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une famille dans son banga à Mayotte

Mayotte : après Chido, le quotidien difficile des plus précaires

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Mayotte
Chapô
Il y aura bientôt un an, le 14 décembre 2025, le cyclone Chido ravageait Mayotte. Les populations les plus pauvres étaient particulièrement touchées, privées de toit, d’eau, de nourriture. Retour sur la mobilisation du Secours Catholique à Dzoumogné et à Petite-Terre où il est implanté, auprès de familles et de petits commerçants.
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À Dzoumogné, commune du nord de Mayotte, Internet n’a pas retrouvé son débit normal au local du Secours Catholique, tandis que nous nous y rendons neuf mois après Chido. La salle numérique fréquentée par des ados et des étudiants n’a pas pu rouvrir, au contraire des cours d’alphabétisation et de préparation au Delf*, des activités sportives et des ateliers cuisine qui constituent à nouveau le quotidien de l’équipe et de sa cinquantaine de « stagiaires ». C’est le terme employé ici par les bénévoles (pour la plupart des jeunes Comoriens en attente de régularisation) pour désigner les personnes qu’ils accompagnent, en majorité quelques « papas » et beaucoup de « mamans ».

Au lendemain du cyclone, le local, épargné par les destructions, est devenu un QG, comme en témoignent les bénévoles, pour lesquels ces souvenirs sont encore vifs. « On s’est regroupés ici pour se raconter chacun notre vécu, se remémore Nourdati, 24 ans, formatrice en français. Les images du désastre revenaient en boucle, c’était oppressant. En parler avec mes camarades, ça a libéré une boule d’angoisse ». « C’était traumatisant », abonde Halifa, 22 ans, en charge des animations sportives auprès des stagiaires et des jeunes des quartiers. Il a vu sa maison de tôle (banga) s’envoler sous ses yeux. « Partager des repas ensemble, et partir en maraude dans les quartiers pour prendre des nouvelles de nos stagiaires, cela nous a aidés à digérer ». 

un habitant de Mayotte devant sa maison en tôle reconstruite après le cyclone chido
Halifa a vécu le cyclone caché sous un lit avec sa femme et sa fille âgée d'un an.
Titre du son
Halifa raconte le traumatisme du cyclone
Sous titre
« Ça ne s’oublie pas, c’est dans le coeur en fait »
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Malgré l’ampleur des dégâts et le choc ressenti par tous, l’aide s’est rapidement organisée : du petit matériel (gants, marteaux, scies, clous) est mis à la disposition tant des bénévoles que des stagiaires par le Secours Catholique pour permettre la reconstruction rapide des cases. Un soutien psychologique est également proposé. 

Puis les jeunes s’engagent dans la distribution de denrées de base dans les quartiers, en partenariat avec d’autres structures : sacs de riz, conserves de lait de coco et de tomates, compotes pour les enfants, comprimés pour purifier l’eau. « On s’est bien mobilisés malgré le fait que nous étions touchés à titre personnel, souligne Halifa. Certains d’entre nous dormaient au local pour surveiller les réserves. » Hassan, coordinateur bénévole de l’équipe, s’attache à prévenir les risques de débordements lors de ces distributions qui s’échelonnent sur cinq semaines et permettent à 150 foyers de faire un repas par jour.

En parallèle, le Secours Catholique débloque une enveloppe pour des bons d’achats remis entre les mois de février et mai aux bénévoles, aux stagiaires et à des familles très vulnérables, afin de couvrir leurs besoins en nourriture, petit mobilier (literie par exemple) et matériel électroménager. Des bons d’une valeur de 400 euros pour un foyer comptant quatre membres, augmenté de 100 euros par membre supplémentaire (dans la limite de 1000 euros). « Avant Chido, les gens étaient déjà en grande précarité, commente Hassan. Chido voulait finir le travail [de sape]… Des bons d’achats d’une telle valeur ont permis aux familles de changer un peu leur quotidien, de se relever un peu. »  

un jeune bénévole du secours catholique à mayotte
Hassan s'est fortement impliqué dans l'organisation de l'aide aux foyers les plus pauvres.
Titre du son
Hassan témoigne de l’entraide et de la mobilisation au lendemain du cyclone
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Ces bons d'achats ont bénéficié à Harta, « stagiaire » du cours d’alphabétisation, et mère de famille comorienne sans papiers. Elle vit avec ses six enfants et son mari (qui travaille comme maçon) dans un quartier d’habitat précaire de Dzoumogné. Nous la rencontrons en compagnie de Hassan et Halifa. Pour monter jusqu’à sa case, il faut emprunter des escaliers aménagés à l’aide de pneus qui retiennent la terre ocre en cas de pluie. Le banga de Harta est modeste, mais propre. Le sol est recouvert d’une toile cirée, des cloisons en contreplaqué séparent les chambres de la pièce principale, nue hormis un frigidaire. Leïta, 15 ans, l’aînée des enfants, rentre tout juste du lycée. Elle « aime les maths » et espère un jour « travailler à la Préfecture pour faire des passeports ».

une femme discute avec un bénévole du secours catholique à mayotte
Harta a bénéficié de bons d'achats qui lui ont permis de nourrir ses enfants pendant un mois.

