisonnants dort lui aussi à la rue « sur un tapis de sol mais jamais au même endroit ». L’homme de 51 ans enchaîne les « galères » depuis deux ans. Il s’est retrouvé au chômage, puis radié du RSA. Sans revenu, il a fini par perdre son logement. « Ça peut arriver à tout le monde », dit-il, en déposant sur chaque table un bol de chips « pour l’apéritif ».
Depuis près d’un an, une quinzaine de personnes en grande précarité, à la rue ou isolées, et des bénévoles du Secours Catholique se retrouvent deux soirs par mois à « Antignane », un accueil de l’association situé dans le sud de Marseille, pour cuisiner et dîner ensemble. Ce rendez-vous ouvert à tous sert à recréer du lien. « Dans la rue, ils sont chacun dans leur coin, parfois en groupe, explique Angèle. Ce repas permet aux personnes de manger comme s’ils étaient à la maison ».
On essaye de faire en sorte que tout le monde trouve sa place.
De la préparation des plats à la plonge, tout le monde met la main à la pâte. « C’est une manière pour eux de retrouver des règles de vie, qu’ils ont quelque peu oubliées en vivant à la rue ou seul, comme mettre une table ou la débarrasser, poursuit la bénévole. Personne ne reste les bras croisés ». Mais, « faire ensemble » n’est pas toujours une mince affaire, reconnaît la responsable d’équipe. « Certains ne sont pas à l’aise avec la cuisine. On s’adapte. On essaye de faire en sorte que tout le monde trouve sa place et participe à sa manière ».
Il est presque 19h, les participants se dirigent vers le buffet. Colette remplit son assiette avant de s’installer à une table. La retraitée de 83 ans vient pour ne pas être seule. « Franchement, ça fait plaisir de voir du monde, confie-t-elle. Le contact avec les gens, c’est ce qui me manque le plus ».
Vers 21h, la salle se vide progressivement. Des volontaires restent pour ranger et nettoyer. Karim est toujours là. Participer à ce repas l’aide à « ne pas perdre pied ». « Quand on vit dehors, on a un rythme de vie différent, on ne se sent pas utile. Au moins ici, je m’occupe ».
Pour aller plus loin
Robert, bénévole : « Voir une femme et des enfants à la rue est devenu une normalité »
« J’ai aussi vu les profils des personnes à la rue changer. Au départ, je rencontrais principalement des hommes avec de long parcours d’errance. On les connaissait bien, c’était des « habitués ». Il y a dix ans, c’était impensable qu’une femme enceinte reste dormir dehors. Mais aujourd’hui, c’est devenu une normalité de voir une femme et des enfants à la rue. Des lignes rouges ont sauté. »