
Précarité : des vies sur le fil, en Charente-Maritime
Une après-midi d’hiver à Saint-Jean d’Angély, dans la campagne charentaise. Jeanne salue un groupe de personnes venues à l’accueil du Secours Catholique « passer le temps » et « rompre la solitude ». Le visage de la bénévole s’assombrit lorsqu’elle aperçoit Odile, la silhouette fluette recroquevillée dans un fauteuil roulant. « Si elle vient, c’est que ça ne va pas du tout », s’inquiète la bénévole. Les deux femmes s’isolent dans un bureau. Elles prennent des nouvelles l’une de l’autre. « Alors ta fille, tu l’as revue ? », demande Jeanne. Odile finit par admettre qu’elle traverse une mauvaise passe depuis qu’elle a dû changer de fauteuil roulant. « J’ai sorti de ma poche 500 euros. Ça m’a mis en difficulté. Y a plus rien dans le frigo », raconte cette femme d'une soixantaine d'années, bénéficiaire de l’Allocation aux adultes handicapés (AAH), qui vit avec moins de 1 100 euros par mois. Elle repart avec un bon pour faire des courses et remplacer sa bouteille de gaz.
Un coup de pouce « essentiel »
Dans les permanences du Secours Catholique, une aide ponctuelle – limitée à 100 euros par an et par personne – peut être proposée aux personnes en faisant la demande. « Un coup de pouce essentiel pour des personnes qui vivent sur le fil du rasoir, considère Jeanne. Quand on vit avec un petit budget, il suffit d’un seul imprévu, comme des soins dentaires, des obsèques ou bien la réparation ou le remplacement d’un équipement, pour tout déséquilibrer et plonger une personne dans de grandes difficultés ».

Un peu plus au nord, à Surgères, Sophie* et sa petite dernière, âgée de deux ans, grimpent pour la première fois les escaliers qui mènent à la permanence sociale aménagée dans la boutique solidaire du Secours Catholique. « C’est l’assistante sociale qui m’envoie », dit la trentenaire en tendant une chemise cartonnée aux deux bénévoles qui lui font face. Le binôme commence à feuilleter une pile de courriers administratifs, de factures et de relevés bancaires. « J’ai du retard dans le paiement de la cantine », précise la coiffeuse, en congé parental, qui élève seule ses trois enfants. Elle ne touche pas de pension alimentaire. « Heureusement, je vais bientôt percevoir l’ASF [’Allocation de soutien familial, versée par la CAF] ».
Quand on vit avec un petit budget, il suffit d’un seul imprévu pour tout déséquilibrer.
Dans les accueils, « on croise de plus en plus de familles monoparentales à la tête desquelles se trouvent des mères isolées », fait remarquer Audrey Clérissi, animatrice au Secours Catholique de Charente-Maritime. « Les mères célibataires représentent aujourd’hui 39 % des personnes accompagnées ». Entre les murs des permanences sociales, il n’est pas seulement question de la situation financière des personnes accueillies. « L’aide ponctuelle s’inscrit dans une démarche d’accompagnement », poursuit la salariée. « Certains ont besoin de s’exprimer, de " déposer leurs bagages ". Notre rôle est de les écouter sans être dans le jugement, souligne Jeanne, la bénévole. Parfois, les entretiens sont longs. C’est difficile de dire à une personne accueillie que c’est trop long, que du monde attend. On est autant là pour apporter une aide financière que pour écouter ». La rencontre permet de trouver des solutions, en vérifiant que les personnes ont « bien frappé à toutes les portes » et sinon en les orientant vers des dispositifs adéquats. « Nous sommes une solution de dernier recours », rappelle la bénévole.
Il arrive que l’échange permette d’identifier d’autre besoin. En épluchant le dossier de Sophie, le duo de bénévoles à Surgères tombe ainsi sur des factures pour des travaux. « Je refais l’isolation de ma maison », explique la jeune femme. « Ne vous engagez pas seule dans ces travaux, prévient Marie, l’une des bénévoles. Il existe des subventions publiques. La communauté de communes aide les ménages pour la rénovation énergétique de leur logement. On peut aller les rencontrer ensemble si vous voulez. On dévie un peu de votre demande initiale, mais si ça peut vous aider, nous sommes là ».

Les demandes supérieures à 100 euros sont soumises à la commission des aides, une instance composée des bénévoles chargés de l’accueil de personnes en difficulté. Depuis le Covid, l’assemblée se tient en ligne une fois par semaine. Ce matin-là, elle doit se prononcer sur six dossiers. « On essaie de se limiter à douze dossiers étudiés par semaine car au-delà c’est compliqué. Cela demande une grande concentration », avance Audrey Clérissi, qui coanime la commission des aides.
Durant deux heures, les membres de la commission décortiquent avec soin la situation de chaque demandeur et évaluent la pertinence de la requête. « Il faut prendre le temps de comprendre les tenants et les aboutissants d’une situation parfois complexe, de se poser les bonnes questions, de vérifier que les personnes ont sollicité les bons interlocuteurs avant, poursuit la salariée. On s’appuie sur des éléments de l’assistance sociale et des informations recueillies par les équipes d’accueil du Secours Catholique. Ce double regard est très précieux ». « Le but est d’apporter une aide significative qui permette à la personne de passer un cap », ajoute Jean-Marie Mousset, trésorier du Secours Catholique de Charente-Maritime.
apporter une « aide significative »
La demande d’une femme de 45 ans, au chômage, apparaît à l’écran. Sa voiture étant en panne, elle a renoncé à plusieurs missions d’intérim « à cause des distances ». Elle souhaiterait que le Secours Catholique contribue à hauteur de 150 euros au règlement des travaux de réparation de son véhicule. « Elle a trouvé un cofinancement. Cette aide va l’aider à se relancer », estime Marie, la bénévole. Après un rapide tour de table virtuel, la commission décide d’accorder la somme demandée.
De plus en plus de personnes à la recherche d’un moyen de transport pour accéder à un emploi ou une formation se tournent vers le Secours Catholique. « La précarité mobilité est le besoin le plus exprimé et cette demande est en constante hausse », indique Audrey Clérissi. Aide à la location, à la réparation ou à l’achat d’un véhicule ou, plus rarement, participation au coût de l’examen du permis de conduire. En 2024, 28 % des dossiers traités par la commission étaient liés à des problèmes de déplacement. Se déplacer dans cette région rurale, jalonnée de vignes, où « l’offre de transports en commun est peu fournie s'avère compliqué lorsqu’on n’a pas de voiture », renchérit Emma Bonnet, animatrice au Secours Catholique de Charente-Maritime. « Certains prennent même le car scolaire mais il n’y a que deux passages par jour ».
Parfois, un seul tour de table ne suffit pas. « Quand une personne est confrontée à un accident de la vie ou à un problème en particulier, c’est relativement facile à régler. Mais quand quelqu’un cumule des formes de précarité, prendre une décision éclairée est compliqué, explique Audrey Clérissi. Démêler une situation demande quelquefois plus de temps. On a besoin d’éléments de compréhension complémentaires pour être le plus juste possible dans notre prise de décision. Il faut alors se tourner vers les bénévoles qui ont reçu la personne, vers le créancier ou vers l’assistance sociale. Tout cela conduit à un report de la décision de la commission et à un réexamen ultérieur du dossier . En cas de refus, l’accompagnement ne s’arrête pas. On propose une solution alternative, on lance des pistes ».
*Le prénom a été modifié.