À l’arrière de la maison, Harta cuisine du mabawa (poulet) avec du riz sur un réchaud à gaz. C’est Hassan qui est venu à sa rencontre après le cyclone, pour lui proposer les bons d’achat. « J’ai pu acheter du poulet et du riz pour que l’on mange pendant le mois du Ramadan », témoigne Harta, dans un français hésitant. Hassan et Halifa font la traduction quand Harta confie spontanément comment elle n’a pas pu être mise au courant du décès de son père sur l’île d’Anjouan à cause de l’interruption pendant plusieurs semaines du réseau téléphonique. À Mayotte, chaque foyer a son traumatisme lié à Chido.

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Coup de pouce aux petits commerces

Sur Petite-Terre, l’île face à Mamoudzou que l’on rallie par barge et où est situé l’aéroport, le local du Secours Catholique, dans le quartier de Cetam, n’a pas retrouvé de connexion Internet du tout. Les activités (alphabétisation, informatique, cuisine, couture…) ont du mal à reprendre. « Depuis Chido, les gens ont d’autres préoccupations, estime Blanco, bénévole. Et puis ils ont peur de se déplacer à cause des patrouilles de la PAF (Police aux frontières) ». Blanco, elle, détient un titre de séjour de deux ans, mais qu’elle peine à renouveler, se cognant aux portes fermées de la mairie qui doit lui délivrer des documents indispensables pour faire aboutir cette démarche.

Quand je suis retournée voir les dégâts chez moi, je n’ai même pas retrouvé le chemin de ma maison.

À 51 ans, en recherche d’un emploi, Blanco vit dans le quartier d’habitations précaires de La Vigie, avec l’une de ses filles, âgée de 16 ans (six autres vivent en métropole). Pendant le passage du cyclone, toutes deux ont trouvé refuge dans une maison en briques du voisinage. « Quand je suis retournée voir les dégâts chez moi, je n’ai même pas retrouvé le chemin de ma maison, se souvient-elle. C’était catastrophique. » 

Blanco a pu compter sur l’entraide pour reconstruire rapidement son banga. « Mais depuis, tout a changé…, soupire-t-elle. Moralement tout a changé. » Blanco a bénéficié d’un bon d’achat pour se procurer une gazinière et un peu de nourriture. En tant que bénévole, elle a participé à identifier d’autres foyers ayant besoin d’un coup de pouce. Notamment des petits commerçants dont l’activité a été mise à l’arrêt du jour au lendemain.

une habitante de mayotte dans sa maison en tôle cuisine
Blanco a pu remplacer sa cuisinière grâce à l'aide du Secours Catholique.

Dans une rue de terre de La Vigie, « Mina bas prix » est une petite boutique de tôle comme il en existe beaucoup à Mayotte, proposant des boissons fraîches, du poulet et du poisson surgelés, mais aussi des vêtements, certains neufs et d’autres de seconde main, achetés sur le continent africain par ballots entiers. 

Aidée de son fils aîné Rafiki, 22 ans, détenteur d’un bac pro gestion, Mina est à la tête de ce commerce qui fait vivre la famille. Elle l’a créé en 2023 après avoir obtenu un titre de séjour puis sollicité un prêt de l’Adie (association de micro-crédit) à hauteur de 16 000 euros. « J’ai réfléchi à ce projet pour ne pas avoir à faire des ménages à domicile toute ma vie », explique Mina. Mais Chido a ravagé la boutique. « Nous avons perdu pour 14 000 euros de stock de marchandises ».

une femme dans une boutique à mayotte
Mina venait de lancer son commerce quand Chido est arrivé.

L’aide du Secours Catholique a permis de racheter une vitrine réfrigérée et un congélateur. Une bouffée d’oxygène. « On venait juste de se lancer, témoigne Rafiki. On reconstruit petit à petit. Pour l’instant, les ventes permettent de rembourser le crédit. Il nous faut juste de la marchandise, et les clients vont revenir ». Signe de la reprise espérée, la première commande de boubous depuis Chido est arrivée quatre jours auparavant. Mina et son fils regardent devant eux : ils ont pour projet de louer un local « en dur », plus proche du centre-ville et de la clientèle, « car un commerce en tôle et non assuré, c’est trop risqué ».

Quelques ruelles plus loin, Blanco nous conduit chez Mohamed, qui, après des années de petits boulots « à droite et à gauche », tient depuis deux ans une épicerie où l’on trouve un peu de tout (conserves, surgelés, boissons, lessive, produits d’hygiène, petit électroménager…). Lui aussi a bénéficié du soutien du Secours Catholique pour se ré-équiper en frigidaire et congélateur. 

un homme dans son épicerie à mayotte
Mohamed tient une épicerie de quartier depuis deux ans.

Le commerçant constate que les affaires sont en berne. Il y a les conséquences du cyclone, mais pas seulement. « La PAF et la gendarmerie surveillent beaucoup, pointe-t-il à son tour, les gens ont peur de se déplacer ». Comme beaucoup d’habitants de Mayotte dont la précarité fait partie de l’existence, il se montre combatif : « Je vais tout faire pour que mon commerce reparte ».


*Le DELF (Diplôme d’Études en Langue Française) est un diplôme officiel délivrés par le Ministère français de l’Éducation nationale de la jeunesse et des sports pour certifier les compétences en français des candidats étrangers et des Français originaires d’un pays non francophone et non titulaires d’un diplôme de l’enseignement secondaire ou supérieur public français.

 

Écouter aussi les parcours de Hassan et Nourdati

Crédits
Nom(s)
Clarisse Briot
Fonction(s)
Journaliste
Nom(s)
Elodie Perriot
Fonction(s)
Photographe
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